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08/06/2022 | FRANCE | N°21-82127

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 juin 2022, 21-82127


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° C 21-82.127 F-D

N° 00687

ODVS
8 JUIN 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUIN 2022

La Société d'exploitation du [Adresse 4] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 17 mars 2021, qui, pour blessures involonta

ires et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, l'a condamnée à deux amendes de 20 000...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° C 21-82.127 F-D

N° 00687

ODVS
8 JUIN 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUIN 2022

La Société d'exploitation du [Adresse 4] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 17 mars 2021, qui, pour blessures involontaires et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, l'a condamnée à deux amendes de 20 000 euros et 3 000 euros et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Société d'exploitation du [Adresse 4], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [Z] [R], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La Société d'exploitation du [Adresse 4] ([5]) a pour activité la location d'espaces aux organisateurs de salons sur un site qu'elle exploite en tant que locataire.

3. Elle a conclu avec la société [1] un contrat de mise à disposition d'un espace pour un salon devant se dérouler dans ses locaux. Le contrat qualifiait la société [1] d'entreprise utilisatrice au sens des articles R. 4511-1 et suivants du code du travail et prévoyait que la société [5], en tant qu'exploitant du site, assurait de manière exclusive divers services tels que la fourniture d'eau, électricité et réseaux de télécommunication, la signalétique, la sécurité incendie et la sécurité des manifestations.

4. La société [1], organisatrice de l'événement, a par ailleurs confié à un prestataire tiers, la société [2], des opérations techniques comprenant notamment la logistique de l'installation du salon.

5. Lors de l'installation des stands, Mme [Z] [R], salariée de la société [5] alors en action de travail, a été percutée par un engin élévateur conduit par un salarié de la société [2]. Blessée à la jambe droite, elle a subi une incapacité totale de travail évaluée à au moins six mois.

6. La société [5] a été poursuivie devant le tribunal correctionnel des chefs de blessures involontaires et d'infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, tirées notamment de la méconnaissance des obligations imposées à l'entreprise utilisatrice par les articles R. 4511-1 et suivants du code du travail.

7. Mme [R] s'est constituée partie civile.

8. Les juges du premier degré ayant relaxé la société [5] de l'ensemble des chefs poursuivis, le ministère public et la partie civile ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a informé la société prévenue de son droit de se taire après le commencement des débats, postérieurement au rapport, à l'auditíon du témoin et aux explications de la partie civile, alors « qu'en application des articles 406 et 512 du code de procédure pénale le président, après avoir constaté son identité et donné connaissance de l'acte qui a saisi la cour d'appel, informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire; que la méconnaissance de l'obligation d'informer le prévenu du droit de se taire lui fait nécessairement grief ; que la protection des droits de la défense recherchée par ce texte n'est assurée que si le prévenu est informé de ce droit à l'ouverture de l'audience avant tout débat ; qu'il résulte en l'espèce des mentions de l'arrêt attaqué que la société [5], qui a comparu à l'audience de la cour d'appel de Lyon du 28 janvier 2021 en la personne de Mme [T] [V], n'a été informée de son droit, au cours des débats de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire qu'après que le président a fait son rapport, a procédé à l'audition du témoin et que la partie civile a été entendue en ses explications ; qu'en statuant ainsi, alors que les débats avaient débuté dès le rapport du président et l'audition du témoin, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

11. L'arrêt mentionne que le président a constaté l'identité de la prévenue, a donné connaissance des actes qui ont saisi la cour, de son rapport, et des pièces de la procédure, puis qu'il a entendu le témoin et la partie civile. Il expose ensuite que le président a notifié à la représentante de la société [5] son droit de garder le silence, de faire des déclarations ou de répondre aux questions, qu'elle a accepté de répondre aux questions et qu'elle a été interrogée.

12. Si c'est à tort qu'il a été procédé à cette notification après l'ouverture des débats, l'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure.

13. En effet, la demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que l'avertissement prévu par l'article 406 du code de procédure pénale a été délivré tardivement, alors qu'il ne résulte pas des pièces de procédure que la représentante de la société prévenue aurait pris la parole à ce stade des débats.

14. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [5] coupable des délits de non-respect par l'entreprise utilisatrice de l'obligation de coordination des mesures de prévention lors de travaux réalisés par une entreprise extérieure, d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans inspection commune préalable, et d'exécution de travaux par entreprise extérieure sans plan de prévention des risques préalables conforme alors :

« 1°/ qu'une société ayant pour objet la planification de l'activité d'un parc d'expositions, qui n'est ni la propriétaire, ni le maître d'ouvrage des lieux, ni le donneur d'ordre des entreprises intervenantes pour la création du salon et qui se borne à planifier la sous-location des différents espaces dont elle est elle-même locataire, auprès des organisateurs de salons, sans solliciter aucune prestation de la société organisatrice du salon, qui est au contraire son client, ni davantage solliciter les moindres travaux ou prestations auprès de la société installateur du salon, à laquelle elle n'est liée par aucun contrat et qui n'intervient que pour le compte de la seule société organisatrice du salon en sa qualité d'entreprise utilisatrice des locaux ainsi mis à sa disposition à titre onéreux, en charge du chantier d'installation des stands éphémères, ne peut être juridiquement qualifiée d'entreprise utilisatrice au sens de l'article R. 4511-1 du code du travail ; qu'en affirmant le contraire pour déclarer la société [5] coupable des délits visés à la prévention, la cour d'appel a méconnu les articles R. 4511-1 et suivants du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'il résulte de la convention conclue entre la société [5] et la société [1], fixant les conditions générales de mise à disposition de locaux par la société [5], et plus particulièrement des dispositions de l'article 4-2 relatif à l'hygiène et à la sécurité et aux conditions de sous-traitance, que « durant le montage et le démontage, l'organisateur d'une manifestation est tenu durant les phases de montage et de démontage de la manifestation de respecter les dispositions du code du travail relatives à la sécurité sur les chantiers ou entreprises recevant un personnel d'entreprises extérieures [...] à cet égard, l'organisateur a la qualité d'entreprise utilisatrice au sens du décret n° 92-158 du 20 février 1992 » ; qu'en se bornant à écarter purement et simplement ces dispositions contractuelles explicites pour retenir la responsabilité pénale de la société [5] en qualité d'entreprise utilisatrice en violation des termes du contrat, sans rechercher à établir en quoi la désignation de la société [1] comme entreprise utilisatrice par les dispositions contractuelles précitées, méconnaîtrait les dispositions des articles R. 4511-1 et suivant du code du travail relatives aux travaux réalisés dans un établissement par une entreprise extérieure, la cour d'appel a violé l'article 4-2 des conditions générales de mise à disposition des locaux par la société [5], et privé sa décision de base légale au regard des articles R. 4511-1 et suivants du code du travail, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que les dispositions des articles R. 4511-1 et suivants du code du travail ne s'appliquent que lorsqu'une ou des entreprises dites extérieures interviennent dans l'établissement d'une entreprise utilisatrice aux fins d'exécuter des travaux ou prestations de services pour le compte de l'entreprise utilisatrice qui les a sollicitées à cette fin ; qu'en attribuant la qualité d'entreprise utilisatrice à une société qui se borne à mettre à disposition des espaces, dont elle n'est que locataire en vertu d'un bail à usage de Parc des expositions, sans que les entreprises amenées à intervenir temporairement dans ces espaces à la demande d'un organisateur de salon, seul maître d'ouvrage dudit Salon, n'aient été sollicitées pour l'exécution d'une quelconque prestation pour son compte et à sa demande, la cour d'appel a retenu une interprétation extensive de la notion d'entreprise utilisatrice allant au-delà des exigences légales et réglementaires, en violation des principes de légalité et d'interpretation stricte de la loi pénale garantis par les afticles 111-3 et 111-4 du code pénal, et 7, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

16. Pour déclarer la société prévenue coupable des délits sanctionnant la méconnaissance des obligations de sécurité incombant à l'entreprise utilisatrice, l'arrêt attaqué énonce que cette qualité doit être appréciée in concreto, au regard des conditions d'organisation du chantier et d'accueil des entreprises extérieures, et non au regard d'une clause contractuelle l'imputant à une autre société, en contradiction avec d'autres stipulations contractuelles confiant à la société [5] des responsabilités en matière de sécurité incompatibles avec le statut d'entreprise extérieure.

17. L'arrêt ajoute que l'entreprise qui en accueille d'autres pour la réalisation d'une opération dans ses locaux doit être qualifiée d'entreprise utilisatrice et qu'il importe peu qu'elle soit propriétaire ou locataire des locaux, ou que les sociétés travaillent ou non pour elle.

18. Les juges relèvent que la société [5] a accueilli la société [1] et la société [2], toutes deux entreprises extérieures, dans des locaux dont elle avait une connaissance approfondie et dans lesquels elle avait l'expérience de l'accueil d'organisateurs de salons.

19. Ils ajoutent que les conditions générales du contrat liant la société [1] et la société [5] prévoyaient, outre la location d'espace, la prestation de divers services auxquels Mme [R], qui circulait entre les stands pour résoudre les difficultés techniques des exposants, concourait au moment de son accident.

20. Ils relèvent que le contrat imposait par ailleurs à la société [1] de faire respecter les instructions et directives du service de sécurité de la société [5], et prévoyait notamment la possibilité pour celle-ci de procéder à des vérifications sur les engins de levage et de manutention utilisés, et le cas échéant d'en interdire l'usage sur son site en cas de non-respect de la réglementation de sécurité.

21. Ils en déduisent que la société [5] doit être considérée comme entreprise utilisatrice et tenue des obligations attachées à cette qualité.

22. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.

23. En effet, en premier lieu, les dispositions de l'article R. 4511-1 du code du travail, qui définissent l'entreprise utilisatrice comme celle dans les locaux de laquelle une entreprise extérieure fait intervenir ses salariés pour réaliser une opération, ne prévoient aucune condition relative à une éventuelle relation contractuelle entre les deux entreprises et imposent des obligations d'ordre public, auxquelles les parties ne peuvent déroger par des clauses contractuelles.

24. En second lieu, les juges ont, par des motifs relevant de leur appréciation souveraine, retenu l'application à la société [5] de la qualité d'entreprise utilisatrice.

25. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [5] coupable de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois dans le cadre du travail, alors :

« 1°/ que la cassation qui ne manquera pas d'être prononcée sur les deuxième et troisième moyens de cassation entraînera la cassation de la décision quant à la constitution du délit blessures involontaires en l'absence d'un quelconque manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imputable à Mme [V], représentante de la société [5] ;

2°/ que l'article 222-19 alinéa 1 du code pénal exige, pour recevoir application, que la faute reprochée à l'organe ou au représentant de la personne morale prévenue ait concouru de façon certaine aux blessures de la victime ; qu'il résulte en l'espèce des éléments de la procédure d'une part, que l'accident survenu à Mme [R], percutée par un engin alors qu'elle était de dos, trouvait sa cause directe et certaine dans l'absence de respect des règles de l'art de la conduite des nacelles élévatrices par le salarié de l'entreprise D-Facto lequel avait indiqué, lors de l'enquête, ne l'avoir pas vue et d'autre part, que Mme [R] se trouvait, au moment de l'accident, sur une allée moquettée en rose correspondant aux allées de circulation des piétons et était parfaitement visible et vêtue d'une parka « [3] »; qu'en se bornant à affirmer que l'absence prétendue de formation à la sécurité de Mme [R] « avait contribue à l'accident subi » sans établir quelles précautions supplémentaires cette formation lui aurait permis de prendre, quand il était établi que Mme [R] avait parfaitement respecté les règles de circulation des piétons et que l'accident trouvait son origine dans l'absence de respect des règles de l'art de la conduite de nacelle élévatrice par le salarié d'une entreprise extérieure intervenant pour le compte de la société organisatrice du salon, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des exigences des articles 121-3 et 222-19 alinéa 1 du code pénal, et 593 du code de procédure pénale, faute d'avoir établi l'existence d'un lien de causalité certain entre le manquement prétendu à la formation invoqué et les blessures subies. »

Réponse de la Cour

Sur la première branche

27. Cette branche du moyen est devenue inopérante par suite du rejet du deuxième moyen et de la non-admission du troisième moyen.

Sur la seconde branche

28. Pour déclarer la prévenue coupable du délit de blessures involontaires, l'arrêt énonce que l'absence de formation de la victime, qui se déplaçait régulièrement entre les stands sans percevoir les risques liés à la circulation d'engins lourds à proximité, a contribué à l'accident qu'elle a subi, en ne lui permettant pas de prendre toutes les précautions nécessaires.

29. En l'état de ces énonciations, caractérisant un lien de causalité certain entre la faute retenue et la survenance du dommage, la cour d'appel a justifié sa décision.

30. Dès lors, le moyen doit être écarté.

31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la Société d'exploitation du [Adresse 4] devra payer à Mme [R] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juin deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-82127
Date de la décision : 08/06/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 17 mars 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 jui. 2022, pourvoi n°21-82127


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.82127
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