LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 juin 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 559 F-D
Pourvoi n° V 21-11.280
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUIN 2022
La société [3] France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de la société [3] Atlantique et Lorraine, a formé le pourvoi n° V 21-11.280 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel d'Amiens (2e protection sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 4], dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [X] [C], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3] France, venant aux droits de la société [3] Atlantique et Lorraine, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 4], et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société [3] France du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [C].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 8 décembre 2020) et les productions, M. [C] (la victime), salarié de la société [3] Atlantique et Lorraine aux droits de laquelle vient la société [3] France (l'employeur), a établi, le 2 janvier 2017, une déclaration de maladie professionnelle pour un « adénocarcinome broncho pulmonaire lobaire supérieur droit ». La caisse primaire d'assurance maladie [Localité 4] (la caisse) ayant pris en charge la maladie, au titre du tableau n° 30 C des maladies professionnelles, par décision du 31 mars 2017, l'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale pour contester l'opposabilité de cette décision.
3. La victime a saisi la même juridiction d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Les deux procédures ont été jointes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant à l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée par la victime, alors :
« 1°/ que l'employeur peut, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision, contester l'opposabilité à son égard de la décision de la CPAM prenant en charge un sinistre au titre de la législation professionnelle en faisant valoir que la CPAM a méconnu les obligations d'information mises à sa charge par les articles R. 441-11, R. 441-13 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale préalablement à sa décision ; qu'au cas présent, la société faisait valoir qu'elle avait, le 18 avril 2017, formé un recours devant la commission de recours amiable pour contester l'opposabilité à son égard de la décision de la CPAM de prendre en charge la maladie de la victime, puis qu'elle avait, le 6 septembre 2017, formé un recours contre la décision de rejet de la commission de recours amiable ; qu'il incombait donc à la cour d'appel de statuer sur ce recours et de rechercher, comme cela lui était demandé, si la CPAM avait respecté les obligations d'information lui incombant préalablement à la décision de prise en charge ; qu'en déclarant la demande d'inopposabilité de l'employeur irrecevable, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1, R. 441-11, R. 441-13 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 4 du code civil ;
2°/ qu'en énonçant que l'employeur était irrecevable à solliciter l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la CPAM comme moyen de défense dans le cadre de l'action en reconnaissance de faute inexcusable, cependant de ce que la société justifiait que la contestation avait été introduite par voie d'action, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que si elle ne remet pas en cause l'action récursoire de la CPAM relativement aux réparations prévues par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, l'inopposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge consécutive à un manquement de la CPAM aux obligations lui incombant au cours de l'instruction interdit de prendre coûts afférents au sinistre pour le calcul du taux de la cotisation AT/MP ; qu'en justifiant l'irrecevabilité de la demande d'inopposabilité de la prise en charge par l'absence d'incidence de l'inopposabilité sur l'action récursoire de la CPAM quant aux conséquences financières de la faute inexcusable, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé, par fausse application, les articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 452-1, R. 142-1, R. 441-14, du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction résultant du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige et 4 du code de procédure civile :
5. Ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par le troisième de ces textes est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur exercée par la victime conformément au premier. Réciproquement, l'exercice par la victime d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est sans incidence sur la recevabilité du recours aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, formé par l'employeur par voie d'action, dans les conditions prévues par le deuxième de ces textes.
6. Pour déclarer irrecevable le recours de l'employeur tendant à l'inopposabilité de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée par la victime, l'arrêt énonce essentiellement que l'inopposabilité de la décision de prise en charge ne peut plus être sollicitée par l'employeur dans le cadre d'une procédure en reconnaissance de sa faute inexcusable, sous peine d'irrecevabilité de ce moyen de défense et que, si elle est reconnue préalablement en dehors de cette action, elle ne peut faire obstacle à l'action récursoire de la caisse, sauf lorsqu'il a été jugé dans les rapports entre cette dernière et l'employeur, par décision passée en force de chose jugée, que l'accident ou la maladie n'avait pas de caractère professionnel.
7. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il résultait des pièces de la procédure, comme l'employeur le soutenait sans être démenti par la caisse, que la juridiction était saisie de deux procédures, l'une engagée par l'employeur dans les délais légaux tendant à l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée par la victime, l'autre engagée parallèlement par la victime tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, procédures dont la jonction prononcée n'avait pas fait disparaître le caractère distinct, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il réforme le jugement déféré en ses dispositions déboutant la société [3] Atlantique et Lorraine de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [C] et en celles déclarant cette décision opposable à cette société et, statuant à nouveau du chef des demandes respectives de cette dernière et de la caisse au titre de l'opposabilité de la décision, déclare ces demandes irrecevables, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 4] et la condamne à payer à la société [3] France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux juin deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [3] France, venant aux droits de la société [3] Atlantique et Lorraine
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de la société [3] Atlantique et Lorraine, aux droits de la laquelle vient la société [3] France, tendant à l'inopposabilité de la décision de la CPAM [Localité 4] de la maladie déclarée par M. [X] [C] au titre de la législation sur les risques professionnelles ;
1. ALORS QUE l'employeur peut, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision, contester l'opposabilité à son égard de la décision de la CPAM prenant en charge un sinistre au titre de la législation professionnelle en faisant valoir que la CPAM a méconnu les obligations d'information mises à sa charge par les articles R. 441-11, R. 441-13 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale préalablement à sa décision ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir qu'elle avait, le 18 avril 2017, formé un recours devant la commission de recours amiable pour contester l'opposabilité à son égard de la décision de la CPAM de prendre en charge la maladie de M. [C], puis qu'elle avait, le 6 septembre 2017, former un recours contre la décision de rejet de la commission de recours amiable ; qu'il incombait donc à la cour d'appel de statuer sur ce recours et de rechercher, comme cela lui était demandé, si la CPAM avait respecté les obligations d'information lui incombant préalablement à la décision de prise en charge ; qu'en déclarant la demande d'inopposabilité de l'exposante irrecevable, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1, R. 441-11, R. 441-13 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 4 du code civil ;
2. ALORS QU'en énonçant que l'employeur était irrecevable à solliciter l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la CPAM comme moyen de défense dans le cadre de l'action en reconnaissance de faute inexcusable, cependant de ce que la société exposante justifiait que la contestation avait été introduite par voie d'action, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3. ALORS QUE si elle ne remet pas en cause l'action récursoire de la CPAM relativement aux réparations prévues par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, l'inopposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge consécutive à un manquement de la CPAM aux obligations lui incombant au cours de l'instruction interdit de prendre coûts afférents au sinistre pour le calcul du taux de la cotisation AT/MP ; qu'en justifiant l'irrecevabilité de la demande d'inopposabilité de la prise en charge par l'absence d'incidence de l'inopposabilité sur l'action récursoire de la CPAM quant aux conséquences financières de la faute inexcusable, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé, par fausse application, les articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale.