LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er juin 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 439 F-D
Pourvoi n° P 20-20.263
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUIN 2022
M. [U] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 20-20.263 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [L], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [D] [L], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Camard et associés,
2°/ à [A] [Y], épouse [O], ayant été domiciliée [Adresse 6], décédée,
3°/ à M. [E] [O], domicilié [Adresse 5],
4°/ à Mme [I] [O], domiciliée [Adresse 4],
5°/ à M. [S] [F] [X], domicilié [Adresse 1],
tous trois pris en qualité d'héritiers de [A] [Y], épouse [O],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dazzan, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [R], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [E] [O], de Mme [I] [O] et de M. [S] [F] [X], après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dazzan, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2020), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 18 octobre 2018, pourvoi n° 17-18.058), le 14 juin 2007, lors d'une vente aux enchères publiques organisée par la société de ventes volontaires agréée Camard et associés (la société), M. [G] [O] s'est porté acquéreur d'un tableau, présenté par le catalogue de la vente sur les indications de M. [R], propriétaire de l'oeuvre, comme ayant été réalisé par l'artiste [B] [K]. Le prix a été réglé par la société Mullion, ayant son siège social à Panama et pour associés [G] [O] et son épouse, [A] [Y].
2. Invoquant un défaut d'authenticité du tableau établi par une expertise judiciaire, [A] [Y], venant aux droits de son époux décédé, a assigné la société et M. [R] en annulation de la vente, en restitution du prix et en indemnisation.
3. [A] [Y] étant décédée le 21 novembre 2020, ses héritiers, M. [E] [O], Mme [I] [O] et M. [S] [F] [X] sont intervenus volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
5. M. [R] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tiré du défaut de qualité et d'intérêt à agir de Mme [O], alors :
« 1°/ que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bordereau d'adjudication établi le 14 juin 2007, soit le jour de la vente, indique clairement que l'acheteur est [G] [O] sous le numéro acheteur, après rature, 26837 ; qu'il est constant que ce numéro acheteur correspond à celui par lequel [G] [O] agissait « pour le compte de? » et non personnellement ; qu'en jugeant néanmoins que [G] [O] avait acquis le tableau à titre personnel et non « pour le compte de? », la cour d'appel a dénaturé le bordereau d'adjudication, méconnaissant le principe susvisé ;
3°/ que l'action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; que l'illicéité de la cause d'un contrat ayant servi de support à une opération de fraude fiscale prive son auteur de tout intérêt à agir en nullité de ce contrat ; qu'en jugeant pourtant qu'aucune conséquence juridique ne pouvait être tirée, quant à la recevabilité de l'action en nullité de Mme [O] au regard de la légitimité de son intérêt à agir, d'une irrégularité fiscale commise par les époux [O] du fait de la détention non déclarée de fonds à l'étranger par le biais de la société Mullion, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile.»
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, c'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, du procès-verbal d'adjudication, qui n'était ni clair ni précis, que la cour d'appel a estimé que [G] [O] avait acquis personnellement le tableau et non pour le compte de la société Mullion.
7. En second lieu, c'est à bon droit qu'elle a retenu que l'irrégularité fiscale invoquée par M. [R], liée à la détention non déclarée de fonds à l'étranger par le biais de la société Mullion, était sans incidence sur la recevabilité de l'action de l'ayant droit de [G] [O].
8. Le moyen n'est donc pas fondé
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. [R] fait grief à l'arrêt de le condamner, après avoir prononcé la nullité de la vente, à restituer à [A] [Y] la somme de 62 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2014 et de dire qu'elle tiendra le tableau à disposition de M. [R] en contrepartie du paiement des sommes mises à la charge de ce dernier, de le condamner in solidum avec la société Camard et associés à lui payer la somme de 13 718,12 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 10 février 2014, outre une somme de 2 500 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt, alors « que M. [R] s'opposait à la restitution du prix versé en faisant valoir l'application de l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans ; qu'en se bornant à le condamner à restituer le prix du tableau à Mme [O], la cour d'appel, qui n'a pas répondu aux conclusions de M. [R], a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Dès lors que, en l'absence de certitude de l'authenticité du tableau, elle a prononcé la nullité de la vente, emportant remise des parties à l'acte dans leur état antérieur, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions contestant devoir procéder à la restitution du prix versé, qui étaient inopérantes.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et le condamne à payer à M. [E] [O], Mme [I] [O] et M. [S] [F] [X] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [R].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [R] fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tiré du défaut de qualité et d'intérêt à agir de Mme [A] [O].
Alors que, en premier lieu, le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bordereau d'adjudication établi le 14 juin 2007, soit le jour de la vente, indique clairement que l'acheteur est [G] [O] sous le numéro acheteur, après rature, 26837 (pièce n° 2) ; qu'il est constant que ce numéro acheteur correspond à celui par lequel [G] [O] agissait « pour le compte de? » et non personnellement ; qu'en jugeant néanmoins que [G] [O] avait acquis le tableau à titre personnel et non « pour le compte de? », la cour d'appel a dénaturé le bordereau d'adjudication, méconnaissant le principe susvisé ;
Alors que, en deuxième lieu, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a jugé établi que les époux [O] étaient les seuls ayants-droit économiques de la société Mullion si celle-ci devait être regardée comme étant propriétaire du tableau, sans que ne soit rapportée aucune preuve de ce que les époux [O] auraient été attributaires du tableau litigieux au moment de la dissolution de la société et du partage qui s'en est suivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 32 du code de procédure civile ;
Alors que, en troisième lieu, l'action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; que l'illicéité de la cause d'un contrat ayant servi de support à une opération de fraude fiscale prive son auteur de tout intérêt à agir en nullité de ce contrat ; qu'en jugeant pourtant qu'aucune conséquence juridique ne pouvait être tirée, quant à la recevabilité de l'action en nullité de Mme [O] au regard de la légitimité de son intérêt à agir, d'une irrégularité fiscale commise par les époux [O] du fait de la détention non déclarée de fonds à l'étranger par le biais de la société Mullion, la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [R] fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à restituer à Mme [A] [O] la somme de 62.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2014 et dit que Mme [A] [O] tiendra à disposition de M. [R] en contrepartie du paiement des sommes mises à la charge de ce dernier, de l'avoir condamné in solidum avec la société Camard et associés à payer à Mme [A] [O] la somme de 13.718,12 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 10 février 2014, outre une somme de 2.500 euros de dommagesintérêts au titre du préjudice moral avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt ;
Alors qu'en l'espèce, M. [R] s'opposait à la restitution du prix versé en faisant valoir l'application de l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans (conclusions, p. 45) ; qu'en se bornant à condamner M. [R] à restituer le prix du tableau à Mme [O], la cour d'appel, qui n'a pas répondu aux conclusions de M. [R], a violé l'article 455 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre