LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 299 F-D
Pourvoi n° H 21-12.188
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
1°/ M. [J] [N],
2°/ M. [M] [B],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
3°/ la société MMA IARD assurances mutuelles,
4°/ la société MMA IARD, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1], co-assureurs et venant aux droits de la société Covea Risks,
ont formé le pourvoi n° H 21-12.188 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2020 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Recylex, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Métaleurop,
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La société Recylex a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de MM. [N] et [B], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, co-assureurs venant aux droits de la société Covea Risks, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Recylex, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, M. Riffaud, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 10 décembre 2020), la société Métaleurop Nord, filiale à 99 % de la société Métaleurop SA devenue la société Recylex, a été mise en redressement judiciaire le 23 janvier 2003. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 10 mars 2003. Le 21 mars 2003, les co-liquidateurs, MM. [B] et [N], ont licencié pour motif économique les salariés de la filiale. De nombreux salariés licenciés ont obtenu par des arrêts des 18 décembre 2009 et 17 décembre 2010, de la cour d'appel de Douai, devenus irrévocables, la reconnaissance de la qualité de co-employeur de la société Recylex et la condamnation de celle-ci à leur payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison de la méconnaissance de son obligation de reclassement.
Les 19 mars 2013 et 18 décembre 2014, la société Recylex a assigné MM. [B] et [N], en leur nom personnel, ainsi que les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA, venant aux droits de la société Covea Risks (les assureurs), sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour les voir condamner in solidum à l'indemniser des sommes par elle versées aux salariés licenciés de la société Métaleurop Nord.
Examen des moyens
Sur le moyen développé par les assureurs au soutien du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
2. Les assureurs font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Recylex avait commis une faute exonérant totalement MM. [B] et [N] de leur responsabilité et a débouté la société Recylex de sa demande en paiement de dommages-intérêts, et de dire que la faute commise par la société Recylex, en qualité de co-employeur des salariés de sa filiale Métaleurop Nord, limitait la part causale de la faute imputable à MM. [B] et [N] dans le préjudice subi par la société Recylex dans une proportion de 95 %, de condamner MM. [B] et [N], in solidum avec leurs assureurs, à payer à la société Recylex la somme de 809 396,75 €, au titre des dommages-intérêts correspondant à la part causale de leur faute dans les condamnations prononcées contre la société Recylex dans le cadre des instances diligentées à son encontre par les anciens salariés de la société Métaleurop Nord pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que le demandeur à une action en responsabilité ne peut obtenir réparation d'un préjudice qui n'est que la conséquence de son propre manquement à ses obligations ; qu'en retenant que les liquidateurs judiciaires et leurs assureurs devaient supporter 5 % du dommage allégué par la société Recylex résultant des indemnités qu'elle avait été condamnée à verser aux salariés de la société Métaleurop Nord, quand elle constatait que la société Recylex, en sa qualité de co-employeur, était personnellement tenue de reclasser les salariés licenciés de la société Métaleurop Nord et qu'elle avait les moyens d'accomplir cette obligation, sans être tributaire de l'accomplissement, par des liquidateurs judiciaires de la société Métaleurop Nord, de leur propre obligation de reclassement, et que c'était la méconnaissance par la société Recylex de cette obligation légale qui avait conduit les juridictions sociales à la condamner à verser aux salariés les indemnités qu'elle invoquait à titre de préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2°/ qu'en toute hypothèse, seul engage sa responsabilité civile celui dont la faute entretient un lien causal avec le préjudice invoqué ; qu'en retenant que les liquidateurs judiciaires et leurs assureurs devaient supporter 5 % du dommage allégué par la société Recylex résultant des indemnités qu'elle avait été condamnée à verser aux salariés de la société Métaleurop Nord, sans rechercher, comme l'y invitaient les liquidateurs judiciaires et leurs assureurs, si la condamnation de la société Recylex n'aurait pas en toute hypothèse été prononcée même sans la faute imputée aux liquidateurs judiciaires, en raison de sa propre carence à reclasser les salariés, carence qui était sans rapport avec celle reprochée aux liquidateurs judiciaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
3. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
4. Pour condamner in solidum les liquidateurs et leurs assureurs à payer à la société Recylex la somme de 809 396,75 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à la part causale de la faute des liquidateurs dans les condamnations prononcées contre la société Recylex en faveur de salariés licenciés de la société Métaleurop Nord, l'arrêt, après avoir énoncé que la société Recylex ne pouvait solliciter la condamnation des liquidateurs que dans la mesure où leur faute avait causé sa propre condamnation, retient d'abord que le lien de causalité entre ces deux éléments est constitué par la qualité de co-employeur des salariés de sa filiale telle qu'elle résulte des décisions définitives de la chambre sociale de la cour d'appel de Douai et que co-employeur des salariés de sa filiale, la société Recylex devait elle-même, directement et de sa propre initiative, réaliser les démarches permettant leur reclassement, sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit préalablement requise d'y procéder par les liquidateurs judiciaires en leur qualité de représentants de la société Métaleurop Nord. L'arrêt retient encore que chaque co-employeur était identiquement obligé à l'égard des salariés à procéder à la recherche de leur reclassement et que l'absence fautive d'interrogation par les liquidateurs de la société mère exclut une exonération totale de ces derniers.
5. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses énonciations et constatations que le préjudice invoqué par la société Recylex constitué par sa condamnation au paiement de dommages-intérêts aux salariés ne procédait que de sa propre carence dans les démarches de reclassement de ceux-ci qu'elle devait, en sa qualité de co-employeur, accomplir directement et de sa propre initiative sans devoir en être préalablement requise par les liquidateurs, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il s'évinçait que, dans leurs rapports entre eux, la responsabilité de la société Recylex absorbait celle des liquidateurs, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
La cassation prononcée sur le pourvoi principal prive de portée le pourvoi incident relatif à la limitation de la part contributive de la faute des liquidateurs dans le préjudice de la société Recylex.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Recylex aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour MM. [N] et [B].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
MM. [N] et [B] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la faute commise par la société Recylex, en qualité de co-employeur des salariés de sa filiale Métaleurop Nord, limitait la part causale de la faute imputable à MM. [B] et [N] dans le préjudice subi par la société Recylex dans une proportion de 95 %, d'avoir condamné MM. [B] et [N], in solidum avec les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, à payer à la société Recylex la somme de 809 396,75 €, au titre des dommages-intérêts correspondant à la part causale de leur faute dans les condamnations prononcées contre la société Recylex dans le cadre des instances sociales diligentées à son encontre par les anciens salariés de la société Métaleurop Nord pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuse, ladite somme produisant intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts et d'avoir condamné MM. [B] et [N] in solidum avec les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, aux dépens de première instance et d'appel ;
1°) Alors que seul le fait générateur sans lequel le dommage ne serait pas survenu constitue une cause nécessaire de ce dommage ; que le manquement commis par le responsable d'un dommage ne constitue pas, pour ce dernier, la cause d'un préjudice résultant de cette condamnation et dont il pourrait lui-même demander réparation à un tiers qui n'a pas contribué à ce manquement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Recylex avait été condamnée dans le cadre de différentes instances introduites à son encontre par des salariés de sa filiale Métaleurop Nord, en sa qualité de co-employeur, faute d'avoir respecté sa propre obligation légale de reclassement de ces salariés, licenciés à la suite de la liquidation judiciaire de la société Métaleurop Nord (arrêt, p. 16) ; qu'en décidant néanmoins que le lien de causalité entre la condamnation prononcée à l'encontre de la société Recylex et la faute imputée aux liquidateurs judiciaires de la filiale, consistant à n'avoir pas respecté l'obligation de reclassement qui pesait sur eux, était constitué par la qualité de co-employeur de la société Recylex à l'égard des salariés de la société Métaleurop Nord (arrêt, p. 16 § 1), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que ce manquement des liquidateurs ne constituait pas la cause des condamnations prononcées à l'encontre de la société Recylex, a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
2°) Alors que seul le fait générateur sans lequel le dommage ne serait pas survenu constitue une cause nécessaire de ce dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le lien de causalité entre la condamnation prononcée à l'encontre de la société Recylex et la faute imputée aux liquidateurs judiciaires, consistant à n'avoir pas respecté l'obligation de reclassement qui pesait sur eux, était constitué par la qualité de co-employeur de la société Recylex à l'égard des salariés de sa filiale Métaleurop Nord (arrêt, p. 16 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, par un motif inopérant tiré de la qualité de co-employeur de la société Recylex à l'égard des salariés de la société Métaleurop Nord, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
3°) Alors que les termes du litige sont fixés par les écritures des parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour retenir la responsabilité de MM. [N] et [B] envers la société Recylex, a considéré que, sauf à se contredire, celle-ci ne pouvait tout à la fois justifier sa demande indemnitaire à leur encontre par sa condamnation en qualité de co-employeur et prétendre qu'elle n'avait pas cette qualité (arrêt, p. 16 § 3) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la société Recylex soutenait qu'elle n'avait pas la qualité de co-employeur, et que c'était cette absence de qualité qui justifiait, selon elle, la responsabilité des liquidateurs judiciaires (concl., p. 33), de sorte que la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'une telle argumentation était empreinte de contradiction – ce qui la privait de tout fondement – ne pouvait accueillir la demande indemnitaire de la société Recylex au motif la cause du dommage allégué par cette dernière résidait dans sa qualité de co-employeur, ce qu'elle ne soutenait pas, sauf à méconnaître l'objet du litige et à violer ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) Alors que, subsidiairement, seul le fait générateur sans lequel le dommage ne serait pas survenu constitue une cause nécessaire de ce dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré, pour juger que les liquidateurs judiciaires ne pouvaient pas se prévaloir d'une « exonération totale », que la reconnaissance d'un co-emploi des salariés de la filiale Métaleurop Nord par la société mère Métaleurop, devenue Recylex, conduisait à « faire peser sur les deux employeurs une obligation commune à l'égard des salariés visés par un licenciement économique de rechercher, de façon toutefois autonome, leur reclassement », de sorte que chaque co-employeur était « identiquement obligé à l'égard des salariés pour y procéder » (arrêt, p. 17 § 4) ; qu'en se prononçant ainsi, à supposer qu'elle en ait déduit l'existence d'un lien de causalité entre la faute imputée aux liquidateurs judiciaires et les condamnations prononcées à l'encontre de la société Recylex pour manquement à son obligation de reclassement, tandis que ce motif était impropre à établir en quoi la situation de co-emploi pouvait caractériser un lien de causalité entre les condamnations prononcées contre la société Recylex et la méconnaissance imputée aux liquidateurs judiciaires de leur propre obligation de reclassement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
5°) Alors que, subsidiairement, en cas de licenciement d'un salarié dans le cadre de la liquidation judiciaire d'une société appartenant à un groupe, et dès lors que ce salarié a fait l'objet d'un co-emploi, chaque co-employeur est tenu envers le salarié licencié d'une obligation de reclassement qui lui est propre, et dont le manquement éventuel n'engage pas l'autre co-employeur à y répondre solidairement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé, pour considérer que les liquidateurs judiciaires de la filiale ne pouvaient pas se prévaloir d'une « exonération totale », que la reconnaissance d'un co-emploi des salariés de la société Métaleurop Nord par la société mère Métaleurop, devenue Recylex, conduisait à « faire peser sur les deux employeurs une obligation commune à l'égard des salariés visés par un licenciement économique de rechercher, de façon toutefois autonome, leur reclassement », de sorte que chaque co-employeur était « identiquement obligé à l'égard des salariés pour y procéder » (arrêt, p. 17 § 4), à supposer qu'elle en ait déduit l'existence d'un lien de causalité entre la faute reprochée aux liquidateurs et les condamnations prononcées à l'encontre de la société Recylex pour manquement à son obligation de reclassement ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la situation de co-emploi ne consacre aucune solidarité entre les co-employeurs en cas de manquement de l'un ou l'autre à leur propre obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
MM. [N] et [B] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la faute commise par la société Recylex, en qualité de co-employeur des salariés de sa filiale Métaleurop Nord, limitait la part causale de la faute imputable à MM. [B] et [N] dans le préjudice subi par la société Recylex dans une proportion de 95 %, d'avoir condamné MM. [B] et [N], in solidum avec les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, à payer à la société Recylex la somme de 809 396,75 €, au titre des dommages-intérêts correspondant à la part causale de leur faute dans les condamnations prononcées contre la société Recylex dans le cadre des instances sociales diligentées à son encontre par les anciens salariés de la société Métaleurop Nord pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuse, ladite somme produisant intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts et d'avoir condamné MM. [B] et [N] in solidum avec les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, aux dépens de première instance et d'appel ;
Alors que les dommages-intérêts mis à la charge d'une personne afin d'indemniser les conséquences d'un manquement qui lui est personnellement imputable ne peuvent constituer un préjudice réparable dont elle peut se prévaloir pour elle-même agir en responsabilité à l'encontre d'un tiers au motif qu'il aurait contribué, par une faute distincte, à ce préjudice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné MM. [N] et [B], in solidum avec leur assureur, à payer à la société Recylex la somme de 809 396,75 € « au titre des dommages-intérêts correspondant à la part causale de leur faute dans les condamnations prononcées contre la société Recylex dans le cadre des instances sociales diligentées à son encontre par les anciens salariés de la société Métaleurop Nord pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuse » (arrêt, p. 22 § 6), après avoir considéré que « le préjudice qu'invoque la société Recylex résulte de sa condamnation par des décisions définitives de la chambre sociale de la cour d'appel de Douai » (arrêt, p. 17 dernier §) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses constatations que le préjudice allégué par la société Recylex correspondait aux condamnations mises à sa charge dans le cadre de différentes instances au titre d'un manquement à ses propres obligations en tant que co-employeur, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code. Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, co-assureurs venant aux droits de la société Covea Risks.
Les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement qui avait dit que la SA Recylex avait commis une faute exonérant totalement Mes [B] et [N] de leur responsabilité et débouté la SA Recylex de sa demande en paiement de dommages et intérêts mis à sa charge à l'occasion des procédures engagées par les salariés de la société Métaleurop Nord, d'AVOIR dit que la faute commise par la SA Recylex en qualité de co-employeur des salariés de la SA Métaleurop Nord limitait la part causale de la faute imputable à Mes [B] et [N] dans le préjudice subi par la SA Recylex, dans une proportion de 95 %, d'AVOIR condamné in solidum Mes [B] et [N] à payer à la SA Recylex la somme de 809 396,75 euros, au titre des dommages et intérêts correspondant à la part causale de leur faute dans les condamnations prononcées contre la SA Recylex dans le cadre des instances sociales diligentées à son encontre par les anciens salariés de la SA Métaleurop Nord pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts au taux légal à compter de sa décision et capitalisation de ces intérêts, et d'AVOIR condamné les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles, in solidum avec Mes [B] et [N], à payer à la SA Recylex la somme de 809 396,75 euros, au titre des dommages et intérêts correspondant à la part causale de la faute commise par leurs assurés dans les condamnations prononcées contre la SA Recylex dans le cadre des instances sociales diligentées à son encontre par les anciens salariés de la SA Métaleurop Nord pour leur licenciement sans cause réelle et sérieuses, outre intérêts au taux légal à compter de sa décision et capitalisation de ces intérêts ;
1° ALORS QUE le demandeur à une action en responsabilité ne peut obtenir réparation d'un préjudice qui n'est que la conséquence de son propre manquement à ses obligations ; qu'en retenant que les liquidateurs judiciaires et leurs assureurs devaient supporter 5 % du dommage allégué par la société Recylex résultant des indemnités qu'elle avait été condamnée à verser aux salariés de la société Métaleurop Nord, quand elle constatait que la société Recylex, en sa qualité de co-employeur, était personnellement tenue de reclasser les salariés licenciés de la société Métaleurop Nord et qu'elle avait les moyens d'accomplir cette obligation, sans être tributaire de l'accomplissement, par des liquidateurs judiciaires de la société Métaleurop Nord, de leur propre obligation de reclassement, et que c'était la méconnaissance par la société Recylex de cette obligation légale qui avait conduit les juridictions sociales à la condamner à verser aux salariés les indemnités qu'elle invoquait à titre de préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2° ALORS QU'en toute hypothèse, seul engage sa responsabilité civile celui dont la faute entretient un lien causal avec le préjudice invoqué ; qu'en retenant que les liquidateurs judiciaires et leurs assureurs devaient supporter 5 % du dommage allégué par la société Recylex résultant des indemnités qu'elle avait été condamnée à verser aux salariés de la société Métaleurop Nord, sans rechercher, comme l'y invitaient les liquidateurs judiciaires et leurs assureurs, si la condamnation de la société Recylex n'aurait pas en toute hypothèse été prononcée même sans la faute imputée aux liquidateurs judiciaires, en raison de sa propre carence à reclasser les salariés, carence qui était sans rapport avec celle reprochée aux liquidateurs judiciaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3° ALORS QU'en toute hypothèse, seul engage sa responsabilité civile celui dont la faute entretient un lien causal avec le préjudice invoqué ; qu'en affirmant, pour en déduire que la faute commise par les liquidateurs judiciaires avait contribué à la réalisation du dommage allégué par la SA Recylex résultant des indemnités qu'elle avait été condamnée à verser aux salariés de la société Métaleurop Nord, que « la circonstance qu'un co-emploi ait été judiciairement retenu à l'égard de (la société SA Recylex) condui(sait) exclusivement à faire peser solidairement sur les deux employeurs une obligation commune à l'égard des salariés visés par un licenciement économique de rechercher, de façon toutefois autonome, leur reclassement » de sorte que « chaque co-employeur était identiquement obligé à l'égard des salariés pour y procéder et (que) l'absence fautive d'interrogation de la société-mère par les liquidateurs exclu(ait) une exonération totale de ces derniers », quand la méconnaissance par la SA Recylex de son obligation de reclassement, beaucoup plus étendue que celle incombant aux liquidateurs, n'entretenait aucun lien avec la méconnaissance par ces derniers de leur obligation à ce titre, de sorte que sa condamnation à indemniser les salariés, causée par son l'abstention fautive, aurait été prononcée de la même façon que les liquidateurs aient ou non accompli leur obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour la société Recylex.
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR dit y avoir lieu à retenir une faute commise par la SA RECYLEX en qualité de co-employeur des salariés de la SA METALEUROP NORD et D'AVOIR dit que cette faute commise par la SA RECYLEX limite la part causale de la faute imputable à MM. [M] [B] et [J] [N] dans le préjudice subi par la SA RECYLEX, dans une proportion de 95 %, et D'AVOIR, en conséquence, limité la condamnation in solidum de MM. [M] [B] et [J] [N], in solidum avec les SA MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles, envers la société RECYLEX, au paiement de la somme de 809 396,75 € ;
ALORS QUE lorsqu'une faute a été retenue à l'encontre de chacun des coauteurs d'un dommage, la contribution de chacun à la dette a lieu en proportion de la gravité respective des fautes commises ; Qu'en l'espèce, pour laisser à la charge de la société exposante 95 % des sommes qu'elle a réglées à titre d'indemnités pour licenciements sans cause réelle et sérieuse de salariés dont le reclassement n'a pas été recherché, la cour d'appel, après avoir relevé que les liquidateurs ont eux-mêmes manqué à leur obligation de reclassement qui a contribué à la réalisation du dommage constitué par les indemnités de rupture litigieuses, a énoncé que la société RECYLEX, société mère du groupe, bénéficiait à ce titre des moyens lui permettant de dresser dans ce périmètre la liste des salariés de sa filiale, de recueillir et d'analyser les emplois correspondant aux postes des salariés licenciés et de proposer à ces derniers des offres de reclassement ; Qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il ne résulte pas que la gravité de la faute reprochée à l'exposante ait été supérieure à celle reprochée aux liquidateurs, alors surtout que l'appelante et les intimés se sont vus reprocher une seule et même faute, caractérisée par l'absence de recherche de reclassement des salariés dont le licenciement économique était envisagé, ladite faute ayant entraîné une seule et même conséquence, à savoir l'allocation aux salariés licenciés d'indemnités de rupture pour licenciements sans cause réelle et sérieuse, de sorte qu'en cet état rien ne permettait de justifier un partage de responsabilité inégalitaire entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil.