LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 mai 2022
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 578 F-D
Pourvoi n° G 20-18.717
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MAI 2022
La société Instruments et Controls, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 20-18.717 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à [X] [D], ayant été domicilié [Adresse 3], décédé,
2°/ à Mme [P] [R], veuve [D], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à M. [J] [D], domicilié [Adresse 1],
4°/ à M. [M] [D], domicilié [Adresse 4],
pris tous trois en leur qualité d'ayants droit de [X] [D], décédé,
défendeurs à la cassation.
Les consorts [D], pris en leur qualité d'ayants droit de [X] [D], décédé, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Instruments et Controls, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat des consorts [D], ès qualités, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société Instruments et Controls de sa reprise d'instance à l'encontre des ayants droit de [X] [D], décédé après le dépôt du pourvoi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2020), [X] [D] a été engagé en 1984 par la société Instruments et Controls dont il est devenu directeur général en 2005. En 2011, il a en outre été nommé gérant de la société Insco services, filiale alors créée par la société Instruments et Controls en Algérie.
3. Le 18 avril 2016, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Par lettre du 24 mai 2016, il a été licencié pour faute grave.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal et le pourvoi incident, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre de rappels de salaire sur mise à pied, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence, alors « que l'article L. 1332-3 du code du travail prévoit la possibilité pour l'employeur de prononcer une mise à pied conservatoire à effet immédiat lorsque les agissements du salarié la rendent indispensable, dans l'attente de l'issue de la procédure ; que la mise à pied présente un caractère conservatoire et non disciplinaire dès lors qu'elle a été immédiatement suivie de l'ouverture d'une procédure de licenciement, dans l'attente du prononcé d'une sanction ; que, dans ces conditions, le fait que le salarié reprenne le travail postérieurement à la notification de la mise à pied conservatoire n'a pas pour effet de la requalifier en mise à pied disciplinaire ; qu'au cas présent, par courrier recommandé du 18 avril 2016, la société Instruments et controls a convoqué le salarié à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 3 mai 2016, en même temps qu'elle lui notifiait sa mise à pied conservatoire ; que le salarié a néanmoins repris le travail dès le 21 avril 2016 ; que, nonobstant la reprise du travail par le salarié, la mise à pied conservatoire ne présentait pas la nature d'une sanction et n'avait pas pour effet d'épuiser le pouvoir disciplinaire de l'employeur ; qu'en considérant néanmoins qu'« il en résulte que la mise à pied prononcée a été interrompue par une reprise du travail et que le licenciement a été prononcé pour des faits similaires à ceux ayant motivé la mise à pied de sorte que la mise à pied conservatoire doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire», la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à retirer à la mesure son caractère conservatoire et à entraîner sa requalification en mise à pied disciplinaire, a violé les articles L. 1332-2 et L. 1332-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Vu les articles L. 1332-2 et L. 1332-3 du code du travail :
7. La mise à pied prononcée par l'employeur dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps a un caractère conservatoire. Le fait pour l'employeur de renoncer à la mise à pied conservatoire, en demandant au salarié de reprendre le travail n'a pas pour effet de requalifier la mesure en mise à pied disciplinaire.
8. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le salarié, après avoir été mis à pied, a continué à travailler pour son employeur, en se déplaçant en Algérie en vue de l'ouverture de plis d'appels d'offres, en adressant des courriels aux partenaires des sociétés afin de les informer de sa présence au bureau et en établissant une procuration, en sa qualité de directeur général de la société Instruments et Controls, afin de permettre à son correspondant de retirer un appel d'offres. Il en déduit qu'ayant été interrompue par la reprise du travail pour le compte de l'employeur, la mise à pied doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire et que le licenciement ne peut donc pas être justifié par les faits ainsi déjà sanctionnés.
9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à priver la mise à pied de son caractère conservatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation prononcée ne s'étend pas au chef du dispositif de l'arrêt qui rejette la demande présentée au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence, lequel est sans lien avec la requalification de la mise à pied ou l'appréciation de la cause du licenciement.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne l'employeur à payer au salarié les sommes de 4 300 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied et 430 euros à titre de congés payés afférents, 16 125 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 612,50 euros à titre de congés payés afférents, 55 815,10 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, l'arrêt rendu le 17 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [J] [D], M. [M] [D] et Mme [R], en leur qualité d'ayants droit de [X] [D], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Instruments et Controls, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Instruments et Controls fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de M. [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamné à lui payer les sommes de 4.300 euros à titre de rappels de salaire sur mise à pied, 430 euros à titre de congés payés y afférents, 16.125 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1.612,50 euros à titre de congés payés y afférents, 55.815,10 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 80.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 18.039,98 euros à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence.
1. ALORS QUE l'article L. 1332-3 du code du travail prévoit la possibilité pour l'employeur de prononcer une mise à pied conservatoire à effet immédiat lorsque les agissements du salarié la rendent indispensable, dans l'attente de l'issue de la procédure ; que la mise à pied présente un caractère conservatoire et non disciplinaire dès lors qu'elle a été immédiatement suivie de l'ouverture d'une procédure de licenciement, dans l'attente du prononcé d'une sanction ; que, dans ces conditions, le fait que le salarié reprenne le travail postérieurement à la notification de la mise à pied conservatoire n'a pas pour effet de la requalifier en mise à pied disciplinaire ; qu'au cas présent, par courrier recommandé du 18 avril 2016, la société Instruments et Controls a convoqué M. [D] à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 3 mai 2016, en même temps qu'elle lui notifiait sa mise à pied conservatoire ; que le salarié a néanmoins repris le travail dès le 21 avril 2016 ; que, nonobstant la reprise du travail par le salarié, la mise à pied conservatoire ne présentait pas la nature d'une sanction et n'avait pas pour effet d'épuiser le pouvoir disciplinaire de l'employeur ; qu'en considérant néanmoins qu' « il en résulte que la mise à pied prononcée a été interrompue par une reprise du travail et que le licenciement a été prononcé pour des faits similaires à ceux ayant motivé la mise à pied de sorte que la mise à pied conservatoire doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire », la Cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à retirer à la mesure son caractère conservatoire et à entrainer sa requalification en mise à pied disciplinaire, a violé les articles L. 1332-2 et L. 1332-3 du code du travail.
2. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE si l'on devait admettre qu'une mise à pied conservatoire puisse être requalifiée en sanction disciplinaire lorsque le salarié reprend le travail avant la tenue de l'entretien préalable à licenciement, ce n'est qu'à la condition que la reprise du travail ait été demandée ou autorisée par l'employeur ; qu'au cas présent, la société Instruments et Controls faisait valoir qu'elle avait notifié la mise à pied conservatoire de M. [D] par courrier recommandé du 18 avril 2016, et qu'elle ne lui avait jamais demandé de reprendre le travail postérieurement à cette date ; qu'elle faisait valoir expressément que M. [D] « n'a donc pas travaillé pour son employeur, la société Instruments et Controls durant sa mise à pied à titre conservatoire » ; qu'en considérant néanmoins que « Bien que M. [D] ait été mis à pied à titre [conservatoire] le 18 avril 2016, M. [D] continuait de travailler pour la société Instruments et Controls », sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée, si la société Instruments et Controls était à l'initiative de la reprise d'activité de M. [D], la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1332-2 et L. 1332-3 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Instruments et Controls fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de M. [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamné à lui payer la somme de 18.039,98 euros à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence.
ALORS QUE l'employeur n'est tenu de verser la contrepartie financière de la clause de non concurrence que lorsque le salarié a, postérieurement à la rupture du contrat de travail, respecté son obligation de non concurrence ; qu'au cas présent, la société Instruments et Controls demandait que M. [D] soit intégralement débouté de toutes ses demandes et soutenait dans ses conclusions d'appel que le salarié avait exercé une activité concurrente de celle de son employeur, à compter du 14 février 2014, par l'intermédiaire de la société Tradexo, dont il était le gérant, exerçant la même activité, domiciliée dans les locaux de la société, utilisant ses ressources et s'adressant au même marché, de sorte qu'il avait violé son obligation contractuelle de non concurrence ; qu'en condamnant néanmoins la société Instruments et Controls à verser au salarié la somme de 18.039,98 euros au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence, sans relever que le salarié avait effectivement respecté son obligation de non concurrence, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour les consorts [D], ès qualités, demandeurs au pourvoi incident
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les ayants droits de [X] [D] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement sur le rappel de prime 2016 et d'AVOIR, par voie de conséquence, limité les sommes allouées à titre de rappel de salaire sur mise à pied et congés payés y afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents, d'indemnité légale de licenciement, et de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence.
1° ALORS QUE en retenant, pour écarter le droit du salarié à bénéficier d'une prime annuelle d'objectifs pour l'année 2015, que le résultat d'exploitation cours de l'année 2016 s'était révélé négatif, ce qui signifiait qu'aucune rentabilité n'avait été réalisée par la société Instruments et controls, quand l'annexe A du contrat de travail mentionnait que l'objectif de rentabilité des exercices était fixé à un minimum de 5 % du chiffre d'affaires, ce dont il résultait qu'il ne pouvait pas être tenu compte du résultat d'exploitation, la cour d'appel a dénaturé l'annexe A du contrat de travail en méconnaissance de l'article 1103 du code civil.
2° ALORS QUE le contrat de travail stipulait le versement d'une prime annuelle d'objectifs ; qu'en constatant que le résultat d'exploitation de l'année 2016 était négatif, quand le salarié sollicitait un rappel de prime d'objectifs au titre de l'exercice 2015 qui aurait dû lui être versée au mois d'avril 2016, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil.
3° ALORS QUE, en tout état de cause, en retenant, pour écarter le droit du salarié à bénéficier d'une prime annuelle d'objectifs pour l'année 2015, que le résultat d'exploitation s'était révélé négatif, quand le bilan de l'exercice 2015 de la société Instruments et controls faisait apparaître un résultat d'exploitation d'un montant de 167.901 euros, la cour d'appel a dénaturé le bilan de l'exercice 2015 en méconnaissance de l'article 1103 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les ayants droits de [X] [D] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement sur les heures supplémentaires.
1° ALORS QUE en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en abstenant d'examiner le décompte des samedi et dimanche travaillés de décembre 2013 à avril 2016 versé aux débats par le salarié, durant lesquels il avait dû se rendre en Algérie à la demande de son employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 3171-2 et L. 3171-4 du code du travail.
2° ALORS QUE, en tout état de cause, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en reprochant au salarié de ne pas avoir prouvé qu'il avait accompli un travail effectif en Algérie durant les jours de repos hebdomadaires, la cour d'appel a violé les articles L. 3171-2 et L. 3171-4 du code du travail.