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11/05/2022 | FRANCE | N°21-82280

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 mai 2022, 21-82280


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° U 21-82.280 F-D

N° 00542

ECF
11 MAI 2022

CASSATION

Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MAI 2022

La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 1 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e sectio

n, en date du 18 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de blanchiment en bande organisée et exercice...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° U 21-82.280 F-D

N° 00542

ECF
11 MAI 2022

CASSATION

Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MAI 2022

La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 1 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 18 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de blanchiment en bande organisée et exercice illégal de la profession de banquier, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.

Par ordonnance en date du 30 novembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 mars 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Ascensi, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société [1], exerçant l'activité d'exportation de véhicules automobiles, a été mise en examen des chefs susvisés.

3. Il lui est notamment reproché, sous la qualification de blanchiment, d'avoir encaissé des chèques émanant de sociétés exerçant dans le domaine de la sécurité ou du bâtiment qui les ont émis en contrepartie de remises d'espèces par les clients algériens de la société [1], sans cependant qu'il n'existe de relations économiques entre les sociétés en cause de nature à justifier ces encaissements. La société [1] aurait ainsi encaissé trois cent cinquante-trois chèques pour un montant total de 1 034 467,06 euros.

4. Par ordonnance du 4 juillet 2019, le juge d'instruction a ordonné le maintien de la saisie de la somme totale de 145 858,97 euros figurant sur deux comptes bancaires dont est titulaire la société [1] au Crédit agricole Sud Rhône-Alpes. La société [1] a interjeté appel de la décision. Par arrêt n° 2 du 18 mars 2021, la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance attaquée. Cette décision fait l'objet du pourvoi n° V 21-82.281.

5. Le juge d'instruction aurait par ailleurs saisi trente trois véhicules appartenant à la société [1], d'une valeur totale de 1 330 225 euros.

6. Par ordonnance du 4 juillet 2019, le juge d'instruction a ordonné le maintien de la saisie en valeur de la somme de 222 696,45 euros figurant sur un compte bancaire dont est titulaire la société [1] à la Banque postale.

7. La société [1] a interjeté appel de cette dernière décision.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction du 4 juillet 2019 ayant maintenu la saisie effectuée le 25 juin 2019 du solde créditeur d'un compte de la société [1] dans les livres de la Banque postale, alors :

« 1°/ que le montant d'une saisie pénale en valeur, toutes saisies confondues, ne doit pas excéder la valeur de la chose susceptible de confiscation ; qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle-même constaté que le montant des infractions poursuivies était de 1 034 467,06 euros ; qu'en se bornant, pour valider les saisies des soldes créditeurs des comptes bancaires, que ceux-ci s'élevaient au total à 368 555,42 euros, sans répondre au moyen par lequel la société [1] faisait valoir que ce montant devait être cumulé avec les saisies de véhicules automobiles effectuées pour un montant de 1 330 225 euros, de sorte que les saisies totales excédaient le montant de l'infraction poursuivie, la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le montant d'une saisie pénale en valeur, toutes saisies confondues, ne doit pas excéder la valeur de la chose susceptible de confiscation ; qu'au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a elle même constaté que le montant des infractions poursuivies était de 1 034 467,06 euros ; qu'en affirmant, pour valider les saisies des soldes créditeurs des comptes bancaires, que ceux-ci s'élevaient au total à 368 555,42 euros, refusant ainsi de prendre en compte les saisies de véhicules automobiles effectuées pour un montant de 1 330 225 euros et validant ainsi des saisies totales excédant le montant de l'infraction poursuivie, la chambre de l'instruction a violé les articles 131-21 du code pénal, 97 et 593 du code de procédure pénale. »

9. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction du 4 juillet 2019 ayant maintenu la saisie effectuée le 25 juin 2019 du solde créditeur d'un compte de la société [1] dans les livres de la Banque postale, alors :

« 1°/ qu'hormis le cas où la saisie, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, le juge, en autorisant ou ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, au regard de la situation personnelle de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une saisie de patrimoine ; que pour l'appréciation de la proportionnalité, le juge doit prendre en considération l'ensemble des saisies réalisées, quel que soit leur fondement ; qu'en affirmant qu' « il n'y a pas lieu, pour apprécier la proportionnalité de la saisie, de prendre en compte la valeur des véhicules saisis dans les locaux de Berchex, en application de l'article 99 du code de procédure pénale », la chambre de l'instruction a violé les articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 97, 99 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'hormis le cas où la saisie, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, le juge, en autorisant ou ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, au regard de la situation personnelle de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une saisie de patrimoine ; que pour l'appréciation de la proportionnalité, le juge doit prendre en considération l'ensemble des saisies réalisées, qu'elles aient ou non été contestées ; qu'en affirmant qu' « il n'y a pas lieu, pour apprécier la proportionnalité de la saisie, de prendre en compte la valeur des véhicules saisis dans les locaux de Berchex, en application de l'article 99 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction n'ayant pas été amenée, en l'état, à se prononcer sur la régularité de cette saisie de droit commun », la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant en violation des articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 97, 99 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 706-141-1, 706-153 et 593 du code de procédure pénale :

11. Il résulte de ces textes que le montant cumulé des saisies pénales en valeur ne doit pas excéder la valeur du bien susceptible de confiscation.

12. Par ailleurs, chacun des auteurs ou complices de l'infraction encourt la confiscation de la valeur totale de l'objet ou du produit de cette infraction, à la condition que la valeur de la totalité des biens confisqués à l'ensemble des auteurs et complices n'excède pas celle de l'objet ou du produit.

13. Cependant, si le moyen pris de la violation du principe de proportionnalité au regard du droit de propriété est inopérant lorsque la saisie a porté sur la valeur de l'objet ou du produit direct ou indirect de l'infraction, le juge qui ordonne la saisie en valeur d'un bien appartenant ou étant à la libre disposition d'un auteur ou complice de l'infraction, alors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure de présomptions qu'il a bénéficié de la totalité de l'objet ou du produit, doit néanmoins apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé s'agissant de la partie de l'objet ou du produit dont il n'aurait pas tiré profit.

14. Pour confirmer la saisie, l'arrêt retient que la société [1] encourt la confiscation de l'objet du délit de blanchiment qui lui est reproché, lequel peut être évalué à la somme de 1 034 467,06 euros correspondant au montant cumulé des chèques encaissés par cette société en contrepartie des véhicules vendus par elle à des clients résidant en Algérie et remettant des dinars à des intermédiaires.

15. Les juges précisent qu'une autre saisie ayant été pratiquée le 25 juin 2019 à hauteur de 145 858,97 euros sur deux autres comptes bancaires de la société [1] et maintenue par ordonnance du 4 juillet 2019, le montant total des sommes saisies s'élève à 368 555,42 euros et est inférieur au montant de l'objet de l'infraction.

16. Ils ajoutent qu'au contraire il n'y a pas lieu, pour apprécier la proportionnalité de la saisie, de prendre en compte la valeur des véhicules saisis dans les locaux de la société [1], la chambre de l'instruction n'ayant pas été amenée, en l'état, à se prononcer sur la régularité de cette saisie de droit commun.

17. Enfin, ils énoncent, après avoir relevé que le montant total des sommes saisies est inférieur à l'objet de l'infraction et qu'il n'est produit aucun document comptable laissant penser que le maintien de la saisie serait de nature à entraîner la cessation des paiements de la société [1], que cette mesure est proportionnée.

18. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

19. En effet, d'une part, c'est à tort que les juges ont dit n'y avoir lieu de prendre en compte la valeur des véhicules saisis dans les locaux de la société [1], alors qu'ils devaient rechercher si ces véhicules avaient été saisis en valeur à titre d'objet de l'infraction et, dans l'affirmative, s'assurer que le montant cumulé des saisies pénales en valeur mises en oeuvre était inférieur au montant de cet objet.

20. D'autre part, si la société [1] encourt la confiscation de la valeur totale de l'objet de l'infraction qui lui est reprochée, il appartenait cependant aux juges de rechercher s'il existait des présomptions que cette société avait bénéficié de la totalité de cet objet et, à défaut, de contrôler, dès lors que cette garantie se trouvait invoquée, le caractère proportionné de l'atteinte portée à son droit de propriété au regard de la gravité concrète des faits et de sa situation personnelle, s'agissant de la partie de l'objet dont elle n'aurait pas tiré profit.

21. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 18 mars 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mai deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-82280
Date de la décision : 11/05/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 18 mars 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 mai. 2022, pourvoi n°21-82280


Composition du Tribunal
Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.82280
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