LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 391 F-D
Pourvoi n° D 21-16.992
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La société Fininvest, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 21-16.992 contre l'arrêt rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [G] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société Vend'Immo, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Greff-Bohnert, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Fininvest, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [M], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Vend'Immo, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Greff-Bohnert, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 mars 2021), par acte du 4 octobre 2011 dressé par M. [M] (le notaire), la société Fininvest, dont M. [X] était le gérant et l'unique associé, a vendu un bien immobilier à la société Vend'Immo, dont M. [X] était également gérant et associé.
2. La société Vend'Immo a contracté un prêt auprès de la Société générale (la banque) pour financer cette acquisition.
3. Par acte du 31 octobre 2011, M. [X] a vendu l'ensemble des parts sociales de la société Vend'Immo à un tiers.
4. Le remboursement du prêt immobilier n'étant pas assuré, la banque a fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente de l'immeuble.
5. Par acte du 10 mars 2016, la société Vend'Immo a assigné la société Fininvest et la banque en nullité du contrat de vente et du contrat de prêt sur le fondement du dol, et a appelé le notaire en intervention forcée.
Examen du moyen
6. La société Fininvest fait grief à l'arrêt de juger qu'elle a commis un dol au préjudice de la société Vend'Immo, de prononcer la nullité de la vente et d'ordonner la restitution du prix, alors :
« 1°/ que l'intégrité du consentement d'une personne morale et l'erreur déterminante qu'elle a pu commettre ne pouvant s'apprécier qu'en la personne de son représentant légal lors de la conclusion du contrat, la représentation de deux sociétés par le même représentant légal exclut que l'une ait pu être trompée par l'autre ; que pour dire que la société Vend'Immo avait été victime d'un dol de la société Fininvest et prononcer la nullité du contrat de vente, l'arrêt attaqué retient que « le consentement de la société Vend'Immo, personne morale contractante, a bien été vicié en ce qu'il n'a pu s'exprimer librement mais par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de Fininvest »; qu'en se déterminant ainsi, quand l'intégrité du consentement de la société Vend'Immo et l'erreur qu'elle aurait pu commettre ne pouvaient s'apprécier qu'en la personne de son gérant et qu'il résultait de ses propres énonciations que la « réalité de la surévaluation » du prix de vente était « évidemment connue » de ce dernier, ce dont elle aurait dû déduire que la société Vend'Immo n'avait pas pu être trompée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que le dol étant une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contractée, l'intégrité du consentement d'une personne morale ne peut s'apprécier qu'en la personne de son représentant légal lors de la conclusion du contrat ; qu'en relevant, pour annuler la vente, que « Vend'Immo n'aurait pas contracté au prix proposé si elle avait été représentée par le cessionnaire de ses parts sociales, lequel aurait défendu ses intérêts », après avoir pourtant constaté que la société était représentée à la vente par son gérant en exercice, M. [X], la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif à la fois hypothétique et inopérant, impropre à établir l'erreur de la société Vend'Immo, a privé la décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ que l'intention de tromper constitutive du dol d'une personne morale ne pouvant s'apprécier qu'en la personne de son représentant légal lors de la conclusion du contrat, la représentation de deux sociétés par le même représentant légal exclut que l'une puisse avoir l'intention de tromper l'autre ; que pour dire que la société Fininvest avait commis un dol et prononcer la nullité de la vente, l'arrêt retient que « le consentement de la société Vend'Immo, personne morale contractante a bien été vicié en ce qu'il n'a pu s'exprimer librement mais par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de Fininvest », et que Vend'Immo n'aurait pas contracté au prix proposé si elle avait été représentée par le cessionnaire de ses parts sociales lequel aurait défendu ses intérêts » ; qu'en se déterminant ainsi, quand aucune intention dolosive ne pouvait être imputée à la société Fininvest, dès lors qu'elle avait le même gérant et représentant que la société Vend'Immo, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a constaté que le prix de l'immeuble vendu par la société Fininvest à la société Vend'Immo était surévalué et que cette surévaluation était connue du gérant de la société venderesse, celui-ci vendant le même jour un immeuble similaire à un prix inférieur.
8. Elle a retenu que M. [X], en utilisant sa double qualité d'associé et de gérant au sein des deux sociétés, avait sciemment favorisé la société Fininvest au détriment de sa société Vend'Immo dont il allait se séparer quelques jours après la vente, la société Fininvest récupérant un prix élevé sans avoir à rembourser l'emprunt afférent en se désengageant de la société Vend'Immo par la vente de ses parts sociales.
9. Elle a souverainement déduit, de ces seuls motifs, que le consentement de la société Vend'Immo, personne morale contractante, avait été vicié, n'ayant pu s'exprimer librement par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de la société Fininvest, M. [X] utilisant pour commettre cette manoeuvre dolosive sa double qualité de gérant au sein des deux sociétés.
10. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fininvest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Fininvest
La société Fininvest fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'elle avait commis un dol au préjudice de la SARL Vend'Immo, d'avoir prononcé par suite de ce vice la nullité de la vente de la fraction de l'immeuble en copropriété situé à [Adresse 5], cadastré section [Cadastre 4], et constituée des lots n° 6, 14 et 15, comprenant des locaux à usage de bureau d'une superficie de 51, 99 m², les 78/1000èmes des parties communes spéciales du bâtiment A et les 76/1000èmes des parties communes générales, ainsi que deux places de stationnement, ladite vente étant intervenue entre la SARL Fininvest et la SARL Vend'Immo suivant acte reçu le 4 octobre 2011 par Maître [G] [M], notaire à Béthune, au prix hors taxe de 163 000 euros, cet acte ayant été publié au service de la publicité foncière de Béthune le 7 novembre 2011, n° 2011V3270, d'avoir ordonné la restitution par la SARL Fininvest à la SARL Vend'Immo du prix de vente de 194 948 euros et de l'avoir en tant que de besoin condamnée au paiement de cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
Alors, d'une part, que l'intégrité du consentement d'une personne morale et l'erreur déterminante qu'elle a pu commettre ne pouvant s'apprécier qu'en la personne de son représentant légal lors de la conclusion du contrat, la représentation de deux sociétés par le même représentant légal exclut que l'une ait pu être trompée par l'autre ; que pour dire que la société Vend'Immo avait été victime d'un dol de la sociéé Fininvest et prononcer la nullité du contrat de vente, l'arrêt attaqué retient que « le consentement de la société Vend'Immo, personne morale contractante, a bien été vicié en ce qu'il n'a pu s'exprimer librement mais par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de Fininvest » ; qu'en se déterminant ainsi, quand l'intégrité du consentement de la société Vend'Immo et l'erreur qu'elle aurait pu commettre ne pouvaient s'apprécier qu'en la personne de son gérant et qu'il résultait de ses propres énonciations que la « réalité de la surévaluation » du prix de vente était « évidemment connue » de ce dernier, ce dont elle aurait dû déduire que la société Vend'Immo n'avait pas pu être trompée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Alors, d'autre part, que le dol étant une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, l'intégrité du consentement d'une personne morale ne peut s'apprécier qu'en la personne de son représentant légal lors de la conclusion du contrat ; qu'en relevant, pour annuler la vente, que « Vend'Imo n'aurait pas contracté au prix proposé si elle avait été représentée par le cessionnaire de ses parts sociales, lequel aurait défendu ses intérêts », après avoir pourtant constaté que la société Vend'Immo était représentée à la vente par son gérant en exercice, M. [X], la cour d'appel, qui s'est fondé sur un motif à la fois hypothétique et inopérant, impropre à établir l'erreur de la société Vend'Immo, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Alors, enfin, que l'intention de tromper constitutive du dol d'une personne morale ne pouvant s'apprécier qu'en la personne de son représentant légal lors de la conclusion du contrat, la représentation de deux sociétés par le même représentant légal exclut que l'une puisse avoir l'intention de tromper l'autre ; que pour dire que la société Fininvest avait commis un dol et prononcer la nullité de la vente, l'arrêt retient que « le consentement de la société Vend'Immo, personne morale contractante a bien été vicié en ce qu'il n'a pu s'exprimer librement mais par la voie de son gérant, qui a sacrifié son intérêt pécuniaire au profit de Fininvest », et que « Vend'Imo n'aurait pas contracté au prix proposé si elle avait été représentée par le cessionnaire de ses parts sociales, lequel aurait défendu ses intérêts » ; qu'en se déterminant ainsi, quand aucune intention dolosive ne pouvait être imputée à la société Fininvest, dès lors qu'elle avait le même gérant et représentant que la société Vend'Immo, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.