LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 410 F-D
Pourvoi n° Q 20-22.840
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La commune de [Localité 9], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 20-22.840 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [X] [T], veuve [F], domiciliée [Adresse 4],
2°/ à Mme [J] [F], épouse [V], domiciliée [Adresse 5] (Suisse),
3°/ à Mme [C] [F], épouse [K], domiciliée [Adresse 2],
4°/ à M. [B] [F], domicilié [Adresse 1]),
tous deux pris en qualité d'héritiers de [W] [F],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la commune de [Localité 9], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des consorts [F], après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 octobre 2020), suivant acte du 27 avril 2011, la commune de [Localité 9] (la commune) a acquis des consorts [F] une bande de terrain cadastrée AL [Cadastre 6] et [Cadastre 8] en vue de la construction d'une aire de stationnement, s'engageant à leur rétrocéder, après réalisation des travaux, le volume constitué par la partie basse des parcelles située sous la dalle à construire.
2. Les consorts [F] ont assigné la commune en achèvement des travaux, en revendication de la propriété exclusive ou, à titre subsidiaire, mitoyenne du mur établi en limite de parcelle AL [Cadastre 7], en rétablissement de l'ancien mur partiellement détruit et en indemnisation de divers préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La commune fait grief à l'arrêt de dire que le mur et les contreforts sont mitoyens, alors :
« 1°/ que le régime de la mitoyenneté ne saurait s'appliquer à une dépendance du domaine public d'une collectivité territoriale ; que le mur de soutènement d'une voie publique communale fait partie du domaine public de la commune ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le mur litigieux constituait un ouvrage de soutènement de la voie publique communale située en contre-haut de la parcelle AL [Cadastre 7] appartenant aux consorts [F] ; qu'il suivait de cette circonstance que le mur faisait partie du domaine public de la commune de [Localité 9] et était, à ce titre, insusceptible de relever du régime de la mitoyenneté ; qu'en déclarant cependant le mur mitoyen, avec ses contreforts, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 653 du code civil, L. 2111-1, L. 2111-2 et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
2°/ que le régime de la mitoyenneté ne saurait s'appliquer à une dépendance du domaine public ; que, pour déclarer le mur litigieux mitoyen, avec ses contreforts, la cour d'appel s'est bornée à faire état des conclusions du rapport d'expertise judiciaire selon lesquelles ce mur avait un usage partagé, comme ouvrage de soutènement de la voie publique communale, d'une part, et comme ouvrage de clôture de la propriété des consorts [F] et de confortement d'un ancien bassin situé sur cette propriété, d'autre part ; qu'en statuant par ce seul motif, sans constater l'appartenance du mur au domaine privé de la commune de [Localité 9], la cour d'appel a, en tout état de cause, privé sa décision de base légale au regard des articles 653 du code civil, L. 2111-1, L. 2111-2 et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée sur l'appartenance du mur au domaine privé de la commune, n'a pas constaté que l'ancien chemin de la Cazette, dont ce mur assurait partiellement le soutènement, était une voie communale relevant du domaine public de la collectivité locale.
5. Sans faire application de la présomption de l'article 653 du code civil et ayant, à bon droit, retenu qu'un mur de soutènement pouvait être mitoyen pour la portion à usage commun des deux voisins, elle a constaté que le mur litigieux était globalement à usage partagé dans sa double fonction de soutènement du chemin appartenant à la commune et d'un ancien bassin dont les consorts [F] étaient propriétaires, comme dans sa fonction de clôture.
6. Elle a pu en déduire que le mur était, en totalité, mitoyen.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen Enoncé du moyen
8. La commune fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration que dans la mesure où cette dernière, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que le mur litigieux et ses contreforts n'ont été déclarés mitoyens par la cour d'appel qu'à compter de l'arrêt attaqué ; qu'en regardant comme une voie de fait la démolition de la partie supérieure du mur, intervenue antérieurement à l'arrêt attaqué, sans se prononcer sur la propriété de cet ouvrage au moment des travaux de destruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
2°/ qu'en regardant comme une voie de fait la démolition « de la partie supérieure » du mur litigieux, quand cette démolition avait laissé intacte la partie basse et n'avait donc pu entraîner l'extinction d'un droit de propriété sur le mur, considéré dans son ensemble, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III »
Réponse de la Cour
9. En l'absence de contestation relative à la propriété des anciennes constructions ou tenant au caractère partiel de leur démolition, la cour d'appel a constaté que la commune avait, de manière illégitime et sans en aviser les consorts [F], fait démolir la partie supérieure de l'ouvrage, constitué d'un ancien mur, de contreforts et d'un ancien bassin leur appartenant et fait édifier un nouveau mur.
10. Ayant souverainement retenu que les conséquences de cette destruction étaient irréversibles, elle a pu en déduire que la démolition était constitutive d'une voie de fait à l'origine d'une extinction du droit de propriété des consorts [F].
11. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision. PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la commune de [Localité 9] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le commune de [Localité 9] et la condamne à payer aux consorts [F] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la commune de [Localité 9]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La commune de [Localité 9] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que le mur établi en limite de la parcelle AL [Cadastre 7] dépendait du domaine public communal et avait débouté en conséquence les consorts [F] de leur demande tendant à la condamnation de la commune à rétablir ce mur et ses contreforts à l'identique, puis, statuant à nouveau de ce chef, d'avoir dit qu'à compter de l'arrêt, le mur et ses contreforts seraient en totalité mitoyens, et d'avoir condamné la commune de [Localité 9] à payer à Mme [T] veuve [F] et à Mme [F] épouse [V] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
1) Alors que le régime de la mitoyenneté ne saurait s'appliquer à une dépendance du domaine public d'une collectivité territoriale ; que le mur de soutènement d'une voie publique communale fait partie du domaine public de la commune ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le mur litigieux constituait un ouvrage de soutènement de la voie publique communale située en contre-haut de la parcelle AL [Cadastre 7] appartenant aux consorts [F] ; qu'il suivait de cette circonstance que le mur faisait partie du domaine public de la commune de [Localité 9] et était, à ce titre, insusceptible de relever du régime de la mitoyenneté ; qu'en déclarant cependant le mur mitoyen, avec ses contreforts, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 653 du code civil, L. 2111-1, L. 2111-2 et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
2) Alors que, subsidiairement, le régime de la mitoyenneté ne saurait s'appliquer à une dépendance du domaine public ; que, pour déclarer le mur litigieux mitoyen, avec ses contreforts, la cour d'appel s'est bornée à faire état des conclusions du rapport d'expertise judiciaire selon lesquelles ce mur avait un usage partagé, comme ouvrage de soutènement de la voie publique communale, d'une part, et comme ouvrage de clôture de la propriété des consorts [F] et de confortement d'un ancien bassin situé sur cette propriété, d'autre part ; qu'en statuant par ce seul motif, sans constater l'appartenance du mur au domaine privé de la commune de [Localité 9], la cour d'appel a, en tout état de cause, privé sa décision de base légale au regard des articles 653 du code civil, L. 2111-1, L. 2111-2 et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La commune de [Localité 9] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la commune de [Localité 9] à payer à Mme [T] veuve [F] et à Mme [F] épouse [V] la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
1) Alors qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration que dans la mesure où cette dernière, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que le mur litigieux et ses contreforts n'ont été déclarés mitoyens par la cour d'appel qu'à compter de l'arrêt attaqué ; qu'en regardant comme une voie de fait la démolition de la partie supérieure du mur, intervenue antérieurement à l'arrêt attaqué, sans se prononcer sur la propriété de cet ouvrage au moment des travaux de destruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
2) Alors que, subsidiairement, en regardant comme une voie de fait la démolition « de la partie supérieure » du mur litigieux, quand cette démolition avait laissé intacte la partie basse et n'avait donc pu entraîner l'extinction d'un droit de propriété sur le mur, considéré dans son ensemble, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.