LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 293 F-D
Pourvoi n° Y 19-16.749
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022
1°/ La société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 1]),
2°/ M. [I] [N]-Ma, domicilié [Adresse 2]), agissant en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG,
ont formé le pourvoi n° Y 19-16.749 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant à la société Organisation intra-groupe des achats (OIA), société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG et de M. [N]-Ma, ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Organisation intra-groupe des achats, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2019), le 23 juin 2005, la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG (la société Plaisir), société spécialisée dans la commercialisation et l'exportation de vins, spiritueux et produits alimentaires, a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale du groupe Auchan. À cette occasion, la dénomination de la société Auchan Japan a été modifiée et elle est devenue la société Plaisir Selection Japan. Concomitamment, le 1er juillet 2005, la société Plaisir Selection Japan et la société Organisation intra-groupe des achats (la société OIA), filiale du groupe Auchan, ont conclu un accord commercial ayant pour objet la distribution, par la première, de produits achetés, par la seconde, en vue de leur revente au Japon. Ce contrat a été conclu pour une durée déterminée de trois ans expirant le 1er août 2008.
2. A cette même date, les sociétés Plaisir et OIA ont conclu un contrat portant sur l'achat de produits européens par la société Plaisir auprès de la société OIA en vue de leur revente sur le territoire asiatique par l'intermédiaire de la société Plaisir Selection Japan. Ce contrat, conclu pour une durée déterminée de deux ans expirant le 31 juillet 2010, était renouvelable à son terme par un accord écrit établi entre les parties, lesquelles devaient se rencontrer six mois avant la fin du contrat afin de négocier les conditions du renouvellement.
3. Par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA a confirmé à la société Plaisir que le contrat du 1er août 2008 arrivait à son terme le 31 juillet 2010 et lui a fait part de son intention d'en revoir les conditions. Les négociations n'ont pas abouti et, faute d'accord, le contrat n'a pas été renouvelé. La société Plaisir a, dans ces circonstances, assigné la société OIA en indemnisation de ses préjudices résultant, notamment, d'une part, de ce qu'elle lui aurait, sous la menace d'une rupture brutale de leurs relations commerciales, imposé des conditions manifestement abusives et constitutives d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, d'autre part, de la rupture brutale des relations commerciales établies.
4. Le 10 décembre 2013, la société Plaisir a bénéficié d'une mesure de redressement judiciaire en Allemagne et M. [N]-Ma, désigné par un jugement du 23 janvier 2014 en qualité d'administrateur judiciaire, est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Plaisir et M. [N]-Ma, ès qualités, font grief à l'arrêt de les débouter de l'action formée contre la société OIA en paiement d'une indemnité de 5 526 610,14 euros, alors :
« 1°/ qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout commerçant, d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix ; que la société Plaisir et son administrateur faisaient valoir qu' "il est incontestable que la société OIA (Auchan export), voulant imposer à la société Plaisir sélection
GmbH, une augmentation disproportionnée du taux de la commission [jusque là fixée], sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales établies, a violé l'article 442-6, I, 2° et 4" qu'en lui objectant que "la demande d'alignement, par la société OIA, fournisseur de la société Plaisir, du taux de service [c'est-à-dire : l'augmentation de la commission pratiquée jusque là], ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire", et en exigeant ainsi l'existence d'une mesure discriminatoire, la cour d'appel, qui, méconnaissant que la faute que qualifie l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce, n'est pas subordonnée à l'existence d'une mesure discriminatoire, ajoute donc à la lettre du texte qu'elle vise, a violé ledit article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce ;
2°/ que la société Plaisir et son administrateur judiciaire faisait valoir, chiffres à l'appui, "que c'est un véritable diktat, un chantage économique, que la société OIA (Auchan export) a imposé à la société Plaisirs sélection GmbH pendant plus de six mois, la laissant dans l'incertitude quant à son avenir économique", qu' "en effet les conditions financières exigées par la société OIA (Auchan export) dans le cadre d'un nouveau contrat commercial étaient totalement injustes et injustifiées", qu' "elles auraient nécessairement eu pour effet de créer un déséquilibre économique significatif au détriment de Plaisir sélection Gmbh, précipitant cette dernière au dépôt de bilan", et qu' "à cela se sont ajoutées des menaces quant à la rupture des relations économiques établies" ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, qui étaient propres à justifier le cas des "conditions manifestement excessives concernant les prix", tel que le vise l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce, et par conséquent à établir le bien-fondé de l'action de la société Plaisir, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir relevé que par lettre du 25 janvier 2010, la société OIA avait rappelé à la société Plaisir que le contrat arrivait à expiration le 31 juillet 2010 et l'avait informée qu'elle entendait en revoir les conditions commerciales, puis que les parties s'étaient réunies à plusieurs reprises, l'arrêt précise leurs revendications respectives ainsi que les termes des négociations. Il relève encore qu'une nouvelle réunion était planifiée le 31 août 2010, la société Plaisir devant alors avoir transmis ses décisions sur le scénario qu'elle préférait retenir et certains éléments concernant, notamment, les commandes et le « sourcing » et qu'à cette date, les parties devaient avoir décidé quel scénario serait retenu sans exclure le fait qu'elles pourraient prendre acte de la cessation pure et simple de leurs relations commerciales. L'arrêt rappelle ensuite que le compte-rendu de la réunion du 31 août 2010 indique que la société Plaisir a fait savoir au début de celle-ci ne pas avoir de proposition à faire pour servir de base à un nouvel accord et que les deux parties avaient donc convenu, conformément au contrat, à l'avenant et aux précédentes réunions, que le contrat, et donc les relations commerciales qui en découlaient, prenaient fin au 31 août 2010. L'arrêt relève enfin que les conditions de renouvellement du contrat considérées comme indispensables par la société OIA, à savoir une garantie bancaire et une diminution des encours, ainsi que la mise en place d'un contrôle destiné à améliorer la qualité de services chez les clients japonais et à supprimer les non-conformités, ne présentaient pas un caractère manifestement abusif. Il ajoute que la demande, faite par la société OIA, de bénéficier du taux de service et des conditions de paiement accordés par la société Plaisir à ses autres fournisseurs ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire.
7. De l'ensemble de ces éléments, l'arrêt déduit que de véritables négociations ont eu lieu sur les conditions du renouvellement au cours desquelles chacune des parties a pu exposer et confronter ses points de vue. Il retient, enfin, que la société Plaisir ne démontre ni ne caractérise l'existence d'une quelconque menace, se contentant de se référer « à titre d'exemple » au courriel du 7 juillet 2010, lequel n'atteste pas plus de l'existence d'une pression ou d'un chantage, le seul fait de rappeler qu'à défaut d'accord, le contrat ne serait pas renouvelé, ne constituant nullement une menace, mais le rappel d'un fait objectif, le terme contractuel du contrat, issu d'un accord de volontés des parties, et qu'aucun déséquilibre significatif n'est caractérisé.
8. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines des éléments de preuve produits, faisant ressortir que les parties avaient négocié le renouvellement éventuel du contrat arrivant à échéance dans le respect de l'expression et des droits de chacune, sans pression ou menace de la part de la société OIA, sans que ses revendications soient abusives, ni qu'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties soit établi, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre la société Plaisir et son administrateur judiciaire, dans le détail de leur argumentation, a pu rejeter leur demande en réparation.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. La société Plaisir et M. [N]-Ma, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que la fusion-absorption d'une société par une autre emporte transmission universelle des biens de la société absorbée à la société absorbante ; qu'en exigeant, pour fixer la durée du préavis que la société OIA devait observer avant de rompre la relation commerciale établie qui la liait à la société Plaisir, que la société OIA ait voulu "continuer avec la société Plaisir les relations commerciales que la société Auchan export entretenait précédemment avec la société Auchan Japan", quand elle constate que la société Plaisir "a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale de la société Auchan hyper", la cour d'appel a violé l'article L. 236-3, I, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
11. Il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que la société Plaisir et M. [N]-Ma, ès qualités, aient soutenu devant la cour d'appel que l'acquisition par la société Plaisir de la totalité des actions de la société Auchan Japan aurait constitué une opération de fusion-absorption.
12. Le moyen, qui est nouveau et mélangé de fait et de droit, est donc irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG et M. [N]-Ma, administrateur judiciaire de cette société, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG et M. [N]-Ma, administrateur judiciaire de cette société, et les condamne à payer à la société Organisation-intra groupe des achats la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG et M. [N]-Ma, en sa qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société Plaisir Selection Feinkosthandel GmbH et Co KG.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR débouté la société Plaisir sélection Feinkosthandel et l'administrateur à son redressement judiciaire, M. [I] [N], de l'action qu'ils formaient contre la société Organisation intra-groupe des achats pour la voir condamner à leur payer une indemnité de 5 526 610 € 14 ;
AUX MOTIFS QUE « tant le grief de soumission ou de tentative de soumission au visa de l'article L. 442-6, I, 2°, que celui d'obtention ou de tentative d'obtention sous la menace visé à l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce ne sont établis » (cf. arrêt attaqué, p. 7, 1er alinéa) ; que « la demande d'alignement, par la société Oia, fournisseur de la société Plaisir, du taux de service ainsi que des conditions de paiement sur ceux des autres fournisseurs de la société Plaisir , ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire » (cf. arrêt attaqué, p. 2e alinéa) ; que « la demande d'aligne-ment par la snc Organisation intra-groupe des achats du taux de service ainsi que celles concernant les conditions de paiement au niveau de ses autres fournisseurs ne constitue pas n soi une mesure discriminatoire » (cf. jugement entrepris, p.9, 2e alinéa) ;
1. ALORS QU'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout commerçant, d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix ; que la société Plaisir sélection Feinskosthandel et son administrateur faisaient valoir qu'« il est incontestable que la société Oia (Auchan export), voulant imposer à la société Plaisir sélection GmbH, une augmentation disproportionnée du taux de la commission [jusque là fixée], sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales établies, a violé l'article 442-6, I, 2° et 4 » ; qu'en lui objectant que « la demande d'alignement, par la société Oia, fournisseur de la société Plaisir, du taux de service [c'est-à-dire : l'augmentation de la commission pratiquée jusque là], ne constitue pas en soi une mesure discriminatoire », et en exigeant ainsi l'existence d'une mesure discriminatoire, la cour d'appel, qui, méconnaissant que la faute que qualifie l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce, n'est pas subordonnée à l'existence d'une mesure discriminatoire, ajoute donc à la lettre du texte qu'elle vise, a violé ledit article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce ;
2. ALORS QUE la société Plaisir sélection Feinkosthandel et son administrateur judiciaire faisait valoir, chiffres à l'appui, « que c'est un véritable diktat, un chantage économique, que la société Oia (Auchan export) a imposé à la société Plaisir sélection GmbH pendant plus de six mois, la laissant dans l'incertitude quant à son avenir économique », qu'« en effet les conditions financières exigées par la société Oia (Auchan export) dans le cadre d'un nouveau contrat commercial étaient totalement injustes et injustifiées », qu'« elles auraient nécessairement eu pour effet de créer un déséquilibre économique significatif au détriment de Plaisir sélection Gmbh, précipitant cette dernière au dépôt de bilan », et qu'« à cela se sont ajoutées des menaces quant à la rupture des relations économiques établies » (cf. leurs conclusions d'appel, p. 19, alinéa 1 à 4) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, qui étaient propres à justifier le cas des « conditions manifestement excessives concernant les prix », tel que le vise l'article L. 442-6, I, 4°, du code de commerce, et par conséquent à établir le bien-fondé de l'action de la société Plaisir sélection Feinkosthandel, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR débouté la société Plaisir sélection Feinkosthandel et l'administrateur à son redressement judiciaire, M. [I] [N], de l'action qu'ils formaient contre la société Organisation intra-groupe des achats pour la voir condamner à leur payer une indemnité de 5 526 610 € 14 ;
AUX MOTIFS QUE « la société Plaisir invoque l'existence de relations commerciales depuis vingt-et-un ans, requérant que soient prises en compte les relations nouées à compter de juillet 1989 par la société Auchan Japan avec son fournisseur exclusif, la société Auchan export, du fait de son acquisition de la société Auchan Japan en 2005, ce qui justifierait l'octroi d'un préavis de deux ans [; mais que], faute d'éléments démontrant l'intention de la société Oai de continuer avec la société Plaisir les relations commerciales que la société Auchan export entretenait précédemment avec la société Auchan Japan, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu comme point de départ de la relation commerciale le 1er juillet 2005, date du premier contrat passé entre la société Plaisir et la société Oai [; que] l'ancienneté des relations commerciales à retenir est donc de cinq ans » (cf. arrêt attaqué, p. 9, 4e alinéa) ;
. ALORS QUE la fusion absorption d'une société par une autre emporte transmission universelle des biens de la société absorbée à la société absorbante ; qu'en exigeant, pour fixer la durée du préavis que la société Organisation intra-groupe des achats devait observer avant de rompre la relation commerciale établie qui la liait à la société Plaisir sélection Feinkosthandel, que la société Organisation intra-groupe des achats ait voulu « continuer avec la société Plaisir les relations commerciales que la société Auchan export entretenait précédemment avec la société Auchan Japan », quand elle constate que la société Plaisir sélection Feinkosthandel « a acquis la totalité des actions de la société Auchan Japan, filiale de la société Auchan hyper » (cf. arrêt attaqué p. 2, faits et procédure, 1er alinéa), la cour d'appel a violé l'article L. 236-3, I, du code de commerce.