LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 avril 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 449 F-D
Pourvoi n° W 20-18.062
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022
1°/ la société Mutuelle des transports assurances, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ M. [C] [L], domicilié [Adresse 3], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Mutuelle des transports assurances,
3°/ le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° W 20-18.062 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2019 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige les opposant à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Mutuelle des transports assurances, de M. [L] et du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie Française, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 27 juin 2019), le 29 novembre 2003, alors qu'il circulait en scooter, [D] [G] a été blessé dans un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile, conduit par M. [H], assuré auprès de la société Mutuelle des transports assurances (l'assureur).
2. La Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française (la caisse) a exercé son recours subrogatoire, au titre des prestations versées à [D] [G], contre l'assureur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [L], en qualité de mandataire liquidateur de l'assureur, et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages font grief à l'arrêt de dire que les fautes commises par [D] [G] ont pour effet de limiter à 50 % l'indemnisation des dommages qu'il a subis et, en conséquence, de condamner l'assureur du véhicule conduit par M. [H] à payer à la caisse la somme de 5 140 697 FCP, avec intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2013 alors « que la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; qu'une fois qu'elle est établie, il appartient au juge d'apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure, en faisant abstraction du comportement du conducteur de l'autre véhicule impliqué ; qu'en relevant, pour dire que les fautes commises par [D] [G] devaient limiter de moitié son droit à indemnisation, qu'elles n'étaient pas les seules fautes à l'origine de son dommage au regard des fautes imputées à M. [H] et qu'aucun élément ne permettait de retenir que les fautes du conducteur victime avaient eu un rôle causal déterminant, la cour d'appel a violé l'article 4 de la loi n° 85-577 du 5 juillet 1985. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
4. Il résulte de ce texte que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, la limitation de son droit à indemnisation étant proportionnelle à la gravité de sa faute sans qu'il y ait lieu de se référer au comportement des autres conducteurs impliqués.
5. Pour dire que les fautes commises par [D] [G] ont pour effet de limiter à 50% l'indemnisation des dommages qu'il a subis et condamner l'assureur du second véhicule impliqué dans l'accident à payer à la caisse une certaine somme en remboursement des débours qu'elle a engagés, après avoir retenu que [D] [G] a commis une faute, consistant à ne pas avoir respecté un temps d'arrêt suffisant au panneau « stop » pour s'assurer qu'il pouvait s'engager dans l'intersection sans danger qui s'explique par son taux d'alcoolémie élevé, l'arrêt énonce que si cette faute n'est pas seule à l'origine de la réalisation de son dommage au regard des autres fautes imputées à M. [H], elle y a certainement contribué, dans une proportion arbitrée à 50 %, à défaut d'éléments permettant de retenir que cette faute a eu un rôle causal déterminant.
6. En statuant ainsi, par référence au comportement de l'autre conducteur impliqué, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du dispositif de l'arrêt, en ce qu'il dit que les fautes commises par [D] [G], en sa qualité de conducteur du scooter de marque Piaggio, immatriculé 9410 R, impliqué dans l'accident de la circulation survenu le 29 novembre 2003 à [Localité 7] (Tahiti), ont pour effet de limiter à 50 % l'indemnisation des dommages qu'il a subis, entraîne la cassation du chef de dispositif ayant condamné la société MTA, en sa qualité d'assureur du second véhicule impliqué dans cet accident de la circulation, conduit par M. [H], à payer à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, exerçant son recours subrogatoire, la somme de 5 140 697 FCP, avec intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2013, en remboursement des débours engagés par celle-ci au profit de [D] [G], qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, d'une part, il dit que les fautes commises par [D] [G], en sa qualité de conducteur du scooter impliqué dans l'accident de circulation survenu le 29 novembre 2003 à Punaauia (Tahiti), ont pour effet de limiter à 50 % l'indemnisation des dommages qu'il a subis, d'autre part, il condamne la société Mutuelle des transports assurances, en sa qualité d'assureur du second véhicule impliqué dans cet accident, à payer à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, exerçant son recours subrogatoire, la somme de 5 140 697 FCP, avec intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2013, en remboursement des débours engagés par celle-ci au profit de [D] [G], l'arrêt rendu le 27 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;
Condamne la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française et la condamne à payer à M. [L], en qualité de mandataire liquidateur de la société Mutuelle des transports assurances, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle des transports assurances, M. [L] et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a dit que les fautes commises par M. [G] ont pour effet de limiter à 50 % l'indemnisation des dommages qu'il a subis et, en conséquence, a condamné la société MTA en sa qualité d'assureur du véhicule conduit par M. [H] à payer à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 5 140 697 FCP, avec intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2013 ;
AUX MOTIFS QU'" en application de l'ordonnance n° 92-1146 du 12 octobre 1992, les dispositions des articles 1 à 6 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 sont applicables en Polynésie française ; que l'article 4 de cette loi énonce : " la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis " ; qu'il est constant qu'en application de ces dispositions, la faute de la victime ayant contribué à son préjudice doit être apprécié en faisant abstraction du comportement de l'autre conducteur ; que par suite, au cas présent, les moyens de fait relatifs à la responsabilité de Monsieur [O] [H], en sa qualité de conducteur du véhicule Peugeot 106 impliqué dans l'accident de la circulation subi le samedi 29 novembre 2003 à Punaauia (Tahiti) par M. [D] [G], tenant à sa condamnation par un jugement du tribunal correctionnel de Papeete du 5 octobre 2004, sont sans incidence sur l'appréciation des fautes personnellement commises par ce dernier ; qu'or, les constations médicales effectuées lors de l'accident ont établi que M. [D] [G] conduisait son scooter sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par la présence de 1,71 g d'alcool par litre de sang, soit un taux d'alcoolémie significatif ; que par ailleurs, M. [P] [S], piéton témoin des faits, a déclaré : " [?] j'ai vu deux véhicules arriver très vite l'un derrière l'autre. Ils sortaient de la RDP et empruntaient la RT1. Un cyclomotoriste qui circulait dans le sens [Localité 5]-[Localité 6] a entamé un demi-tour pour aller en sens contraire. Il ne s'est pas arrêté au stop et a été percuté par la première voiture, une 106 grise. Le cyclomotoriste a été éjecté sur le terreplein, et la voiture a traîné le scooter sur quelques mètres jusqu'à l'endroit où elle se trouve actuellement. Trois personnes sont sorties de cette voiture et sont parties en courant vers le pont de Taapuna " ; que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, la fiabilité de ce témoignage ne peut être contestée au seul motif de l'erreur prétendument commise par Monsieur [S] quant au nombre de personnes vues sortant du véhicule impliqué ; qu'en effet, quand bien même cette erreur serait avérée, elle ne justifierait pas de ne tenir aucun compte du témoignage précis de Monsieur [S], alors que, choqué par l'accident, son attention a pu être moins vigilante quant aux événements survenus immédiatement après ; que, de surcroît, l'existence de cette potentielle erreur n'est ici pas démontrée puisque Monsieur [H] lui-même a déclaré, lors de sa garde à vue, qu'il y " avait deux copains dans le véhicule avec lui " ; qu'il n'est donc pas exclu que le témoignage contradictoire de Monsieur [E] [R], ayant indiqué qu'il était seul dans le véhicule conduit par M. [H], n'ait pas été complaisamment destiné à exclure de toute responsabilité Monsieur [M] [K], second passager présumé du véhicule impliqué ; que par ailleurs, la déclaration de Monsieur [H], indiquant : " lorsque j'ai quitté la RDP pour emprunter la RT1 un scooter a traversé la route et je l'ai percuté " corrobore celle de M. [R], passager du véhicule, lorsqu'il affirme : " j'étais passager avant dans le véhicule de [O]. Arrivés au niveau d'Orohiti, à l'intersection de la RT1 et de la route des plaines, on venait juste de passer la bosse quand un scooter nous a coupé la route en venant de la droite. Il me semble que [O] a eu le réflexe de freiner mais il a quand même percuté le scooter [?] " ; que la CPS rétorque que le non-respect par Monsieur [G] du panneau " Stop " n'est pas certain puisque le ministère public, qui a fait de la lutte contre l'insécurité routière une véritable priorité, a pourtant choisi de ne pas le poursuivre pour cette infraction ; que cependant, cette libre et souveraine appréciation du ministère public, explicable par les exigences renforcées de preuve en matière pénale, demeure sans effet sur les constatations matérielles effectuées par les gendarmes, démontrant sans ambiguïté que le choc entre les deux véhicules impliqués a eu lieu immédiatement après ce panneau de signalisation ; qu'au regard de la configuration des lieux, il apparaît que Monsieur [G], a minima, n'a pas respecté un temps d'arrêt suffisant devant ce panneau " Stop " lui permettant de s'assurer qu'il pouvait s'engager dans l'intersection sans danger, cette erreur d'appréciation s'expliquant parfaitement par son taux d'alcoolémie élevé ; que si la faute ainsi personnellement commise par Monsieur [G] n'est pas seule à l'origine de la réalisation de son dommage, au regard des autres fautes imputées à Monsieur [H], elle y a certainement contribué, dans une proportion arbitrée par la cour à 50 % à défaut d'éléments permettant de retenir un rôle causal déterminant ; que le jugement sera donc infirmé de ce chef, le droit de recours de la CPS étant limité à 50 % du montant des débours engagés au profit de Monsieur [G], consécutivement à l'accident " (p. 4, §§ 4 et suivants, p. 5 et p. 6, §§ 1er et 2) ;
ALORS QUE la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; qu'une fois qu'elle est établie, il appartient au juge d'apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure, en faisant abstraction du comportement du conducteur de l'autre véhicule impliqué ; qu'en relevant, pour dire que les fautes commises par M. [G] devaient limiter de moitié son droit à indemnisation, qu'elles n'étaient pas les seules fautes à l'origine de son dommage au regard des fautes imputées à M. [H] et qu'aucun élément ne permettait de retenir que les fautes du conducteur victime avaient eu un rôle causal déterminant, la cour d'appel a violé l'article 4 de la loi n° 85-577 du 5 juillet 1985.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a condamné la société MTA en sa qualité d'assureur du véhicule conduit par M. [H] à payer à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 5 140 697 FCP, avec intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2013 ;
AUX MOTIFS QUE " s'agissant ensuite de l'imputabilité des débours réclamés, l'appelante soutient, à juste titre, qu'il appartient à la CPS de rapporter la preuve du lien de causalité entre les dépenses dont elle sollicite le remboursement et l'accident qui en est prétendument la cause ; qu'en l'absence d'expertise médicale, cette preuve peut néanmoins résulter des autres éléments du dossier ; qu'au cas présent, le Docteur [F] [T] a constaté sur la personne de Monsieur [G], dans son certificat médical descriptif du 1er décembre 2003, diverses fractures, une plaie profonde articulaire de la cheville gauche et une contusion hémorragique temporale droite, ces lésions crâniennes justifiant une ITT initiale de deux mois ; que suite à son accident, Monsieur [D] [G] a été transporté au Centre hospitalier territorial de Mamao où il a été admis en réanimation jusqu'au 1er janvier 2004, avant d'être transféré dans le service de neurochirurgie jusqu'au 12 janvier 2004 ; qu'il a ensuite été admis au centre de convalescence Te Tiare du 12 janvier au 10 mars 2004, afin d'y suivre une rééducation et réadaptation fonctionnelle ; qu'or, les mandats de paiement joints à l'état des débours initial (du 6 octobre 2004) de la CPS font état de dépenses d'hospitalisation, de frais médicaux et d'analyse, exclusivement réalisés pendant cette période ; qu'il en est ainsi, en particulier, des frais d'orthophonie contestés par l'appelante, alors que les soins de cette nature sont usuels dans la rééducation des traumatisés crâniens, fréquemment soumis à des troubles cognitifs et/ou de la communication ; qu'au regard de ces éléments, la somme de 10 281 394 FCP, telle que retenue par le premier juge, doit être confirmée " (p. 6, §§ 3 et suivants) ;
ALORS QU'en Polynésie française, les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent dans les limites de la part d'indemnité qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément ou, s'il y a lieu, de la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit.; qu'en condamnant la MTA à payer à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 5 140 697 FCP, en sa qualité de tiers payeur, sans évaluer, préalablement, l'atteinte à l'intégrité physique subie par M. [G] soumise à recours, la cour d'appel a violé l'article 4 de l'ordonnance n° 92-1146 du 12 octobre 1992, portant extension et adaptation dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis-et-Futuna de certaines dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.