LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Cassation partielle
partiellement sans renvoi
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 274 F-D
Pourvoi n° M 20-13.637
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [P] [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 7 janvier 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 AVRIL 2022
Mme [P] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-13.637 contre l'arrêt rendu le 20 juin 2019 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [B], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Ets [B], société anonyme à directoire, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de Mme [B], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Ets [B], et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 20 juin 2019), [N] et [T] [B] ont, le 2 novembre 1999, été nommés membres du conseil de surveillance de la société Etablissements [B] SADIR (la société).
2. Le mandat de [N] [B] a pris fin au mois de juin 2002 et celui de [T] [B] au mois de juin 2005, en application des statuts de la société, lesquels prévoient que le mandat de tout membre du conseil de surveillance personne physique prend fin de plein droit, sans possibilité de renouvellement, à l'issue de l'assemblée générale ordinaire des actionnaires ayant statué sur les comptes de l'exercice écoulé et tenue dans l'année au cours de laquelle l'intéressé atteint l'âge de 75 ans.
3. Après la fin de leurs mandats, [N] et [T] [B] ont continué de percevoir les rémunérations versées par la société aux membres du conseil de surveillance, du 1er juillet 2002 au 17 juin 2012, date de son décès, pour la première, et du 1er juillet 2005 au 30 juin 2012 pour le second.
4. Par actes des 5 et 7 juin 2013, la société a assigné [T] [B], à titre personnel et en sa qualité d'héritier de [N] [B], ainsi que M. [R] [B] et Mme [P] [B], en leur qualité d'héritiers de [N] [B], en répétition des sommes indûment perçues. Mme [P] [B] lui a opposé la prescription de son action en répétition de l'indu.
5. A la suite du décès, le 29 juin 2015, de [T] [B], ses héritiers, M. [R] [B] et Mme [P] [B] ont, en cette qualité, repris l'instance introduite contre lui.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le second moyen, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Mme [P] [B] fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que les demandes antérieures au 5 juin 2008 étaient prescrites et de la condamner solidairement avec M. [R] [B] à payer à la société les sommes de 155 750 euros et 186 995,92 euros indûment perçues par [N] et [T] [B], augmentées des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2012, alors « que l'action en répétition de rémunérations périodiques versées indûment à des membres du conseil de surveillance d'une société anonyme avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 se prescrit par dix ans à compter de chaque versement ; qu'en disant cette action soumise à l'ancienne prescription trentenaire en raison de sa nature civile, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 110-4 du code de commerce en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ensemble l'article 2222 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
8. Selon ce texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
9. Conformément à l'article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, les dispositions de cette loi qui réduisent la durée de la prescription, telle celle prévue à l'article L. 110-4 du code de commerce, passée de dix à cinq ans, s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
10. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription commerciale et condamner solidairement M. [R] [B] et Mme [P] [B] au paiement de certaines sommes, l'arrêt, après avoir constaté que la société avait engagé son action les 5 et 7 juin 2013 et que les paiements en litige étaient intervenus sur une période allant du 1er juillet 2002 au 30 juin 2012, retient que l'action en répétition de l'indu de rémunérations de mandataires sociaux d'une société commerciale a une nature civile, qu'il y a lieu, dès lors, d'appliquer, dans les conditions prévues à l'article 2222 du code civil, la prescription civile trentenaire de droit commun avant la réforme issue de la loi du 17 juin 2008 et, depuis l'entrée en vigueur de cette loi le 19 juin 2008, la prescription de cinq ans édictée par l'article 2224 de ce code, et, qu'en conséquence, l'ensemble des demandes de restitution est recevable.
11. En statuant ainsi, alors que l'obligation pour M. [R] [B] et Mme [P] [B] de rembourser à la société des sommes indûment perçues au titre des rémunérations versées aux membres de son conseil de surveillance est née à l'occasion du commerce de cette société et est ainsi soumise à la prescription prévue à l'article L. 110-4 du code de commerce dans les conditions fixées à l'article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, ce dont il résulte que les demandes de la société étaient prescrites en tant qu'elles tendaient au remboursement des sommes versées à [N] et [T] [B] avant le 5 juin 2003, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation d'un arrêt prononçant une condamnation solidaire profite à tous les codébiteurs solidaires.
13. M. [R] [B] ayant été condamné solidairement avec Mme [P] [B], il bénéficie de la cassation prononcée.
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, soulevée par Mme [P] [B].
16. Il résulte de ce qui précède que les demandes de la société sont irrecevables comme prescrites en tant qu'elles tendent au remboursement des sommes versées à [N] et [T] [B] avant le 5 juin 2003.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les demandes antérieures au 5 juin 2008 étaient prescrites et a condamné solidairement Mme [P] [B] et M. [R] [B] à payer à la société Ets [B] SADIR les sommes de 110 400 euros et 72 000 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2012, il condamne Mme [P] [B] et M. [R] [B] solidairement à payer à la société Ets [B] SADIR les sommes de 186 995,92 euros et 155 750 euros, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2012, l'arrêt rendu le 20 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef de la recevabilité des demandes de la société Ets [B] SADIR ;
Déclare les demandes de la société Ets [B] SADIR irrecevables comme prescrites en tant qu'elle tendent au remboursement des sommes versées à [T] et [N] [B] avant le 5 juin 2003 ;
Remet, sur la condamnation solidaire de Mme [P] [B] et M. [R] [B], l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence ;
Condamne la société Ets [B] SADIR aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ets [B] SADIR et la condamne à payer à la SCP Thouin-Palat et Boucard la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour Mme [B].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que les demandes antérieures au 5 juin 2008 étaient prescrites et, infirmant également le jugement de ce chef, d'avoir condamné solidairement M. [R] [B] et Mme [P] [B] à payer à la société la somme de 155 750 euros indûment perçue par [N] [B] et la somme de 186 995,92 euros indûment perçue par [T] [B], les deux sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 décembre 2012 et jusqu'à parfait paiement ;
aux motifs propres que « La société [B] a exercé une action fondée sur la répétition de l'indu, en l'espèce le versement de rémunérations en leur qualité de membres du conseil de surveillance, sur les périodes du 1er juillet 2005 au 30 juin 2012 pour [T] [B] et du 1er juillet 2002 au 17 juin 2012 pour Mme [C] épouse [B]. Cette action en répétition de l'indu de rémunération de mandataires sociaux d'une société commerciale a néanmoins une nature civile et c'est dès lors la prescription civile qui doit être retenue. Avant la réforme issue de la loi du 17 juin 2008, l'action était soumise à la prescription trentenaire de droit commun. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi le 19 juin 2008, la prescription applicable est la prescription de droit commun de cinq ans édictée par l'article 2224 du code civil. L'article 2222 du code civil dispose également que la loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion, est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Ainsi, en l'espèce, les versements de rémunération les plus anciens ont été opérés en juillet 2002. A la date d'entrée en vigueur de la loi le délai de trente ans n'était pas expiré de sorte qu'a recommencé à courir un nouveau délai de cinq ans pour les versements compris entre juillet 2002 et le 19 juin 2008. Par voie de conséquence, le délai de prescription était acquis à la date du 19 juin 2013 et non à la date du 5 juin 2008 comme injustement retenu par le premier juge. L'action ayant été engagée les 5 et 7 juin 2013, l'ensemble des demandes de restitution était recevable. La décision de première instance sera donc infirmée en ce qu'elle a dit prescrites les demandes antérieures au 5 juin 2008 » ;
alors 1/ que l'action en répétition de rémunérations périodiques versées indûment à des membres du conseil de surveillance d'une société anonyme avant l'entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 se prescrit par cinq ans à compter de chaque versement ; qu'en disant cette action soumise à l'ancienne prescription trentenaire, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 2277 du code civil en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, ensemble l'article 2222 du code civil ;
alors 2/ subsidiairement que l'action en répétition de rémunérations périodiques versées indûment à des membres du conseil de surveillance d'une société anonyme avant l'entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 se prescrit par dix ans à compter de chaque versement ; qu'en disant cette action soumise à l'ancienne prescription trentenaire en raison de sa nature civile, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 110-4 du code de commerce en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, ensemble l'article 2222 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir condamné solidairement M. [R] [B] et Mme [P] [B] à payer à la société la somme de 155 750 euros indûment perçue par [N] [B] et la somme de 186 995,92 euros indûment perçue par [T] [B], les deux sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 décembre 2012 et jusqu'à parfait paiement ;
aux motifs que « L'ancien article 1235 du code civil dispose que tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition. La répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. Il est constant que les statuts de la société prévoient que le mandat des membres du conseil de surveillance prend fin en toute hypothèse après l'assemblée générale ordinaire tenue dans l'année qui suit leur 75ème anniversaire (article 15- 4) des statuts version 1999 et article 18 des statuts version de 2004). Leur rémunération ne peut ams1 se poursuivre au-delà de la fin de leur mandat. Dans un tel contexte, alors que la renonciation à un droit ne se présume pas, les versements au-delà de juin 2002 pour Mme [C] épouse [B], et juin 2005 pour [T] [B], pour un mandat qui avait pris forcément fin, restent équivoques et ne permettent pas de retenir sans modification des statuts de ce chef, que la Sa [B] a entendu acquiescer à ces versements. Ainsi peu importe que des délibérations du conseil de surveillance ait indiqué que les rémunérations de [T] [B] ou de [N] [C] épouse [B] étaient maintenues dès lors que leur mandat avait pris fin par la limite d'âge. Son rôle de contrôle de la gestion de la société et d'animation ne lui permettait pas en effet de prendre de telles décisions. De même, le fait que [R] [B] ait été présent lors de ces conseils n'a pas eu pour effet de valider au nom de la société les mentions portées aux procès-verbaux des dits conseils » ;
alors que si la renonciation ne se présume pas, elle peut néanmoins être tacite à condition de résulter d'une volonté claire et non équivoque ; qu'au cas présent, l'exposante soutenait que la société avait renoncé tacitement à se prévaloir de la fin des fonctions sociales de [T] et [N] [B] de façon à continuer de leur verser leur rémunération ; que pour faire droit à l'action en répétition de l'indu introduite par la société, la cour d'appel a retenu que les mandats sociaux de [T] et [N] [B] avaient pris fin en juin 2005 et juin 2002 en raison de la limite d'âge fixée par les statuts, que ces derniers n'avaient pas été modifiés et que la société n'avait jamais pris formellement la décision de maintenir la rémunération de [T] et [N] [B] en dépit de la limite statutaire ; qu'en statuant ainsi, par des motifs excluant une renonciation expresse mais impropres à exclure l'existence d'une volonté tacite qui fût claire et non équivoque, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1235 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016.