LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 524 FS-B
Pourvoi n° P 19-17.614
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 AVRIL 2022
M. [G] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 19-17.614 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2019 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l'opposant à la société ITM logistique alimentaire international, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société ITM logistique alimentaire international, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 avril 2019), M. [L] a été engagé le 5 juin 1989 en qualité d'agent comptable par la société Intermarché. En dernier lieu, il exerçait les fonctions d'administrateur financier de gestion, au statut cadre, au sein de la société ITM logistique alimentaire international.
2. Le 21 novembre 2011, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif économique.
3. Le 24 juin 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de ce licenciement et obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son action est prescrite et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que le salarié faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les dispositions de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 réduisant de 5 à 2 ans le délai de prescription de l'action en contestation de toute rupture du contrat de travail, en ce qu'elles apportent une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, sont contraires aux dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant l'action prescrite, sans répondre à ce moyen d'inconventionnalité opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès aux tribunaux n'étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, laquelle peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 , § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (notamment CEDH Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, n° 28028/95, § 34).
7. Elle juge notamment que les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit d'accès à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes : garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé (CEDH Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, n° 22083/93 et 22095/93, § 51-52).
8. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a substitué à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil, relatif aux actions personnelles ou mobilières, l'article L. 1471-1 du code du travail selon lequel toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
9. Cette réduction du délai de prescription applicable à toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail ne méconnaît pas les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le délai biennal a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud'homale.
10. Il résulte de ce motif de pur droit que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [L]
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'action est prescrite et d'AVOIR débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes.
AUX MOTIFS propres QU'il est constant qu'au jour de la notification à [G] [L] de son licenciement le 21 novembre 2011, son droit d'agir en contestation du bien-fondé de ce licenciement était soumis aux dispositions de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, ainsi rédigé : "Les actions personnelles mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer." ; que la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a créé l'article L. 1471-1 du code du travail ainsi rédigé : "Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qu'il exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit." ; que l'article 21,V de cette loi du 14 juin 2013 prévoyait une disposition transitoire ainsi rédigée : "Les dispositions du code du travail prévu aux III et IV du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. (...)" ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement adressée à [G] [L] le 21 novembre 2011 comportait sur plusieurs pages une explicitation des motifs de ce licenciement, en ce qui concernait tant la nécessité de sauvegarder la compétitivité de la société ITM-LAI que la procédure de licenciement économique suivie par l'employeur (élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, consultation des institutions représentatives du personnel) et que l'impossibilité où l'employeur estimait se trouver de reclasser l'intéressé ; que par ce document, l'employeur apportait à [G] [L] les éléments d'information de nature à lui permettre de se faire une opinion sur l'éventuelle absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et en particulier sur la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ITM-LAI et la nécessité de sauvegarder cette compétitivité ; que [G] [L] ayant une formation de comptable et exerçant ce métier depuis des années au sein de l'entreprise, il était particulièrement à même d'apprécier dès la réception de ce courrier de licenciement la nécessité de s'informer auprès des organismes de représentation du personnel (IRP ou organisations syndicales, par exemple) du contexte économique et comptable dans lequel ce licenciement collectif intervenait, sans avoir besoin d'attendre, pour découvrir les éventuels arguments de nature à motiver sa contestation du licenciement, le prononcé en octobre 2014 par divers conseils de prud'hommes de jugements faisant droit à la contestation par d'autres salariés de leurs propres licenciements respectifs ; qu'il s'ensuit que, comme le soutient pertinemment l'employeur, [G] [L], dès la réception de cette lettre de licenciement du 21 novembre 2011, connaissait les faits de nature lui permettent d'exercer son droit de contester son licenciement, ou aurait dû les connaître, ayant la possibilité de prendre connaissance du contexte réel de cette rupture et de s'informer en détail à ce sujet ; que le délai de prescription litigieux, initialement de 5 ans, a donc bien couru à compter de la réception par le salarié de ce courrier fin novembre 2011, il s'est ensuite trouvé réduit à 2 ans à compter du 17 juin 2013 consécutivement à l'entrée en vigueur du nouvel article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction précitée issue de la loi du 14 juin 2013, et a expiré au terme de ce délai le 17 juin 2015 ; que l'action introduite par [G] [L] devant du conseil de prud'hommes le 24 juin 2015 (et non le 17 juin 2015 comme l'écrit à tort son avocat en page 12 ses conclusions d'appel) est donc totalement irrecevable comme prescrite, et le jugement déféré ne peut ici qu'être confirmé.
AUX MOTIFS adoptés QUE Monsieur [G] [L] ne peut pas prétendre qu'il ignorait les conséquences juridiques attachées aux motivations de son licenciement dont il avait connaissance dès la notification de celui-ci et qu'il ne peut se prévaloir d'une décision rendue dans le cadre d'une instance à laquelle il n'était pas partie ; qu'enfin il est de jurisprudence constante que le point de départ du délai de prescription de l'action en contestation d'un licenciement court à compter de la notification de celui-ci ; (?) que le délai de prescription, alors de 5 ans, a donc commencé à courir à la date du 21 novembre 2011, date de notification du licenciement de Monsieur [G] [L] par la Société ITM Logistique Alimentaire Internationale ; que l'action n'était pas prescrite au jour de la promulgation de la loi, le 17 juin 2013, rapportant ce délai à 2 ans à compter de cette date, qu'en application des dispositions transitoires ci-dessus rappelées, le délai dont disposait Monsieur [L] pour saisir le Conseil de prud'hommes en contestation de son licenciement a expiré le 17 juin 2015 ; que Monsieur [G] [L] a introduit sa demande en justice le 24 juin 2015 ; que cette action était donc prescrite à cette date.
1° ALORS QUE le délai de prescription de l'action en contestation d'un licenciement ne commence à courir, conformément au principe édicté par l'article 2224 du code civil, repris à l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qu'au jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que pour fixer le point de départ de la prescription à la date de notification du licenciement et, partant, déclarer l'action du salarié prescrite, l'arrêt relève, d'une part, que la lettre de licenciement apportait à ce dernier les éléments d'information de nature à lui permettre de se faire une opinion sur l'éventuelle absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et en particulier sur la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise et la nécessité de sauvegarder cette compétitivité, d'autre part, que le salarié ayant une formation de comptable et exerçant ce métier depuis des années au sein de l'entreprise, il était à même d'apprécier dès la réception de ce courrier de licenciement la nécessité de s'informer auprès des organismes de représentation du personnel (IRP ou organisations syndicales) du contexte économique et comptable dans lequel ce licenciement collectif intervenait ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser que le salarié, dès la notification de son licenciement, connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.
2° ALORS QUE la connaissance par le titulaire d'un droit des faits lui permettant de l'exercer peut résulter d'une action en justice exercée par un tiers ; qu'en retenant cependant, à supposer adopté ce motif du jugement, que le salarié « ne pouvait se prévaloir d'une décision rendue dans le cadre d'une instance à laquelle il n'était pas partie », la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a violé l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.
3° ALORS, en outre, QU'en se fondant sur la jurisprudence selon laquelle « le point de départ du délai de prescription de l'action en contestation d'un licenciement court à compter de la notification de celui-ci », quand cette règle n'interdit pas de rechercher un point de départ de la prescription postérieur à la notification du licenciement en cas d'ignorance du salarié, la cour d'appel, à supposer adopté ce motif du jugement, a violé derechef l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.
4° Et ALORS QUE le salarié faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les dispositions de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 réduisant de 5 à 2 ans le délai de prescription de l'action en contestation de toute rupture du contrat de travail, en ce qu'elles apportent une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, sont contraires aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant l'action prescrite, sans répondre à ce moyen d'inconventionnalité opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.