LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2022
Cassation partielle
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 469 F-D
Pourvoi n° D 20-22.646
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2022
Mme [E] [V], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 20-22.646 contre l'arrêt rendu le 14 mars 2019 par la cour d'appel de Papeete (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société IBM France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie Française, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La société IBM France a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Capitaine, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [V], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société IBM France, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie Française, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Capitaine, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [V] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 14 mars 2019), Mme [V] a conclu un contrat de prestation de services à compter du 2 janvier 2006 avec la société IBM France (la société) et n'a pas renouvelé le contrat le 31 décembre 2009.
3. Estimant être liée par un contrat de travail et soutenant que la rupture devant s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [V] a saisi le tribunal du travail de Papeete le 16 juin 2015.
Recevabilité du pourvoi incident contestée par la défense
4. La salariée conteste la recevabilité du pourvoi formé par la société à son encontre ainsi qu'à l'encontre de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française (la Caisse) au motif qu'il a été formé après qu'elle se soit partiellement désistée de son pourvoi en ce qu'il était dirigé contre la Caisse.
5. Elle soutient que l'objet de ce pourvoi est indivisible entre la Caisse et elle-même, et qu'en vertu de l'article 615 du code de procédure civile, le pourvoi, irrecevable à l'encontre de la Caisse qui n'était plus dans l'instance, l'est également à son égard.
6. En application des articles 549, 614 et 1010 du code de procédure civile, le pourvoi incident formé, dans le délai du mémoire en défense, par un défendeur contre un codéfendeur à l'égard duquel le demandeur principal s'est préalablement désisté, est recevable.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du tribunal du travail en ce qu'il dit qu'il doit régulariser la situation auprès de la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie Française, alors « que si le statut social d'une personne est d'ordre public et s'impose de plein droit dès lors que sont réunies les conditions de son application, l'affiliation et le versement de cotisations du chef de la même activité à un autre régime de protection sociale s'opposent, quel qu'en soit le bien ou mal-fondé, à ce que l'assujettissement à un régime de sécurité sociale puisse produire un effet rétroactif et ainsi mettre à néant les droits et obligations nés de l'affiliation antérieure ; que seul un texte spécial peut faire échec à l'application de ce principe ; que ni de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956, ni la délibération n° 94-6 AT du 3 février 1994 définissant le cadre de la couverture sociale généralisée en Polynésie française ne prévoient que la reconnaissance du statut de salarié au profit d'un travailleur affilié au régime des non-salariés doit donner lieu à une affiliation rétroactive au régime des salariés ; qu'en retenant, pour ordonner à la société IBM France la régularisation de la situation de Mme [V] auprès de la Caisse de prévoyance de la Polynésie française, que la Polynésie française est compétente dans le domaine de la santé publique et de la protection sociale, qui fait l'objet d'une réglementation spécifique, et qu'aucun texte polynésien n'interdit une affiliation tardive à la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, la cour d'appel a violé l'article 3 de la délibération n° 94-6 AT du 3 février 1994, ensemble, par fausse application, l'article 19 de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 3 de la délibération n° 94-6 AT du 3 février 1994 et l'article 19 de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956 :
9. Si le statut social d'une personne est d'ordre public et s'impose de plein droit dès lors que sont réunies les conditions de son application, la décision administrative individuelle d'affiliation qui résulte de l'adhésion à un régime des non-salariés s'oppose, quel que soit son bien ou mal fondé, à ce que l'affiliation au régime des salariés puisse mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés de l'affiliation antérieure.
10. Pour dire que la société devait régulariser la situation de la salariée à l'égard de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, l'arrêt retient qu'aucun texte polynésien n'interdit une affiliation tardive à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.
11. En statuant ainsi, après avoir constaté que la salariée avait été affiliée au régime d'assurance maladie des personnes non salariées pendant la période considérée et que l'adhésion à ce régime s'opposait à une affiliation rétroactive au régime des salariés pour la même période et à la perception des cotisations correspondantes, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal formé par Mme [V] ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société IBM France doit régulariser la situation de Mme [V] à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, l'arrêt rendu le 14 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée ;
Condamne Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [V], demanderesse au pourvoi principal
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la rupture du contrat de travail s'analysait en une démission et rejeté toutes les demandes de Mme [V] tendant à la condamnation de la société IBM France à lui payer des indemnités de rupture ;
AUX MOTIFS QUE le 29 septembre 2009, [E] [V] a écrit à l'employeur le courriel suivant :
« Tout d'abord, je vous remercie vivement pour votre écoute lors de votre dernier passage à Tahiti ; J'ai apprécié l'intérêt que vous aviez porté à ma demande.
Cependant, après mûre réflexion, j'ai fait le choix de ne pas renouveler mon contrat, ma prestation cessera de ce fait le 31 décembre 2009 au soir. »
QUE c'est donc l'appelante qui est à l'origine de la rupture du contrat de travail, rupture qui doit, de ce fait, être qualifiée de démission ;
QUE la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ;
QUE lorsque le salarié remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission ;
QUE les éléments versés aux débats ne font aucunement ressortir l'existence d'un litige entre les parties, ni le malaise profond et perdurant depuis plusieurs années » dont se prévaut [E] [V] ;
QUE celle-ci ne produit aucune pièce par laquelle elle aurait informé son employeur d'une contestation de sa qualité de patenté et de sa volonté de changement de statut professionnel ;
QU'elle ne produit pas non plus de documents médicaux constatant un état de santé perturbé ;
QUE son départ n'a pas été conflictuel puisqu'elle a demandé à son employeur une prolongation de son activité et que celui-ci l'a acceptée ;
QU'enfin, elle a attendu 2 ans après ce départ pour revendiquer la qualité de salariée et 5 ans pour saisir le tribunal du travail ;
QUE dans ces conditions, il n'existait pas, à l'époque de la rupture du contrat de travail, de faits suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite dudit contrat et la démission ne possède aucun caractère équivoque ;
QU'enfin, [E] [V] ne justifie pas avoir subi un préjudice financier, ni un préjudice moral ;
QUE dans ces conditions, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;
ALORS QUE la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d'une démission ; que le fait pour l'employeur de ne pas reconnaitre l'existence du contrat de travail et de persister pendant plusieurs années à rétribuer la salariée en qualité de travailleur indépendant, ce qui constituait un manquement grave à ses obligation essentielles, était nécessairement de nature à rendre équivoque la démission de la salariée, placée malgré elle dans une situation de faiblesse et de précarité lui interdisant toute revendication et justifie que la rupture du contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant en l'espèce, après avoir requalifié la relation contractuelle en contrat de travail, que la démission de la salariée n'était pas équivoque, pour la débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat, tout en requalifiant en contrat de travail la relation des parties, la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause. Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société IBM France, demanderesse au pourvoi incident
La société IBM France fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement du tribunal du travail en ce qu'il a dit qu'elle devra régulariser la situation auprès de la Caisse de Prévoyance Sociale de la Polynésie Française ;
ALORS QUE si le statut social d'une personne est d'ordre public et s'impose de plein droit dès lors que sont réunies les conditions de son application, l'affiliation et le versement de cotisations du chef de la même activité à un autre régime de protection sociale s'opposent, quel qu'en soit le bien ou mal-fondé, à ce que l'assujettissement à un régime de sécurité sociale puisse produire un effet rétroactif et ainsi mettre à néant les droits et obligations nés de l'affiliation antérieure ; que seul un texte spécial peut faire échec à l'application de ce principe ; que ni de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956, ni la délibération n° 94-6 AT du 3 février 1994 définissant le cadre de la couverture sociale généralisée en Polynésie française ne prévoient que la reconnaissance du statut de salarié au profit d'un travailleur affilié au régime des non-salariés doit donner lieu à une affiliation rétroactive au régime des salariés ; qu'en retenant, pour ordonner à la société IBM France la régularisation de la situation de Mme [V] auprès de la Caisse de Prévoyance de la Polynésie française, que la Polynésie française est compétente dans le domaine de la santé publique et de la protection sociale, qui fait l'objet d'une réglementation spécifique, et qu'aucun texte polynésien n'interdit une affiliation tardive à la Caisse de Prévoyance Sociale de la Polynésie Française, la cour d'appel a violé l'article 3 de la délibération n° 94-6 AT du 3 février 1994, ensemble, par fausse application, l'article 19 de l'arrêté n° 1336 IT du 28 septembre 1956.