LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 avril 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 379 F-D
Pourvoi n° W 20-22.524
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 AVRIL 2022
La caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-22.524 contre le jugement rendu le 26 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Chambéry (pôle social), dans le litige l'opposant à M. [J] [Z], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [Z], et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Chambéry, 26 octobre 2020), rendu en dernier ressort, par sa décision du 7 février 2019, la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie (la caisse) a refusé à M. [Z] (l'assuré), bénéficiaire de la couverture maladie universelle, le remboursement des soins dispensés en Espagne du 27 février 2015 au 5 avril 2016.
2. L'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief au jugement de faire droit au recours alors « 1°/ qu'il incombe au demandeur à une prise en charge de soins par l'assurance maladie au titre de la couverture médicale universelle, de rapporter la preuve, lorsque celle-ci est contestée, de sa résidence en France a l'époque des soins ; qu'en faisant droit au recours de l'assuré, au motif que les éléments issus de l'enquête menée par la caisse ne démontraient pas qu'il ne séjournait pas en France plus de six mois dans l'année, les juges du fond, qui ont fait peser la charge de la preuve sur la caisse, ont violé l'article 1353 nouveau (1315 ancien) du code civil, ensemble les articles L. 380-1 ancien, L. 160-1 nouveau, R. 115-5 ancien et R. 111-2 nouveau du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 380-1 et R. 115-6 devenus L. 160-1 et R. 111-2 du code de la sécurité sociale et les articles 1315 devenu 1353 du code civil et 455 du code de procédure civile :
4. Selon le premier de ces textes, toute personne résidant en France métropolitaine ou dans un département d'Outre-mer de façon stable et régulière relève du régime général lorsqu'elle n'a droit à aucun titre aux prestations en nature d'un régime d'assurance maladie et maternité.
5. Selon le deuxième, pour bénéficier du service des prestations, sont considérées comme résidant en France les personnes qui ont sur le territoire métropolitain ou dans un département d'Outre-mer leur foyer ou le lieu de leur séjour principal. Sont réputées avoir en France le lieu de leur séjour principal les personnes qui y séjournent pendant plus de six mois au cours de l'année civile de versement des prestations.
6. Il incombe au demandeur à une prise en charge de soins par l'assurance maladie au titre de la couverture médicale universelle, de rapporter la preuve, lorsque celle-ci est contestée, de sa résidence en France à l'époque des soins.
7. Pour faire droit à la demande de l'assuré, le jugement retient que la caisse a fondé son refus de prise en charge sur l'interprétation de documents publiés sur un blog et sur des conclusions tirées de l'activité de l'épouse de l'intéressé, que si ces éléments indiquent que l'assuré possède des attaches dans la province de Malaga en Espagne, ce dont il ne fait pas secret, ils ne démontrent pas à eux seuls qu'il ne séjourne pas en France plus de six mois dans l'année et qu'une enquête aussi partiale que parcellaire ne peut fonder un refus de prise en charge de frais médicaux pour des actes reçus en Europe alors que l'intéressé bénéficiait d'une couverture.
8. En statuant ainsi, le tribunal, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 26 octobre 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Chambéry ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Annecy ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie
Le jugement attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a infirmé la décision de la commission de recours amiable refusant à M. [Z] le remboursement de soins dispensés en Espagne du 27 juillet 2015 au 5 avril 2016 pour un montant de 1.441 euros, ordonné à la Caisse dans un délai de 15 jours après notification d'avoir à prendre en charge lesdits soins et d'émettre les remboursements ;
ALORS QUE, premièrement, il incombe au demandeur à une prise en charge de soins par l'assurance maladie au titre de la couverture médicale universelle, de rapporter la preuve, lorsque celle-ci est contestée, de sa résidence en France à l'époque des soins ; qu'en faisant droit au recours de M. [Z], au motif que les éléments issus de l'enquête menée par la caisse ne démontraient pas qu'il ne séjournait pas en France plus de six dans l'année, les juges du fond, qui ont fait peser la charge de la preuve sur la Caisse, ont violé l'article 1353 nouveau [1315 ancien] du code civil, ensemble les articles L. 380-1 ancien, L. 160-1 nouveau, R. 115-5 ancien et R. 111-2 nouveau du code de la sécurité sociale ;
ALORS QUE, deuxièmement, avant que de retenir que l'assuré bénéficiait d'une couverture par l'assurance maladie, il appartenait aux juges du fond de s'expliquer, ainsi qu'ils y étaient invités, sur la circonstance que par une décision définitive du 24 novembre 2018, les droits à la couverture fermeture universelle de M. [Z] avaient été retirés, et ce, de façon rétroactive ; que faute de l'avoir fait, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard du principe suivant lequel les décisions définitives des organismes de sécurité sociale sont revêtues de l'autorité de chose décidée, ensemble les articles L. 380-1 ancien, L. 160-1 nouveau, R. 115-5 ancien et R. 111-2 nouveau du code de la sécurité sociale ;
ALORS QUE, troisièmement, tout jugement à peine de nullité doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en omettant de se prononcer sur le moyen soulevé par la Caisse et tiré de ce que par une décision définitive du 24 novembre 2018, les droits à la couverture fermeture universelle de M. [Z] avaient été retirés, et ce, de façon rétroactive, les juges du fond ont violé l'article 455 du code de procédure civile.