LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 mars 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 276 FS-D
Pourvoi n° T 19-18.998
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 MARS 2022
1°/ M. [P] [M],
2°/ Mme [N] [O], épouse [M],
domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° T 19-18.998 contre l'arrêt rendu le 9 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas Personal Finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M.et Mme [M], de la SCP Spinosi, avocat de la société BNP Paribas Personal Finance, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 février 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mai 2019), suivant offre de prêt acceptée le 14 octobre 2008, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a consenti à M. et Mme [M] (les emprunteurs) un prêt immobilier, libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé Helvet Immo et destiné au financement de l'acquisition d'un appartement à usage locatif.
2. Le 4 juin 2015, se prévalant du caractère erroné du taux effectif global du contrat de prêt et de manquements de la banque à ses obligations contractuelles, les emprunteurs l'ont assignée en annulation de la stipulation d'intérêts conventionnels, subsidiairement en déchéance du droit aux intérêts conventionnels et en paiement de dommages-intérêts. En appel, ils ont invoqué le caractère abusif de certaines clauses.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo, ainsi que les demandes subséquentes, alors « que la demande du consommateur tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en retenant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes des époux [M] tendant à voir déclarer non écrites les clauses abusives des contrats de prêt Helvet Immo étaient soumises à la prescription quinquennale, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Selon le premier de ces textes, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
5. Il résulte du second que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
7. Il s'en déduit que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
8. Pour dire irrecevable comme prescrite la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusives certaines clauses du prêt, l'arrêt retient que cette action, qui relève du droit commun des contrats, est soumise, à la prescription quinquennale et qu'elle a été engagée plus de cinq ans après l'acceptation de l'offre de prêt.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE et ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de M. et Mme [M] tendant à l'annulation de la stipulation d'intérêts conventionnels et à la déchéance du droit aux intérêts conventionnels, l'arrêt rendu le 9 mai 2019 par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à M. et Mme [M].
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [M].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les époux [M] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet Immo ainsi que les demandes subséquentes ;
AUX MOTIFS QUE :
Considérant que les époux [M] peuvent se prévaloir d'une décision de la Cour de cassation (1ère civile 13/03/2019 17-23169), qui statuant, en matière de clause abusive, a jugé que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s'analysait pas en une demande de nullité, de sorte qu'elle n'était pas soumise à la prescription quinquennale ;
Considérant qu'ils ajoutent, qu'en tout état de cause, même si les emprunteurs ne formulaient pas une telle demande, le juge serait tenu d'examiner d'office le caractère abusif des clauses d'un contrat dont il est saisi, ainsi que la cour de cassation, appliquant la décision du juge communautaire, l'a jugé dans le présent litige, et ainsi que l'y oblige l'article R. 632-1 du code de la consommation ; qu'ils allèguent qu'aucune limite temporelle ne saurait donc être imposée à l'action du juge et que l'obligation du juge de relever d'office est indépendante du droit d'agir des consommateurs ;
Considérant que, subsidiairement, ils rappellent que le point de départ du délai de prescription de n'importe quelle action, qui est glissant, doit s'apprécier en fonction du moment où son titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer conformément à l'article 2224 du code civil ; qu'en l'espèce, c'est la découverte du déséquilibre significatif qui déclenche le point de départ de la prescription et que ce n'est qu'à l'issue de l'information judiciaire qu'ils ont pleinement eu connaissance des faits leur permettant d'agir; qu'ils allèguent que retenir le point de départ de la prescription au jour de la souscription des contrats constituerait manifestement une atteinte au droit à un recours effectif au juge, droit conventionnellement protégé par les articles 6-1et 13 de la CESDH ;
Considérant qu'aucun texte, en droit français, ne prévoit l'imprescriptibilité de l'action tendant à voir réputée non écrite une clause qui serait abusive ;
Considérant qu'il résulte des écritures procédurales des parties et des pièces qu'elles versent au débats que le sujet est débattu et que la doctrine est partagée, certains auteurs défendant l'idée que l'action fondée sur le caractère abusif d'une clause relève du droit commun des contrats, le délai de prescription d'une telle action étant désormais aligné sur le délai de droit commun de l'article 2224 du code civil ;
Considérant qu'une réponse ministérielle ne lie pas les juges ;
Considérant que certes la cour de cassation, (3ème chambre) a jugé, en substance, que tout copropriétaire peut, sans que l'on puisse lui opposer la prescription, agir sur le fondement de l'article 43 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, pour faire modifier le règlement de copropriété quand il contient des clauses contraires aux dispositions des articles 6 à 17, 19 à 37 et 42 de la loi, lesquelles sont réputées non écrites, et étant non avenues par le seul effet de la loi, sont censées n'avoir jamais existé ;
Mais considérant qu'elle a aussi (3ème chambre civile 10 juillet 2013 12-14569 par exemple) jugé que la décision de réputer non écrite de telles clauses, contraires à des disposition légales, ne vaut que pour l'avenir et ne prend effet qu'à compter de la date à laquelle la décision a acquis l'autorité de la chose jugée ;
Considérant que la cour de cassation a également dans un arrêt (3ème civile 23 janvier 2008 06-19129), censuré les juges d'appel qui avaient déclaré non écrite une clause d'un bail commercial, au lieu de prononcer sa nullité, étant précisé qu'ainsi ils avaient évité de constater l'acquisition de la prescription ;
Considérant que cependant dans un tel cas, les deux contractants étaient deux professionnels qui connaissaient le statut d'ordre public qui avait vocation à se substituer à la clause illicite ;
Considérant que la transposition des jurisprudences précitées aux clauses abusives de l'article 132-1 du code de la consommation, devenu l'article L. 212-1 du dit code, ne revêt aucun caractère d'évidence ;
Considérant qu'admettre que, par une fiction juridique, la clause abusive de l'article 132-1 du code de la consommation, devenu l'article L. 212-1 du dit code, réputée non écrite, est censée n'avoir jamais existé, pose de sérieuses questions ; qu'en effet, en son premier alinéa, l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que "dans les contrats conclus entre professionnels et nonprofessionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat "et énonce, en son septième alinéa, que "l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible";
Considérant que les jurisprudences citées plus haut sont fondées sur la différence entre la nullité, qui requiert l'intervention d'un juge, et le réputé non écrit qui produit ses effets automatiquement ;
Considérant que dans le cas d'espèce, pour qualifier une clause d'abusive, au visa du texte précité, le juge ne doit pas examiner sa concordance avec des dispositions légales ou règlementaires précises, ni se contenter d'examiner si elle figure sur "une liste noire";
qu'il doit se livrer à une triple analyse et apprécier, d'abord, si la clause litigieuse porte sur la définition de l'objet principal du contrat, c'est-à-dire si elle fixe les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci, ou sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert et ensuite si, dans le premier cas, elle est rédigée de façon claire et compréhensible, étant précisé que pour qu'une clause soit rédigée de manière claire et compréhensible, il faut qu'elle soit non seulement intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui; qu'en cas de réponse positive cumulative à ces deux questions, toute discussion à propos du caractère abusif de la clause est exclue ;
que ce n'est qu'en cas de réponse négative que le juge doit dire si la dite clause a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;
Considérant, ensuite, que les conséquences de la décision du juge, qui déclare abusive, et donc non écrite, une clause d'un contrat, sont radicalement différentes, puisque la situation des parties doit être revue à la date de la conclusion du contrat et que tous les effets que la dite clause a produits doivent être anéantis dans le passé ;
Considérant qu'il est dès lors manifeste qu'autoriser un co-contractant à agir à tout moment, même si le contrat a été exécuté, pour soumettre à l'appréciation du juge le caractère abusif d'une clause d'un contrat et la voir déclarer non écrite, qu'imposer au juge, d'agir d'office, et d'écarter une telle clause, sans limite de temps, ni sans aucune autre condition, constitueraient des atteintes réelles à l'ordre social qui ne peut admettre que des situations acquises soient remises en cause sans prévisibilié aucune, et dépendent d' aléas judiciaires ;
Considérant que consacrer l'imprescriptibilité de cette action et la possibilité d'anéantir rétrospectivement les effets du contrat, de façon perpétuelle, créerait une insécurité juridique majeure ;
Considérant que la jurisprudence européenne doit être précisément examinée ;
Considérant que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg invoquée par les époux [M] (21 décembre 2016 C-154/15) ne peut en aucune manière être citée comme constituant une interdiction de prescription de l'action en déclaration d'une clause abusive ; qu'en effet, il y a lieu de retranscrire les paragraphes essentiels de cette décision : « ? » ;
Considérant que cet arrêt statue uniquement sur les effets, dont la Cour dit qu'ils ne peuvent pas être limités dans le temps, d'une décision ayant constaté le caractère abusif d'une clause ;
Considérant que, dans le cas présent, non seulement une telle décision n'existe pas, mais qu'au contraire la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel qui avait jugé que les clauses litigieuses du contrat Helvet Immo ne pouvaient être qualifiées d'abusives en ce qu'elles définissaient l'objet principal du contrat et qu'elles étaient rédigées de façon claire et compréhensible ;
Considérant qu'il doit être relevé que cet arrêt reconnaît expressément le droit aux juridictions nationales de conférer l'autorité de chose jugée à une décision qui contient une violation d'une disposition, quelle qu'en soit la nature, contenue dans la directive 93/13, et affirme que la protection du consommateur ne revêt pas un caractère absolu et que la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l'intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit de l'Union, en rappelant les termes de l'arrêt du 6 octobre 2009 (Asturcom Telecommnicaciones C-40/08EU : C2009/615) dont certains points doivent être retranscrits : « ? » ;
Considérant que cette décision rappelle que selon l'article 6 paragraphe 1, de la directive 93/13 du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, "les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux" (souligné par la cour) ; qu'elle énonce expressément qu'il n'est pas interdit à une juridiction nationale d'appliquer les règles de prescription à un contrat contenant des clauses abusives , que la protection du consommateur n'a pas un caractère absolu et doit céder devant les impératifs de sécurité juridique et de respect d'autorité de chose jugée, que le droit national doit seulement prévoir des délais raisonnables pour rendre l'exercice des recours effectif ;
Considérant que l'arrêt Cofidis (CJUE 21 novembre 2002 C 473/00) édicte seulement le principe selon lequel, en matière de clause abusive, la fin de non recevoir tirée de la prescription ne peut être opposée au consommateur qui forme sa demande par voie d'exception ou au juge qui la relève d'office ;
Considérant en effet que la cour a dit pour droit : « ? » ;
Considérant qu'il résulte clairement de cette décision que la cour n'a envisagé que le cas de l'action intentée par le professionnel qui demande, à l'encontre du consommateur, l'application d'une clause qui pourrait être qualifiée d'abusive ; qu'elle ne traite pas de l'action engagée par le consommateur à l'encontre du professionnel, qui est le cas d'espèce, puisque les époux [M] sont demandeurs à l'action et non pas défendeurs ;
Considérant, en outre, qu'il s'évince des termes même et du sens de la décision que la cour, non seulement ne consacre pas la thèse du caractère imprescriptible de l'action tendant à faire déclarer non écrite une clause qualifiée d'abusive, mais qu'au contraire, elle part du constat que l'action n'est pas, par elle même, imprescriptible et qu'elle est soumise à des délais de prescription par le droit national, ce qu'elle avait jugé autorisé dans l'arrêt cité précédemment, et qu'elle en déduit qu'il faut, afin d'assurer la protection du consommateur, absolument éviter que le professionnel "attend(e) l'expiration du délai fixé par le législateur national pour demander l'exécution des clauses abusives"(souligné par la cour) ;
Considérant, s'agissant du droit national, que le contrat est soumis, par sa date, aux dispositions de la loi n°208-561 du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile ;
Considérant que cette loi a eu parmi ses objectifs essentiels, celui de raccourcir le temps et modifier la durée de la prescription jugée le plus souvent excessive, celui d'harmoniser les délais, et d'intégrer les enjeux européens pour rendre le système juridique français plus sécurisé, plus performant et attractif pour les opérateurs économiques et le droit contractuel plus attrayant aux yeux des investisseurs ;
Considérant qu'il y a lieu, notamment, de rappeler que les deux délais de prescription de l'action en nullité absolue et relative ont été unifiés, par cette loi, en un seul délai de 5 ans, de sorte qu'il n'existe plus, du point de vue du délai de la prescription, aucune différence entre l'ordre public de direction et l'ordre public de protection, et de souligner que les conséquences du prononcé de la nullité d'une clause et de la qualification de clause abusive sont identiques , puisque la clause nulle est réputée n'avoir jamais existé ;
Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les époux [M], la cour ne peut tirer, ni de la rédaction de l'article R. 632-1 du code de la consommation qui prévoit que le juge peut relever d'office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application et qu'il écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat, ni des arrêts rendus le 4 juin 2009 par la CJCE (arrêt Pannon) et des arrêts de la cour de cassation du 29 mars 2017 (1ère chambre 15-27231, 16-13050), la conclusion qu'aucune limite temporelle ne saurait être imposée à l'action du juge, tenu d'examiner d'office le caractère abusif des clauses d'un contrat dont il est saisi ;
Considérant en effet tout d'abord, que l'article R. 632-1 du code de la consommation, qui figure au chapitre II intitulé "office du juge", du titre troisième intitulé "compétence du juge", effectue seulement une distinction entre ce que le juge "peut" et ce qu'il "doit" relever d'office ; que ce texte constitue une exception au principe selon lequel le juge du fond, au civil est lié par les prétentions des parties et qu'il ne peut modifier l'objet du litige dont il est saisi, et ceci pour suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel ;
Considérant que ce texte ne traite pas du problème de la prescription ; qu'il est constant que le juge, qui examine d'office certains moyens, est soumis aux mêmes conditions de temps et de délais que les parties elles mêmes et qu'il ne peut s'en affranchir ; qu'il y a lieu de rappeler, si besoin en était, que le juge pénal, se voit, comme la partie civile, opposer la prescription quand il exerce l'action publique, après l'expiration des délais prévus par la loi ;
Considérant que la CJCE, dans l'arrêt PANNON, et la cour de cassation dans les arrêts du 29 mars 2018, ont seulement dit, sans aborder la question de la prescription, que le juge national était tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ;
Considérant que les arrêts précités de la cour de cassation sont d'autant moins susceptibles d'avoir consacré sur le fond le caractère imprescriptible de l'action, et le caractère abusif de certaines clauses que, de façon constante, la cour lorsqu'elle examine le contrat lui même et le caractère abusif allégué de certaines clauses du contrat approuve la cour d'appel d'avoir considéré que les clauses du prêt Helvet Immo définissent l'objet principal du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensibles (1ère civile 3 mai 2018 17-13593 notamment) ;
Considérant qu'il doit être également relevé que dans l'arrêt Cofidis cité plus haut, la Cour de l'Union met sur le même plan l'exception soulevée par le juge et celle du consommateur, ce qui confirme que l'action du juge ne peut être décorrélée, s'agissant du délai pour agir, de celle de la partie ;
Considérant que les époux [M] ne peuvent pas sérieusement soutenir que le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où ils ont découvert le déséquilibre significatif, c'est-à-dire au jour où ils ont été en mesure de percevoir l'augmentation de la durée du crédit et la possibilité d'un déplafonnement total des échéances lors des cinq années supplémentaires, qu'ils fixent à la date de l'ordonnance de renvoi de la banque devant le tribunal correctionnel, et non à la date d'acceptation des offres ;
Considérant qu'il y a lieu de rappeler que la présente cour a eu à se prononcer sur le caractère abusif des clauses du prêt Helvet Immo, lorsque les demandes ont été présentées devant elle par les emprunteurs dans le délai de la prescription ; qu'elle a jugé, en se fondant sur les décisions de la CJUE, que la clause de monnaie de compte, dont toutes les autres ne sont que la déclinaison, définit l'objet principal du contrat et est rédigée de manière claire et compréhensible; que la cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre les arrêts qui ont retenu cette solution ;
Considérant qu'il ne peut être valablement soutenu que les époux [M], qui doivent être considérés comme des consommateurs raisonnablement attentifs, et qui savent gérer leur patrimoine, n'ont pas compris, avant que le risque ne se réalise, qu'ils étaient soumis au risque de change et que la révélation de ce risque leur a été faite par la décision de renvoi de la banque devant le tribunal ;
Considérant qu'il y a lieu de relever, ainsi que cela a été décrit plus haut, que les époux [M] ont reçu un véritable dossier comprenant l'offre et ses annexes, avec sommaire et fiche d'information ; qu'il résulte de ces documents que les époux [M] ont été spécialement informés de la caractéristique essentielle des prêts qui, consentis dans une devise étrangère, et remboursables en euros, étaient nécessairement impactés par le risque de change et qu'ils ont reconnu avoir reçu cette information ; que les clauses de l'offre de prêt sont rédigées de manière claire et compréhensible sur les plans formel et grammatical et qu'elles fournissent aux emprunteurs des informations suffisantes sur l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation de la monnaie dans laquelle ils perçoivent leurs revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle les prêts ont été accordés ; que l'article "description de votre crédit", qui figure en première page des offres de prêt acceptées par les époux [M] indique que ces derniers ont emprunté des sommes chiffrées en francs suisses ; que l'article "Financement de votre crédit" précise que le capital emprunté permettra de débloquer le montant du prix de vente de l'immeuble chiffré en euros chez le notaire et de payer les frais de change correspondant à cette opération ; que l'article "Ouverture d'un compte interne en euros et d'un compte interne en francs suisses pour gérer votre crédit" explique sans équivoque le fonctionnement du prêt en devise ; que les articles "Compte interne en euros" et "Compte interne en francs suisses" détaillent les opérations effectuées à chaque paiement d'échéance au crédit et au débit de chaque compte ; que les opérations de change sont clairement décrites dans l'offre ; que les clauses "description de votre crédit", "financement de votre crédit", "ouverture de compte interne en euros et d'un compte interne en francs suisses" "opérations de change" font expressément référence aux opérations et aux frais de change ; que dans l'article "opérations de change" il est expressément mentionné que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change et que le taux de change applicable à toutes les opérations de change sera le taux de change de référence publié sur le site internet de la Banque Centrale Européenne ; que cet article explique que l'amortissement du prêt se fait par la conversion des échéances fixes en euros et que la conversion s'opérera selon un taux de change qui pourra évoluer; que l'amortissement évolue en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels effectués par l'emprunteur, que l'amortissement du capital sera plus ou moins rapide, selon qu'il résulte de l'opération de change une somme supérieure ou inférieure à l'échéance en francs suisses exigible ; qu'ainsi les époux [M] ont été clairement, précisément, expressément, informés sur le risque de variation du taux de change et sur son influence sur la durée du prêt et donc sur la charge totale de remboursement de ce prêt ; que la variation du taux de change est au coeur de l'économie du contrat de prêt souscrit par les époux [M] puisqu'ils ont contracté un prêt en francs suisses qu'ils devaient rembourser en euros, les échéances étant converties en francs suisses au taux de change déterminé deux jours ouvrés avant l'arrêté de compte ; que les trois annexes (tableau d'amortissement prévisionnel, notice présentant les conditions et modalités de variations du taux d'intérêt du crédit, informations relatives aux opération de change) font expressément référence, ainsi que cela est illustré plus haut, à l'incidence de la variation du taux de change sur le montant des règlements, la durée et le coût total du crédit; qu'il est spécifié que les tableaux et les exemples chiffrés sont prévisionnels et indicatifs ; que dans le dernier document il est spécialement indiqué que le prêteur n'est pas engagé sur l'évolution du taux de change euros contre francs suisses et sur le taux d'intérêt et par conséquent sur les durées , montants des règlements mensuels et coûts totaux qui sont mentionnés; que l'attention des emprunteurs a été spécialement appelée , dans le formulaire de l'acceptation de l'offre de crédit sur l'existence des opérations de change pouvant avoir un impact sur le plan de remboursement; que la BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE a, dans l'offre, qui détaille les caractéristiques du prêt, et les annexes, qui la synthétisent sur les points essentiels et contiennent des simulations chiffrées, respecté son obligation d'information, neutre et descriptive, envers les emprunteurs et que les époux [M] ne peuvent pertinemment prétendre qu'ils n'ont compris qu'à la fin de l'information pénale, que le risque de change et le paiement d'échéances fixes en euros impliquaient logiquement et nécessairement un risque d'augmentation de la contrevaleurs en euros du capital restant dû en francs suisses et d'allongement de la durée des prêts, alors que le fonctionnement concret du mécanisme du prêt en devises résulte de la seule lecture des documents qu'ils ont reçus et acceptés ;
Considérant en conséquence que les époux [M] ne peuvent se prévaloir d'un quelconque report du point de départ du délai de prescription ;
Considérant qu'ils ne peuvent non plus invoquer la violation qui en découlerait pour eux de leur droit à un recours effectif au juge, prévu par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ;
Considérant en effet que ce droit n'est pas absolu , qu'il se prête à certaines limitations et appelle une réglementation par l'État, jouissant à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ; qu'en l'espèce le droit au tribunal des époux [M] ne se trouve pas atteint dans sa substance même ; que les délais de prescription, qui ne sont pas exagérément courts, puisqu'ils sont de 5 ans, poursuivent un but légitime, en ce que l'appréciation du délai à respecter pour former une demande vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique ;
Considérant qu'il se déduit de ce qui précède que l'action tendant à voir réputer non écrite une clause abusive relève du régime de la prescription quinquennale de droit commun ; que le point de départ de la prescription est la date de la conclusion du contrat ; que les emprunteurs ont déclaré accepter l'offre de prêt le 14 octobre 2008 ; qu'ils ont invoqué, pour la première fois, le caractère abusif de certaines clauses contenues dans l'offre de prêt dans leurs conclusions du 29 novembre 2018, c'est-à-dire postérieurement à l'expiration du délai de prescription qui est intervenu le 15 octobre 2013 ; que ces demandes sont donc irrecevables car prescrites ;
1°) ALORS QUE la demande du consommateur tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en retenant, pour les déclarer irrecevables, que les demandes des époux [M] tendant à voir déclarer non écrites les clauses abusives des contrats de prêt Helvet Immo étaient soumises à la prescription quinquennale, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
2°) ALORS QUE, en outre, aucune limite temporelle n'est fixée à l'obligation pour le juge d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ; qu'en décidant néanmoins, pour refuser d'examiner le caractère abusif des clauses des contrats de prêt dont elle était saisie, que le juge était soumis aux mêmes conditions de temps et de délais que les parties elles-mêmes, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, le délai de prescription de l'action tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive ne commence à courir qu'à compter du jour où le consommateur découvre l'existence d'un déséquilibre significatif ; qu'en se bornant à relever, pour dire que le délai de prescription avait commencé de courir, pour chaque prêt, à la date d'acceptation de l'offre, que les époux [M] avaient pu se convaincre par les mentions des offres de prêt de l'existence d'un risque de change et des conséquences économiques qui découlaient pour eux du contrat, sans constater qu'ils avaient pris conscience de l'existence d'un déséquilibre significatif à leur détriment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2224 du code civil et L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation ;
4°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action tendant à voir déclarer non écrite une clause abusive ne commence à courir à la date de conclusion du contrat que si le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère a été exposé de manière transparente à l'emprunteur, de sorte que ce dernier ait été mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlaient pour lui, notamment par la fourniture d'informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de l'euro et de ce qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé ; qu'en se bornant, pour placer le point de départ de la prescription au jour de la conclusion du prêt, à se référer aux stipulations du prêt, sans constater que le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère avait été exposé de manière transparente à l'emprunteur selon les critères précités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les époux [M] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur demande indemnitaire au titre du manquement de la banque à son obligation de renégocier le contrat ;
AUX MOTIFS QUE :
Considérant qu'il ne saurait être reproché à la BNP Paribas Personal Finance d'avoir manqué à son obligation de bonne foi en refusant de renégocier le contrat ;
Considérant que l'article 1195 du code civil issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, n'est pas applicable à l'espèce ;
Considérant que l'article 1134 du code civil, dont les dispositions s'appliquent aux contrats litigieux, prévoit que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que le contrat est intangible et que le juge n'a pas le pouvoir de le réviser ; que dans le cas présent, ainsi qu'il a été dit plus haut, les emprunteurs ont été informés que l'amortissement du crédit serait soumis à la variation du taux de change et que le bouleversement de l'économie du contrat provoquant son déséquilibre qu'ils invoquent n'est que l'application des stipulations contractuelles qui prévoient explicitement que l'amortissement du crédit sera soumis à la variation du taux de change ;
Considérant que les époux [M] seront déboutés de leurs demandes indemnitaires ;
1°) ALORS QU'en cas de bouleversement des conditions d'exécution d'un contrat, qui aurait pour effet de rendre celles-ci ruineuses, le créancier de l'obligation dont les conditions d'exécution ont été bouleversées, tenu d'une obligation d'exécuter de bonne foi, doit proposer la renégociation du contrat en cause ; qu'en se fondant, pour écarter la demande indemnitaire des époux [M], sur la circonstance inopérante que le contrat était intangible et que le juge n'avait pas le pouvoir de le réviser, ce qui était sans incidence sur la demande indemnitaire fondée sur l'obligation de renégocier le contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QU'en se bornant par ailleurs à relever que les emprunteurs avaient été informés que l'amortissement du crédit serait soumis à la variation du taux de change et que le bouleversement de l'économie du contrat qu'ils invoquaient n'était que l'application des stipulations contractuelles, sans rechercher, comme elle y invitée, si, comme le soutenait la banque, le décrochage de l'euro n'avait pas été brusque et imprévisible, de sorte que ce n'était pas de l'application du contrat que résultait le bouleversement de ses conditions d'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.