LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 mars 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 329 F-D
Pourvoi n° E 20-20.255
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 MARS 2022
M. [L] [E], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 20-20.255 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel de Metz (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [E], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 février 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 9 juillet 2020), par ordonnance du 3 juin 2019, un tribunal d'instance, statuant comme tribunal de l'exécution, a ordonné, à la requête de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque), l'exécution forcée de biens immobiliers appartenant à M. [E].
2. Sur le pourvoi immédiat formé par ce dernier, ce tribunal a maintenu sa décision et transmis le dossier à une cour d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. M. [E] fait grief à l'arrêt de dire, s'agissant du prêt n° 05652320, que les créances résultant des échéances impayées du 2 juin 2015 au 2 juillet 2016, d'un montant de 111 585,45 euros sont prescrites et que les intérêts de retard au taux de 4,9 % portés au commandement aux fins d'exécution forcée immobilière à hauteur de la somme de 32 629,97 euros arrêtée au 12 mars 2019 ne sont pas dus, de dire s'agissant du prêt n° 5624580 que la créance résultant de l'échéance impayée au 24 mai 2015 d'un montant de 1876,33 euros est prescrite et que les intérêts de retard portés en compte au commandement aux fins d'exécution forcée immobilière à hauteur de la somme de 349,62 euros euros arrêtée au 12 mars 2019 ne sont pas dus et que les créances résultant des échéances mensuelles de remboursement courant du 24 mai 2015 au 24 juillet 2016 sont prescrites et qu'en conséquence les intérêts de retard portés en compte à ce titre ne sont pas dus, de dire que le commandement de payer signifié le 27 mars 2019 demeure valable à concurrence du surplus, de confirmer l'ordonnance déférée du tribunal d'instance de Thionville du 3 juin 2009 ayant ordonné l'exécution forcée des biens immobiliers inscrits au Livre foncier de Hayange, à son nom, cadastrés section [Cadastre 6] et au Livre foncier de Nilvange cadastrés section [Cadastre 7], section [Cadastre 1], section [Cadastre 2], lots 1,2,4 et 5 sauf en ce qu'elle a indiqué que la vente était autorisée en recouvrement des sommes en principal de 600 017,54 euros outre les intérêts et les frais y afférents et de dire que la vente forcée immobilière est ordonnée en recouvrement du montant en principal de 600 017,54 euros dont à déduire le montant des créances déclarées prescrites et des intérêts y attachés alors « que ni une mise en demeure de régler les échéances impayées d'un prêt, ni un commandement délivré préalablement à la poursuite de l'exécution forcée sur des biens immeubles sur le fondement des articles 141 et suivants de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, qui ne constitue ni une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ni un acte d'exécution forcée n'est pas interruptif de prescription ; qu'en jugeant au contraire qu'était interruptif de prescription « le commandement de payer aux fins de saisie-vente signifié le 30 juillet 2018 », la cour d'appel a violé l'article 2044 du code civil, ensemble les articles L. 341-1 et R. 321-3 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La banque conteste la recevabilité du moyen au motif que celui-ci est nouveau.
5. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 2241 et 2244 du code civil :
6. Selon le premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Aux termes du second, le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
7. Il en résulte que, sauf exception, une mise en demeure n'interrompt pas la prescription.
8. Pour statuer comme il l'a fait, l'arrêt retient que la banque se prévaut de deux actes de prêt, tous deux revêtus de la formule exécutoire le 17 juin 2015 et signifiés avec commandement au débiteur le 27 mars 2019, que celle-ci justifie avoir fait signifier au débiteur, le 30 juillet 2018, une lettre de mise en demeure en date du 26 juillet 2018 d'avoir à payer dans un délai de huit jours les échéances impayées et intérêts dus au titre des deux prêts en cause sous peine de voir prononcer la déchéance du terme et qu'est en l'espèce seul interruptif de prescription le « commandement de payer aux fins de saisie-vente » signifié le 30 juillet 2018.
9. En statuant ainsi, alors que l'acte signifié au débiteur le 30 juillet 2018, qui devait être regardé comme une mise en demeure, n'était pas interruptif du délai de prescription, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable le pourvoi immédiat formé par M. [E], l'arrêt rendu le 9 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;
Condamne la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [E]
M. [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir
- dit que s'agissant du prêt n° 0565232 0, que les créances résultant des échéances impayées du 2 juin 2015 au 2 juillet 2016, d'un montant de 111 585,45 euros sont prescrites et que les intérêt s de retard au taux de 4,9 % portés au commandement aux fins d'exécution forcée immobilière à hauteur de la somme de 32 629,97 euros arrêtée au 12 mars 2019 ne sont pas dus
-
- dit s'agissant du prêt n° 562458 0 que
? la créance résultant de l' échéance impa yée au 24 mai 2015 d'un montant de 1876,33 euros est prescrite et que les intérêts de retard portés en compte au commandement aux fins d'exécution forcée immobilière à hauteur de la somme de 349,62 euros euro s arrêtée au 12 mars 2019 ne sont pas dus
? les créances résultant des échéances mensuelles de remboursement courant du 24 mai 2015 au 24 juillet 2016 sont prescrites et qu'en conséquence les intérêts de retard portés en compte à ce titre ne sont pas dus.
- dit que le commandement de payer signifié le 27 mars 2019 demeure valable à concurrence du surplus.
- confirmé l'ordonnance déférée du tribunal d'instance de Thionville du 3 juin 2009 ayant ordonné l'exécution forcée des biens immobiliers inscrits au Livre foncier de Hayange, au nom de M. [E] [L], cadastrés section [Cadastre 5] et au Livre foncier de Nilvange cadastrés section [Cadastre 7], section [Cadastre 1], section [Cadastre 2], lots 1,2,4 et 5 sauf en ce qu'elle a indiqué que l a vente était autorisée en recouvrement des s ommes en principal de 600 017,54 euros outre les intérêts et les frais y attachés - dit que la vente forcée immobilière est ordonnée en recouvrement du montant en principal de 600 017,54 euros dont à déduire l e montant des créances déclarées prescrites e t des intérêts y attachés
1°) ALORS QUE la cour d'appel a retenu que la BPLAC se prévalait de deux actes de prêt tous deux revêtus de la formule exécutoire le 17 juin 2015 et signifiés avec commandement au débiteur le 27 mars 2019, que la banque justifiait avoir fait signifier à la personne du débiteur le 30 juillet 2018 une lettre de mise en demeure en date du 26 juillet 2018 d'avoir à payer dans un délai de huit jours les échéances impayées et intérêts dus au titre des deux prêts en cause soit un montant total de 335 462,00 euros sous peine de voir prononcer la déchéance du terme ; qu'en énonçant ensuite qu'un commandement de payer aux fins de saisie-vente avait été signifié le 30 juillet 2018, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE conformément à ce qu'indiquait M. [E] dans ses conclusions, la BPALC faisait valoir qu'elle avait mis en demeure l'exposant le 30 juillet 2018 de lui régler les sommes dues sans soutenir qu'elle aurait délivrer un commandement aux fins de saisies ; qu'en retenant que la BPALC avait délivré un commandement aux fins de saisie le 30 juillet 2018, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, en violation de l'article 4 du code civil ;
3°) ALORS QUE ni une mise en demeure de régler les échéances impayées d'un prêt, ni un commandement délivré préalablement à la poursuite de l'exécution forcée sur des biens immeubles sur le fondement des articles 141 et suivants de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, qui ne constitue ni une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ni un acte d'exécution forcée n'est pas interruptif de prescription ; qu'en jugeant au contraire qu'était interruptif de prescription « le commandement de payer aux fins de saisie-vente signifié le 30 juillet 2018 », la cour d'appel a violé l'article 2044 du code civil, ensemble les articles L. 341-1 et R. 321-3 du code des procédures civiles d'exécution.