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16/03/2022 | FRANCE | N°20-86502

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 16 mars 2022, 20-86502


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° N 20-86.502 F-D

N° 00309

RB5
16 MARS 2022

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2022

MM. [Y] [J] et [Z] [N] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2020, qui, a

condamné le premier, pour abus de confiance aggravé, faux et usage, à cinq ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, tro...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° N 20-86.502 F-D

N° 00309

RB5
16 MARS 2022

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2022

MM. [Y] [J] et [Z] [N] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2020, qui, a condamné le premier, pour abus de confiance aggravé, faux et usage, à cinq ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, trois ans d'interdiction professionnelle, le second, pour escroquerie et recel, en récidive, à cinq ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [Y] [J], les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [Z] [N], les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête a été ouverte après qu'une cliente de la Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon se fut rendue au commissariat de police ayant appris que ses comptes bancaires ainsi que son livret A, détenus par cette banque, avaient été vidés de leur contenu.

3. Elle soupçonnait son gestionnaire de compte, M. [Y] [J], d'être à l'origine de ces détournements alors que ce dernier lui avait auparavant remis un relevé de compte qui, ne faisant apparaître aucune anomalie, s'est avéré fictif.

4. Entendu par la police, M. [J] a reconnu être l'auteur de détournements au préjudice de plusieurs clients choisis parmi les plus âgés ainsi qu'avoir falsifié des documents bancaires destinés à effectuer des transactions pour le compte et à l'insu desdits clients. Ses agissements auraient été causés par les pressions et les menaces de M. [Z] [N], qu'il a connu dans le cadre professionnel ; les investigations n'ont cependant pas permis de corroborer ce point.

5. M. [N], qui a été interpellé, n'a pas contesté être l'auteur de détournements de montants de prêts souscrits en faisant usage de faux noms au détriment de plusieurs de ses connaissances. En utilisant l'identité de ces dernières, il a ouvert des comptes bancaires dont il était l'unique bénéficiaire grâce à M. [J] qui lui reversait les fonds directement ou par l'intermédiaire de M. [U].

6. Les juges du premier degré ont condamné MM. [J], [N] et [U] le premier des chefs d'abus de confiance, faux et usage, le deuxième des chefs d'escroquerie et recel et le troisième du chef de recel.

7. Sur les intérêts civils, les juges ont dit, d'une part, que la Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon a concouru à la réalisation de ses dommages à hauteur de 70 % au titre du préjudice matériel, et d'autre part, que MM. [J], [N] et [U] sont solidairement responsables du reliquat de ces dommages.

8. MM. [J], [N] et le ministère public ont interjeté appel ainsi que la Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon sur les intérêts civils.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens proposés pour M. [J] et sur les premier et deuxième moyens proposés pour M. [N]

9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le troisième moyen proposé pour M. [J] et le troisième moyen, pris en sa seconde branche proposé pour M. [N]

Enoncé des moyens

10. Le troisième moyen proposé pour M. [J] critique l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, en ce qu'il l'a condamné, solidairement avec MM. [N] et [U], à payer à la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon la somme de 651 277,07 euros en réparation du préjudice financier résultant des abus de confiance, l'a condamné, solidairement avec MM. [N] et [U], à payer à la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon la somme de 95 566,48 euros en réparation du préjudice financier résultant des escroqueries et l'a condamné, solidairement avec MM. [N] et [U], à payer à la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon la somme de 5 000 euros au titre du préjudice commercial et de perte d'image et la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral, alors :

« 1°/ que lorsque plusieurs fautes, y compris de négligence, ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient aux juges du fond ; qu'est de nature à constituer une faute ayant concouru à la production du dommage le fait, pour la victime, de ne pas avoir pris les précautions utiles pour éviter le dommage ; que la cour d'appel a retenu au contraire que seule une faute caractérisée d'une « gravité certaine », à l'exclusion d'une simple négligence, était susceptible de diminuer le droit à réparation de la victime, de sorte que le fait de ne pas avoir détecté des opérations frauduleuses effectuées par son salarié, lorsque celles-ci avaient été dissimulées, ne constituait pas une faute susceptible d'être opposée à la banque pour diminuer ou la priver de l'indemnisation de son préjudice ; qu'en statuant ainsi, quand, précisément, le fait pour la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon, y compris par négligence, de ne pas prendre de mesures utiles pour empêcher la dissimulation d'opérations frauduleuses par ses salariés était de nature à constituer une faute ayant concouru à la production de son propre dommage, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1240 du code civil et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention des droits de l'homme ;

2°/ que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient aux juges du fond ; qu'est de nature à constituer une faute ayant concouru à la production du dommage le fait, pour la victime, de ne pas avoir pris les précautions utiles pour éviter le dommage ; que la cour d'appel a constaté que les procédures de contrôle interne avaient été mises en oeuvre à plusieurs reprises à travers des alertes déclenchées par des opérations effectuées sur les comptes de quatorze clients du portefeuille de M. [J] et que les réponses mensongères fournies à sa hiérarchie par ce dernier apparaissant cohérentes et motivées, celles-ci n'avaient pas engendré d'investigations complémentaires, d'où il ressortait que la victime, alertée par des opérations inhabituelles, s'était satisfaite des seules affirmations de la personne qu'elle était censée contrôler ; qu'en excluant toute faute de la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon dans la production de son dommage, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que celle-ci avait fait preuve d'une négligence fautive, en ne prenant aucune précaution utile pour éviter le dommage, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1240 du code civil et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de des droits de l'homme ;

3°/ que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient aux juges du fond ; que, pour exclure toute faute de la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon dans la production de son dommage, la cour d'appel a retenu que seule une faute caractérisée de la victime d'une « gravité certaine » – à l'exclusion d'une simple négligence – pouvait réduire l'indemnisation du préjudice de la victime et que ne revêtait pas un tel caractère de gravité le contournement par M. [J], « une seule fois de manière évidente », des règles de délégation d'octroi de crédits par le dépassement du plafond de 20 000 euros ; qu'en statuant ainsi, quand une telle circonstance caractérisait une faute de la victime dans ses procédures de contrôle, de nature à diminuer son droit à réparation, la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1240 du code civil et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention des droits de l'homme ;

4°/ que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient aux juges du fond ; que M. [J] faisait valoir que Mme [G] avait effectué plusieurs signalements auprès du directeur d'agence, qui avait immédiatement décelé que le relevé bancaire remis par M. [J] à cette cliente était un faux mais que, selon les propres affirmations du directeur d'agence, « les choses en [étaient] restées là », le supérieur hiérarchique du directeur ayant décidé d'un traitement « ultérieurement » ; qu'en excluant toute faute de la Caisse d'épargne Languedoc-Roussillon dans la production de son dommage, notamment par la considération qu'avant la plainte de Mme [G], aucune anomalie manifeste n'avait été révélée auprès de la banque, sans s'expliquer sur ce moyen péremptoire des conclusions de M. [J], la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2 du code de procédure pénale, 1240 du code civil et 1er du premier protocole additionnel à la Convention des droits de l'homme, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »

11. Le troisième moyen, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [N] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [N], solidairement avec les autres prévenus, à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon la somme de 651 277,07 euros en réparation du préjudice financier résultant des abus de confiance, alors :

« 2°/ que, lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient souverainement aux juges du fond ; qu'en jugeant que l'indemnisation due à l'auteur d'une infraction intentionnelle ne peut être réduite en raison de la simple négligence de la victime et nécessite une faute caractérisée d'une gravité certaine, lorsque de simples négligences suffisent à établir une faute permettant de réduire l'indemnisation de la victime et qu'il résulte des pièces de la procédure, notamment de l'audition du directeur de l'agence bancaire, que de nombreuses procédures d'alertes ont été déclenchées suite aux agissements de M. [J] et qu'aucune suite n'a été donnée à ces alertes, circonstances qui établissent une négligence de la banque qui a ainsi concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 1241 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 du code de procédure pénale et 1382, devenu 1240, du code civil :

13. Il se déduit de ces textes que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité civile de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient souverainement aux juges du fond.

14. Pour déclarer les prévenus entièrement responsables des dommages subis par la victime et les condamner au paiement des intérêts civils correspondant à l'intégralité des préjudices, l'arrêt attaqué énonce que l'indemnisation due par l'auteur d'une infraction intentionnelle ne peut être réduite en raison de la simple négligence de la victime et nécessite une faute caractérisée d'une gravité certaine, laquelle doit avoir un rôle causal dans la réalisation du dommage.

15. L'arrêt relève que le fait pour la partie civile de ne pas avoir détecté les opérations frauduleuses effectuées par son salarié, alors que celles-ci ont été dissimulées, ne constitue pas une faute susceptible d'être opposée à la banque pour diminuer ou la priver de l'indemnisation de son préjudice.

16. L'arrêt relève encore que les juges ne trouvent pas d'éléments permettant d'affirmer que la banque aurait failli dans son système de surveillance et de contrôle alors que, si les détournements ont été réalisés durant plusieurs mois, ils ont été mis en oeuvre grâce à une stratégie de contournement des procédures internes permettant de détecter les mouvements inhabituels tels que le fractionnement des retraits en espèces à hauteur de 3 000 euros, les retraits effectués alors que M. [J] se trouvait seul à l'agence ou encore les justifications économiques crédibles apportées en cas d'alerte du dépassement du plafond sur une période de soixante-dix jours.

17. Les juges ajoutent que les procédures internes de contrôle de la banque apparaissent avoir été ouvertes à plusieurs reprises en raison d'alertes déclenchées par des opérations effectuées sur les comptes de quatorze clients du portefeuille de M. [J]. Ces alertes n'ont pas généré d'investigations complémentaires compte tenu des réponses mensongères, mais semblant cohérentes et motivées, apportées par M. [J] à sa hiérarchie.

18. Les juges précisent, enfin, que M. [J] n'a contourné qu'une seule fois de manière évidente les règles de délégation d'octroi de crédits dépassant le plafond de 20 000 euros pour un client à qui il a accordé un prêt de 21 500 euros, ce qui n'est pas de nature à constituer une faute caractérisée d'une gravité certaine commise par la banque.

19. Les juges en concluent qu'il y a lieu de réformer le jugement en ce qu'il a dit que la Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon a concouru à la réalisation du dommage qu'elle a subi.

20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a recherché qu'une faute d'une certaine gravité, alors qu'une faute simple suffisait pour prononcer un partage de responsabilité, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation à intervenir ne concernera que les dispositions portant sur les intérêts civils relatifs à la Caisse d'épargne et de prévoyance du Languedoc-Roussillon ; elle sera étendue à M. [U] dès lors qu'il ne s'est pas pourvu.

23. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen proposé pour M. [J] ni la première branche du troisième moyen proposé pour M. [N], la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 9 novembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize mars deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 20-86502
Date de la décision : 16/03/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 09 novembre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 16 mar. 2022, pourvoi n°20-86502


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Spinosi, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.86502
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