LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mars 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 255 F-D
Pourvoi n° A 20-19.998
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 MARS 2022
Mme [O] [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-19.998 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige l'opposant au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorismes et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [V], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorismes et d'autres infractions, et après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 19 mai 2020), Mme [V] a été victime d'une agression le 7 août 2006. L'auteur des faits a été déclaré coupable de violences à son encontre par un tribunal correctionnel qui a également jugé la victime recevable en sa qualité de partie civile.
2. Après avoir conclu, le 19 juillet 2007, une transaction avec le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) pour l'indemnisation de ses préjudices, Mme [V] a saisi, le 6 novembre 2015, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) d'une demande d'expertise médicale, en raison de l'aggravation de son état.
3. L'expert désigné, médecin stomatologue, n'ayant pas retenu d'élément imputable à l'agression pouvant constituer une aggravation, Mme [V] a demandé à la CIVI de nommer un expert psychiatre afin de déterminer l'aggravation psychiatrique de son état, à la suite de l'agression initiale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'expertise psychiatrique, alors « que lorsque le ministère public est partie jointe à l'instance et qu'il adresse a la juridiction des conclusions écrites, celle-ci ne peut statuer sans s'assurer que les conclusions ont été régulièrement communiquées entre les parties et que celles-ci ont été mises en mesure d'y répondre ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'arrêt que le ministère public, partie jointe, a déposé des conclusions le 4 septembre 2019 ; qu'en statuant sur l'action intentée par l'exposante sans constater que cette dernière avait eu communication des conclusions du ministère public et été mise en mesure d'y répondre, la cour d'appel a violé les articles 16, 424 et 431 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16, 424 et 431 du code de procédure civile :
5. Selon le premier de ces textes, le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
6. Il résulte des deux derniers que les conclusions écrites du ministère public, partie jointe lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire qui lui est communiquée, doivent être mises à la disposition des parties.
7. L'arrêt se prononce au visa des conclusions du procureur général concluant à la confirmation de la décision déférée.
8. En statuant ainsi, sans constater que Mme [V] avait eu communication des conclusions du ministère public et avait eu la possibilité d'y répondre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre moyen du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En l'application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour Mme [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [V] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté la demande d'expertise psychiatrique demandée par ses soins,
ALORS QUE lorsque le ministère public est partie jointe à l'instance et qu'il adresse à la juridiction des conclusions écrites, celle-ci ne peut statuer sans s'assurer que les conclusions ont été régulièrement communiquées entre les parties et que celles-ci ont été mises en mesure d'y répondre ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'arrêt que le ministère public, partie jointe, a déposé des conclusions le 4 septembre 2019 ; qu'en statuant sur l'action intentée par l'exposante sans constater que cette dernière avait eu communication des conclusions du ministère public et été mise en mesure d'y répondre, la cour d'appel a violé les articles 16, 424 et 431 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mme [V] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté la demande d'expertise psychiatrique demandée par ses soins,
1°/ ALORS QUE la transaction indemnisant le dommage corporel subi par une victime d'infraction ne lui interdit pas d'obtenir réparation de l'aggravation de son préjudice ; qu'en l'espèce, il était acquis que l'état psychiatrique de la victime s'était aggravé depuis l'agression dont elle avait été victime, ce qui justifiait le prononcé d'une mesure d'expertise destinée à évaluer le préjudice résultant d'une telle aggravation et son imputabilité ; qu'en jugeant que la transaction conclue en 2007 entre Mme [V] et le FGTI l'empêchait de solliciter une indemnisation pour l'aggravation du préjudice manifesté postérieurement, la cour d'appel a violé l'article 2048 du code civil, par fausse application.
2°/ ALORS QUE le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice ne saurait être réduit en raison des prédispositions de la victime ; qu'en se fondant, pour rejeter la demande de Mme [V], sur le fait que l'agression de 2006 avait causé une réaction psychologique venant aggraver un état antérieur qui avait été prise en compte lors de la transaction conclue en 2007, sans se prononcer sur l'imputabilité à l'agression de l'aggravation du préjudice subi par Mme [V] depuis lors, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, pris ensemble l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil.
3°/ ALORS QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige ; qu'en l'espèce, l'exposante soutenait que l'aggravation du préjudice dont elle souffrait était imputable à l'agression de 2006, le Fonds de garantie soutenant quant à lui qu'elle trouvait sa cause dans son état antérieur ; qu'en se fondant, pour débouter l'exposante de sa demande, sur le fait que l'aggravation de son état trouvait sa cause dans de « nouveaux facteurs de stress » postérieurs à l'agression, ce qui n'était pas soutenu par les parties, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
4°/ ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; que le juge ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en jugeant, par motifs adoptés, qu'il n'existait pas de lien entre l'aggravation de l'état psychologique de la victime et l'agression, sans examiner les certificats médicaux produits en cause d'appel, qui relevaient au contraire l'existence d'un lien entre l'aggravation des troubles psychologiques de Mme [V] et l'agression subie en 2006, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
5°/ ALORS, en tout état de cause, QUE le juge ne peut rejeter la demande d'expertise au motif que le demandeur ne rapporte pas la preuve des faits que la mesure d'instruction sollicitée a précisément pour objet d'établir ; qu'en reprochant à l'exposante de ne pas rapporter la preuve que son état psychique actuel était issu directement de l'agression subie en août 2006, fait que la mesure d'instruction sollicitée avait précisément pour objet d'établir, la cour d'appel a violé les articles 706-3 et suivants et R.50-1 et suivants du code de procédure pénale.