LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 mars 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. [N], conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 165 F-B
Pourvoi n° D 20-11.951
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 MARS 2022
M. [F] [N], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° D 20-11.951 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 3],
2°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1],
3°/ au comptable du service des impôts des entreprises de Grenoble Belledonne Vercors, domicilié [Adresse 4], agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [N], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, du directeur général des finances publiques, et du comptable du service des impôts des entreprises de Grenoble Belledonne Vercors, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. [N], conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 7 novembre 2019), par acte du 28 février 2018, le comptable du service des impôts des entreprises de Grenoble Belledonne Vercors, agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie et du directeur général des finances publiques, a émis un avis de mise en recouvrement contre M. [N], associé de la société en participation La Cloche (la SEP), au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, de la contribution à l'audiovisuel public, de la cotisation foncière des entreprises, de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux et de pénalités dues par la SEP. Le comptable public a, le 10 avril 2018, mis en demeure M. [N], en sa qualité d'associé de la SEP, de payer ces impositions et pénalités.
2. Après rejet de son opposition à poursuite, M. [N] a assigné le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Savoie devant un tribunal judiciaire en annulation de la mise en demeure.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 76 du code de procédure civile et les articles L. 281 et L. 199 du livre des procédures fiscales :
5. Il résulte des deux derniers textes que les contestations relatives au recouvrement qui portent sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée relèvent, en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, de la compétence du juge administratif. Selon le premier texte, l'incompétence de la juridiction judiciaire peut être relevée d'office par la Cour de cassation si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction administrative.
6. Pour rejeter les moyens d'annulation de la mise en demeure pris de ce que M. [N] n'a jamais entendu agir au nom de la SEP en qualité d'associé au vu et au su des tiers, de ce qu'il n'est pas justifié de sa participation à l'activité sociale et de ce que l'administration se devait de lui signifier la dette de la SEP et justifier de tentatives préalables de recouvrement auprès de cette dernière, restées infructueuses, l'arrêt, après avoir constaté que l'administration fiscale réclamait à la SEP des sommes au titre de la contribution à l'audiovisuel public, de la taxe sur la valeur ajoutée, de la cotisation foncière des entreprises et de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux, retient que M. [N] a, dans sa déclaration de revenus pour l'année 2017, déclaré des déficits au titre de l'exploitation de la SEP, qu'il a ainsi entendu se présenter aux yeux de l'administration fiscale comme étant associé de la SEP et que cette administration est, en conséquence, en droit de lui réclamer l'ensemble des créances détenues par elle sur la SEP.
7. En statuant ainsi, alors que la contestation par M. [N] de son obligation au paiement des impositions dues par la SEP relève de la compétence du juge de l'impôt qui, s'agissant des impositions en cause, est le juge administratif, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. La cassation prononcée implique, en effet, qu'il ne peut être statué au fond par le juge judiciaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les moyens d'annulation de la mise en demeure du 10 avril 2018 pris de ce que M. [N] n'a jamais entendu agir au nom de la société en participation La Cloche en qualité d'associé au vu et au su des tiers, de ce qu'il n'est pas justifié de sa participation à l'activité sociale et de ce que l'administration fiscale se devait de lui signifier la dette de cette société et justifier de tentatives préalables de recouvrement auprès de cette dernière, restées infructueuses, l'arrêt rendu le 7 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour connaître des moyens d'annulation de la mise en demeure du 10 avril 2018 qui portent sur la contestation de l'obligation de M. [N] au paiement ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [N] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. [N].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'Avoir constaté la régularité de la mise en demeure du 10 avril 2018, d'Avoir en conséquence débouté M. [N] de toutes ses demandes et prétentions, d'Avoir rejeté toutes autres demandes et demandes plus amples et d'Avoir condamné M. [N] aux dépens de première instance et d'appel, autorisant la Selas Agis Avocats à recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu de provision ;
Aux motifs propres que, sur l'imputation à M. [N] des impositions dues par la société La Cloche, l'administration a réclamé à la société La Cloche les sommes suivantes : - 3 512 euros outre 252 euros d'intérêts de retard au titre de la contribution à l'audiovisuel public ; - 823,87 euros outre 73 euros de majoration au titre de la TVA de juin 2015 ; - 7 232 euros et 362 euros de pénalités au titre de la contribution foncière des entreprises (CFE) et de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) pour l'année 2015 ; - 7 287 euros et 364 euros de pénalités au titre des impositions CFE et IFER pour l'année 2016, soit un total de 19 905,87 euros ; que la société La Cloche est une société en participation, (dissoute aux dires de l'administration fiscale, un mandataire en la personne de Me [G] ayant été désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce de Grenoble du 23/12/2015) ; que, comme l'indique l'article 1871 du code civil, elle n'a ainsi pas la personnalité morale, n'étant pas immatriculée ; que l'article 1872-1 du code civil dispose que « chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas (..) » ; qu'ainsi, l'existence de la société en participation peut être occulte ou révélée aux tiers, et sera, dans ce cas, ostensible lorsque les participants agissent en qualité d'associés sans dissimuler cette qualité aux tiers, chacun d'eux étant alors tenu à leur égard des obligations nées des actes accomplis par l'un des autres participants en cette qualité ; qu'il est de principe que la révélation de la qualité d'associé aux tiers implique de la part dudit associé des actes personnels ; qu'il en est ainsi si les participants emploient la dénomination sociale de la société dans leurs relations avec les tiers, revendiquant à leur égard leur participation à la société ; que tel est bien le cas en l'espèce, puisque la société elle-même a communiqué à l'administration fiscale la liste de ses associés lors de la déclaration de ses bénéfices industriels et commerciaux, en rédigeant une annexe 2031 bis, où la quote-part du bénéfice ou du déficit à prendre en considération pour le calcul de l'imposition sur le revenu des associés est mentionnée précisément ; qu'en outre, M. [N] lui-même, a établi une déclaration complémentaire de revenus 2017 - professions non salariées, où il indique à ce titre percevoir des revenus et déclarer des déficits au titre d'une exploitation sise [Adresse 2], ce qui est le siège de la société La Cloche ; qu'il en résulte que M. [N] a entendu se présenter aux yeux de l'administration fiscale, comme étant bien associé de la société La Cloche et participant à son activité sociale, en en percevant des revenus ; qu'en conséquence, l'administration fiscale est en droit de lui réclamer l'ensemble des créances détenues par elle sur la société en participation, étant relevé qu'il n'est nul besoin pour l'administration de démontrer une immixtion de M. [N] dans les affaires de la société, s'agissant d'un autre cas d'engagement de l'associé, distinct de celui invoqué en l'occurrence par l'intimée ;
Et aux motifs adoptés que, sur l'obligation de paiement de la dette, l'article 1872-1 du code civil dispose que « Chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d‘eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité, dans les autres cas. Il en est de même de l'associé qui, par son immixtion, a laissé croire au cocontractant qu'il entendait s'engager à son égard, ou dont il est prouvé que l'engagement a tourné à son profit. Dans tous les cas, en ce qui concerne les biens réputés indivis en application de l'article 1872 (alinéas 2 et 3) sont applicables dans les rapports avec les tiers, soit les dispositions du chapitre VI du titre 1 du livre III du présent code, soit, si les formalités prévues à l'article 1873-2 ont été accomplies, celles du titre IX bis du présent livre, tous les associés étant alors, sauf convention contraire, réputés gérants de l'indivision » ; qu'en l'espèce, en déclarant, et cela même dans le respect de ses obligations fiscales, sa quote-part du déficit de la société en participation à prendre en compte dans le calcul de sa base d'imposition personnelle, quote-part qui résulte précisément de sa qualité d'associé, M. [N] a bien agi en cette qualité d'associé vis-à-vis de l'administration fiscale de sorte que le second alinéa de l'article 1872-1 du code civil a vocation à s'appliquer ; qu'il y a lieu en conséquence de rejeter le moyen ;
1°) Alors que, dans une société en participation, chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers ; qu'il n'en va différemment que si le participant a agi à titre personnel en qualité d'associé au vu et au su des tiers ; qu'en se bornant à relever, pour considérer que M. [N] était tenu des dettes de la société en participation La Cloche, que cette dernière avait communiqué à l'administration fiscale la liste de ses associés lors de la déclaration de ses bénéfices industriels et commerciaux, en rédigeant une annexe 2031 bis, où la quote-part du bénéfice ou du déficit à prendre en considération pour le calcul de l'imposition sur le revenu des associés était mentionnée précisément, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé un acte personnel d'associé de M. [N], a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1872-1 du code civil ;
2°) Alors que, dans une société en participation, chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers ; qu'il n'en va différemment que si le participant a agi en sa qualité d'associé au vu et au su des tiers ; qu'en se bornant à relever, pour considérer que M. [N] était tenu des dettes de la société en participation La Cloche, qu'il avait établi une déclaration complémentaire de revenus 2017-revenus non-salariés où il indiquait sa quote-part du déficit de la société en participation à prendre en compte dans le calcul de sa base d'imposition personnelle, quand cette déclaration avait été faite en sa qualité de contribuable, respectueux des règles d'imposition fiscale, et nullement d'associé, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1872-1 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'Avoir constaté la régularité de la mise en demeure du 10 avril 2018, d'Avoir en conséquence débouté M. [N] de toutes ses demandes et prétentions, d'Avoir rejeté toutes autres demandes et demandes plus amples et d'Avoir condamné M. [N] aux dépens de première instance et d'appel, autorisant la Selas Agis Avocats à recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu de provision ;
Aux motifs que, sur la signification préalable de la créance, M. [N] invoque les dispositions de l'article L. 221-1, alinéa 2, du code de commerce ; que toutefois ce texte ne vise que les sociétés en nom collectif et non les sociétés en participation, celles-ci n'étant régies par les dispositions relatives aux sociétés en nom collectif que pour ce qui concerne les rapports entre associés, qu'il en résulte que l'administration fiscale n'avait pas à signifier sa créance ou justifier de poursuites à l'encontre de la société vaines et préalable, étant observé qu'elle délivre elle-même des titres exécutoires et que son action est régie par l'article R. 256-2 du Livre des procédures fiscales ; que celui-ci dispose que « lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement à moins qu'ils n'aient la qualité de représentant ou d'ayant droit du contribuable » ; que le comptable public a respecté ces dispositions et que la procédure suivie est ainsi régulière ; Alors que, les juges du fond ne peuvent statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement, après avoir jugé que l'article R. 256-2 du Livre des procédures fiscales, qui dispose que « lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement à moins qu'ils n'aient la qualité de représentant ou d'ayant droit du contribuable », devait régir le litige, que le comptable public avait respecté ces dispositions et que la procédure suivie était ainsi régulière, la cour d'appel, qui n'a pas indiqué sur quelle pièce du dossier elle se fondait pour retenir que ce dispositif fiscal avait été respecté, a privé sa décision de toute motivation propre et violé l'article 455 du code de procédure civile.