LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 mars 2022
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 254 F-D
Pourvoi n° H 21-11.912
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MARS 2022
M. [V] [B], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 21-11.912 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2019 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant à la société Rapidépannage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me [T], avocat de M. [B], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Rapidépannage, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 juin 2019), M. [B] a été engagé en septembre 2010 par la société Rapidepannage en qualité d'aide-mécanicien.
2. Le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail le 27 juillet 2015. Il a saisi 25 avril 2016 la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de l'intégralité de ses demandes, notamment celle tendant au paiement d'une somme au titre de la violation de la réglementation sur le temps de travail, alors « que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur ; qu'en reprochant au salarié, pour le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, de ne pas apporter la preuve du non-respect du temps de travail qu'il invoquait à l'encontre de l'employeur, la cour d'appel qui a ce faisant inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, le moyen est de pur droit.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
8. Selon ce texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
9. Il en résulte que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.
10. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de la durée maximale de travail, l'arrêt retient que les dépassements de la durée du travail ne sont pas établis. Il précise que le simple fait que le contrat ait autorisé une variation des horaires en fonction des nécessités ne signifie pas pour autant que l'employeur n'a pas respecté la législation en matière de durée du travail et de temps de repos.
11. En statuant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir respecté les durées maximales de travail prévues par le droit interne, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d'une démission et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que la cassation qui interviendra sur les deux premiers moyens de cassation, ou sur l'un d'entre eux simplement, ces moyens critiquant la décision attaquée en ce qu'elle a rejeté les demandes de condamnation de l'employeur aux titres de la violation de la réglementation sur le temps de travail et de l'existence d'actes de harcèlement moral, entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué en ce qu'il retient que la prise d'acte a produit les effets d'une démission, par application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
13. La cassation sur le premier moyen, du chef de la demande au titre du non respect des durées de travail fixées par le droit interne, entraîne par voie de conséquence la cassation des chefs relatifs à l'imputabilité de la prise d'acte et aux demandes d'indemnités au titre de la rupture du contrat de travail, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur le troisième moyen, du chef de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif condamnant le salarié au paiement d'une certaine somme à titre d'indemnité pour préavis non exécuté, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
15. En revanche, la cassation sur les premier et troisième moyens n'entraîne pas la cassation des chefs du dispositif relatifs aux demandes au titre des heures supplémentaires et des dommages-intérêts pour paiement tardif des salaires, qui ne sont pas remis en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, en ce qu'il condamne M. [B] à payer à la société Rapidepannage la somme de 1 480 euros à titre d'indemnité pour préavis non exécuté et en ce qu'il déboute M. [B] de ses demandes d'indemnités compensatrice de préavis et congés payés et de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour violation de la réglementation sur les temps de travail, en ce qu'il déboute le salarié de sa demande au titre des frais non compris dans les dépens et en ce qu'il condamne M. [B] aux dépens, l'arrêt rendu le 28 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la société Rapidepannage aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Rapidepannage à payer à Me [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me [T], avocat aux Conseils, pour M. [B]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [V] [B] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes, notamment celle tendant à la condamnation de la société Rapidépannage à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de la violation de la règlementation sur le temps de travail ;
ALORS QUE la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur ; qu'en reprochant à M. [B], pour le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, de ne pas apporter la preuve du nonrespect du temps de travail qu'il invoquait à l'encontre de l'employeur (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 3 et p. 4, alinéa 2), la cour d'appel qui a ce faisant inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [V] [B] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes, notamment celle tendant à la condamnation de la société Rapidépannage à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
ALORS, D'UNE PART, QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des faits allégués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en considérant que les éléments de preuve versés aux débats par M. [B] n'étaient pas suffisants pour rapporter la preuve de l'existence du harcèlement moral allégué (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 7), cependant qu'elle constatait que le salarié produisait aux débats des attestations à l'appui de ses allégations, de sorte qu'elle devait nécessairement rechercher si l'employeur démontrait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE toute décision de justice doit être motivée ; qu'en l'espèce, M. [B] produisait aux débats des certificats médicaux démontrant que les conditions de travail qui lui étaient réservées avaient provoqué une détérioration de son état de santé (angoisses, troubles du sommeil, perte de poids, dépression, maladie de Crohn?) ; qu'en éconçant, par motifs adoptés et sans plus de précision, que « M. [B] a eu des arrêts maladie, mais qui ne concernent pas un syndrome de dépression lié au travail » (jugement entrepris, p. 4, alinéa 4), la cour d'appel, qui s'est déterminée par voie d'affirmation, a privé sa décision de motif et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [V] [B] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'une démission et de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes ;
ALORS QUE la cassation qui interviendra sur les deux premiers moyens de cassation, ou sur l'un d'entre eux simplement, ces moyens critiquant la décision attaquée en ce qu'elle a rejeté les demandes de condamnation de l'employeur aux titres de la violation de la règlementation sur le temps de travail et de l'existence d'actes de harcèlement moral, entrainera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué en ce qu'il retient que la prise d'acte a produit les effets d'une démission, par application de l'article 624 du code de procédure civile.