LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2022
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 146 F-D
Pourvoi n° B 21-10.343
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MARS 2022
La société Klekoon, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-10.343 contre le jugement rendu le 10 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Bobigny, dans le litige l'opposant à la société Dom électrique, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Boisselet, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Klekoon, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Dom électrique, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Boisselet, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de commerce de Bobigny, 10 novembre 2020), rendu en dernier ressort, la société Dom électrique a commandé à la société Klekoon une prestation de formation professionnelle. La société Klekoon en a vainement sollicité le paiement puis a assigné la société Dom électrique devant un tribunal de commerce qui l'a déboutée de sa demande.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. La société Klekoon fait grief au jugement de rejeter sa demande tendant à la condamnation de la société Dom électrique au paiement d'une certaine somme, alors « que le juge ne peut statuer au prix d'une dénaturation des clauses claires et précises du contrat qui lui est soumis ; que le "bulletin d'inscription" qui tient ici lieu de contrat définit la prestation fournie par la société Klekoon, en contrepartie du prix devant lui être payé, comme étant une "formation aux marchés publics d'une durée d'un jour", intitulée "Comment soumissionner à un marché public ?" ; qu'en affirmant cependant que ce document "ne définit pas l'obligation de la société Klekoon sur la nature et le contenu de la formation", le tribunal a dénaturé le bulletin d'inscription qui faisait la loi des parties, ce en quoi il a violé l'article 1192 du code civil, pris dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ».
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
4. Pour déclarer nul le contrat résultant du bulletin d'inscription signé par les deux parties, le tribunal, après avoir relevé que ce contrat était un contrat d'adhésion, retient que les conditions de vente, si elles indiquent clairement les obligations de la société Dom électrique, à savoir payer la somme de 878 euros TTC, ne définissent pas l'obligation de la société Klekoon sur la nature et le contenu de la formation.
5. En statuant ainsi, alors que le bulletin d'inscription et le bon de commande définissaient la prestation promise par la société Klekoon comme étant "une formation aux marchés publics d'une durée d'un jour", intitulée "Comment soumissionner à un marché public ?", le tribunal a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 10 novembre 2020, entre les parties, par le tribunal de commerce de Bobigny ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal de commerce de Paris ;
Condamne la société Dom électrique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dom électrique et la condamne à payer à la société Klekoon la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour la société Klekoon.
La société Klekoon reproche au jugement attaqué d'avoir déclaré non fondée, et en conséquence rejeté, sa demande tendant à la condamnation de la société Dom Electrique au paiement de la somme principale de 828 euros au titre de sa facture impayée, majorée des intérêts et pénalités de retard et d'une somme de 40 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
1/ ALORS QUE lorsque la procédure est orale, la présomption de respect du principe de la contradiction s'efface devant la preuve contraire ; qu'il s'évince, d'une part, du résumé des moyens invoqués à l'audience par la société Dom Electrique, qui n'avait pas conclu par écrit, que celle-ci ne s'était pas prévalue de la prétendue nullité du contrat litigieux (cf. jugement attaqué, p 4, 4ème alinéa) et que c'est donc d'office que le tribunal de commerce s'est emparé du moyen de nullité qui fonde sa décision, d'autre part, de la mention selon laquelle, lors de l'audience des plaidoiries, le magistrat instructeur, siégeant seul à défaut d'opposition des parties, « a entendu leurs dernières observations et leur plaidoirie, déclaré les débats clos, mis l'affaire en délibéré » (jugement attaqué, p. 4, alinéa 1er) et du motif refusant de prendre en considération le document précisant le contenu de la formation, au motif qu'il ne serait parvenu au tribunal que le 8 octobre 2020, soit le jour de cette audience (cf. jugement attaqué, p. 5, alinéa 2), que le moyen ainsi soulevé d'office n'a pas été soumis à la discussion des parties ou ne l'a pas été dans des conditions leur permettant d'en débattre utilement ; que le jugement attaqué a donc été rendu en violation des articles 16 du Code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2/ ALORS QUE le juge ne peut statuer au prix d'une dénaturation des clauses claires et précises du contrat qui lui est soumis ; que le « bulletin d'inscription » qui tient ici lieu de contrat définit la prestation fournie par la société Klekoon, en contrepartie du prix devant lui être payé, comme étant une « formation aux marchés publics d'une durée d'un jour », intitulée « Comment soumissionner à un marché public ? » ; qu'en affirmant cependant que ce document « ne définit pas l'obligation de la société Klekoon sur la nature et le contenu de la formation » (jugement attaqué, p. 5, alinéa 1er), le tribunal a dénaturé le bulletin d'inscription qui faisait la loi des parties, ce en quoi il a violé l'article 1192 du code civil, pris dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3/ ALORS QUE, subsidiairement, si la prestation qui forme l'objet de l'obligation doit être déterminée ou déterminable, seuls ont lieu d'être fixés dès la conclusion du contrat les éléments essentiels de cette prestation qui, lorsqu'il s'agit d'un contrat ayant pour objet une formation professionnelle, résident dans le sujet de cette formation et dans sa durée, son contenu précis n'ayant pas à être divulgué avant son exécution ; que s'il faut considérer que le tribunal n'a pas dénaturé le contrat qui lui était soumis, mais a estimé que l'objet de l'obligation du dispensateur de formation professionnelle ne pouvait être regardé comme déterminé ou déterminable qu'à la condition que fussent fixés dès sa conclusion, non seulement l'objet de la formation dispensée et sa durée, mais également son contenu précis, le tribunal a violé, par fausse interprétation, l'article 1163 du code civil ;
4/ ALORS QUE, plus subsidiairement, la prestation qui forme l'objet de l'obligation est déterminable lorsqu'elle peut être déduite du contrat ou d'un élément extrinsèque à ce dernier, sans qu'un nouvel accord des parties soit nécessaire ; qu'à supposer que l'objet d'un contrat de formation professionnelle ne puisse être regardé comme déterminable qu'à la condition que son contenu précis soit fixé dès la conclusion du contrat, cette condition est satisfaite dès lors que le client de l'organisme de formation peut avoir accès, avant de contracter, au programme détaillé de la formation proposée ; qu'en refusant de prendre en considération le programme de la formation qui avait été versé aux débats, aux motifs inopérants qu'il avait été communiqué le jour de l'audience des plaidoiries et qu'il n'était pas signé par la société Dom Electrique, sans préciser si celle-ci avait contesté avoir pris connaissance de ce document avant de contracter ou avoir été en mesure de le faire, le tribunal a privé son jugement de base légale au regard de l'article 1163 du code civil ;
5/ ALORS QUE, enfin, un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ; qu'en prétendant fonder également sa décision sur cette règle, sans préciser en quoi la prestation de formation professionnelle promise par la société Klekoon, en contrepartie du règlement du prix de cette formation, pourrait être qualifiée d'illusoire ou de dérisoire, le tribunal a privé son jugement de toute base légale au regard de l'article 1169 du code civil.