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02/03/2022 | FRANCE | N°20-13617

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 02 mars 2022, 20-13617


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mars 2022

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 152 F-D

Pourvoi n° Q 20-13.617

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MARS 2022

La

société Deveaux, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-13.617 contre l'arrêt rendu le 13 novembre 2019 par l...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

DB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mars 2022

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 152 F-D

Pourvoi n° Q 20-13.617

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MARS 2022

La société Deveaux, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-13.617 contre l'arrêt rendu le 13 novembre 2019 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Kapil Rayon Private Limited, société de droit indien, dont le siège est [Adresse 2] (Inde),

2°/ à la société Fernando Puatto, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La société Kapil Rayon Private Limited a formé un pourvoi incident et provoqué contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident et provoqué invoque, à l'appui de son recours, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Boisselet, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Deveaux, de la SCP Gatineau,Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Kapil Rayon Private Limited, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Fernando Puatto, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Boisselet, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 13 novembre 2019) et les productions, la société Fernando Puatto (la société Puatto) est spécialisée dans la vente de métiers à tisser neufs ou d'occasion. La société Deveaux fabrique des tissus. La société de droit indien Kapil Rayon Private Limited (la société Kapil Rayon) a pour activité la fabrication et l'exportation de tissus. Courant 2011, la société Deveaux a souhaité s'équiper de machines à tisser neuves auprès d'un fabricant belge, par l'intermédiaire de la société Puatto, laquelle a recherché des acquéreurs pour le matériel d'occasion à céder par la société Deveaux. Celle-ci a accepté de céder à la société Puatto 90 machines à tisser d'occasion, que cette dernière a revendues pour partie à la société Kapil Rayon le 13 avril 2011. Ces machines n'ayant jamais été fournies à la société Kapil Rayon, celle-ci a assigné en résolution de la vente et paiement de dommages et intérêts la société Puatto, qui a assigné en garantie la société Deveaux.

Examen des moyens

Sur le premier et le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, et les premier, troisième, quatrième et cinquième moyens du pourvoi incident et provoqué, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, et le deuxième moyen du pourvoi incident et provoqué rédigé en termes similaires, réunis

Enoncé des moyens

3.La société Deveaux fait grief à l'arrêt de la dire responsable des préjudices causés à la société Kapil Rayon par l'inexécution de la vente du 13 avril 2011, et de la condamner in solidum avec la société Puatto à payer une certaine somme à la société Kapil Rayon en indemnisation de ces préjudices, alors « que l'indemnisation du préjudice ne peut être fixée de manière forfaitaire ; qu'en fixant à la somme de 200 000 euros le préjudice de perte de marge brute subi par la société Kapil Rayon en 2012 et 2013, après avoir constaté que la société Kapil Rayon ne produisait aucun élément permettant de déterminer le montant de ce préjudice, la cour d'appel a retenu un montant forfaitaire, en violation de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

4. La société Kapil rayon fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation in solidum des sociétés Fernando Puatto et Deveaux en indemnisation de ses préjudices résultant de l'inexécution de la vente du 13 avril 2011, et en particulier à la somme de 200 000 euros l'indemnisation de sa perte de marge et d'exploitation, alors « que la réparation du préjudice doit être intégrale et ne peut être forfaitaire ; qu'en déclarant confirmer le jugement déféré qui avait alloué à la société Kapil rayon "une somme forfaitaire" de 200 000 euros en indemnisation de sa perte de marge et d'exploitation, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice :

5. La réparation du dommage doit correspondre au préjudice subi et ne peut être appréciée de manière forfaitaire.

6. Pour évaluer le préjudice lié à la perte de marge et d'exploitation subie par la société Kapil Rayon, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir rappelé que ce poste de préjudice doit être calculé sur la base du profit de l'activité après imputation des coûts de production, et que la société Kapil Rayon sollicitait une indemnisation de 1 116 000 euros en expliquant avoir investi 2 900 000 euros dans son projet industriel, le marché dégageant selon elle un profit annuel moyen de 20 % du montant investi, relève que, si la perte de marge en 2012 et 2013 n'est pas contestable, la société Kapil Rayon ne fournit aucune justification du profit annuel allégué, ni des gains réalisés, et ne verse aux débats ni les comptes de résultat d'exercices antérieurs dans une unité de production similaire, ni aucun élément concret tel que le chiffre d'affaires réalisé en 2013. Dans ces conditions, l'arrêt, confirmant le jugement accordant à la société Kapil Rayon une somme forfaitaire de 100 000 euros par an sur deux années, alloue de ce chef à la société Kapil Rayon la somme de 200 000 euros.

7. En statuant ainsi, alors que cette somme procédait d'une évaluation forfaitaire du montant du préjudice de la société Kapil Rayon du chef de la perte d'exploitation et de marge subie, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que les sociétés Fernando Puatto et Deveaux ont été condamnées in solidum à payer à la société Kapil Rayon Private Limited la somme de 1 375 665, 15 euros en indemnisation des préjudices résultant de l'inexécution de la vente du 13 avril 2011, l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne in solidum les sociétés Fernando Puatto et Deveaux aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Fernando Puatto et Deveaux et condamne la société Deveaux à payer à la société Kapil Rayon Private Limited la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour la société Deveaux.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit la société Deveaux responsable des préjudices causés à la société Kapil Rayon par la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, et de l'avoir en conséquence condamnée, in solidum avec la société Fernando Puatto, à payer à la société Kapil Rayon la somme de 1.375.665,15 euros en indemnisation des préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011 ;

AUX MOTIFS QUE « La cour relève que selon contrat du 13 avril 2011, la SARL Fernando Puatto s'est engagée à vendre à la société Kapil Rayon 54 métiers à tisser d'occasion au prix de 1.728.000 euros, payable par un acompte de 150.000 sur la banque Kolb de Mulhouse et le solde de 1.578.000 euros par une lettre de crédit irrévocable confirmée par une grande banque en France, livrables en novembre et décembre 2011.

Elle observe que des pièces produites et des arrêts définitifs de la cour d'appel de Lyon des 24 avril 2014 et 22 octobre 2015, il ressort que la vente Deveaux / Fernando Puatto des 54 métiers à tisser d'occasion à destination de la société indienne était parfaite dès le 14 juin 2011 eu égard à l'accord des parties sur la chose, le prix et les modalités de paiement, étant convenu que la SA Deveaux serait rendue destinataire d'une lettre de crédit irrévocable pour un montant transactionnel définitif de 1.578.000 euros après paiement à la SARL Fernando Puatto d'un acompte de 150.000 euros, sa commission, par la société Kapil Rayon.

Elle note que dès la commande du 14 juin 2011 passée par la SA Deveaux auprès de SARL Fernando Puatto, intermédiaire, pour l'achat de métiers à tisser neufs de marque Picanol et la vente de métiers à tisser d'occasion, la SA Deveaux était informée que ceux-ci étaient destinés à un acquéreur indien et seraient réglés par une lettre de crédit en provenance d'Inde ; que le 30 avril 2011, la société Kapil Rayon a versé l'acompte convenu de 150.000 euros à la SARL Fernando Puatto ; que le 18 novembre 2011, la SARL Fernando Puatto et la SA Deveaux ont respectivement consenti et accepté le transfert de la lettre de crédit confirmée par la Société Générale, en provenance de la Corporation Bank sur ordre de la société Kapil Rayon, d'un montant de 1.578.000 euros soldant le prix de la vente des métiers à tisser d'occasion.

Elle constate que la SA Deveaux, qui a accepté ce paiement, n'a pas procédé à la livraison du matériel d'occasion aux échéances de novembre et décembre 2011, mars et juillet 2012 auxquelles elle s'était engagée.

Elle note encore que le 21 mars 2012, la Société Générale a avisé la SARL Fernando Puatto d'un nouveau crédit documentaire de 1.578.000 euros en provenance de la Corporation Bank sur ordre de la société Kapil Rayon ; qu'un ultime crédit documentaire du 15 août 2013 de 1.578.000 euros, en provenance de la Corporation Bank sur ordre de la société Kapil Rayon, confirmé par la BNP Paribas, à échéance du 30 septembre 2013, destiné cette fois à bénéficier directement à la SA Deveaux, a laissé à celle-ci un délai suffisant – du 15 août au 30 septembre – pour organiser la livraison des métiers à tisser litigieux, qu'aucune livraison n'est pourtant intervenue ; qu'en tout état de cause, la SARL Fernando Puatto n'était plus à cette période en mesure de livrer à la société Kapil Rayon les 54 métiers à tisser d'occasion cédés par la SA Deveaux puisqu'elle les avait revendus depuis le 4 mars 2013 à un tiers, la société de droit turc Bez Tekstil, au prix de 1.404.000 euros, après s'être autorisée à interpréter unilatéralement les légitimes doléances de la société Kapil Rayon formulées par courriels des 26 janvier et 20 février 2013 comme une renonciation à l'achat.

La cour induit de ces éléments qu'ont concouru à l'inexécution de la vente des métiers à tisser d'occasion à la société Kapil Rayon :

- la SA Deveaux qui, ab initio en connaissance de cette vente et en dépit de l'exécution des conditions financières, s'est abstenue de livrer le matériel d'occasion vendu le 14 juin 2011 à la SARL Fernando Puatto, engageant ainsi sa responsabilité délictuelle à l'égard du sous-acquéreur ;

- la SARL Fernando Puatto qui, le 13 avril 2011, a vendu à la société Kapil Rayon un matériel d'occasion qu'elle n'avait pas encore acquis et pris des engagements de livraison sans s'assurer qu'elle pourrait les honorer, pour revendre en mars 2013 à une société tierce les métiers à tisser destinés à la société KAPIL RAYON, tout en exigeant de celle-ci un ultime crédit documentaire en août 2013, engageant ainsi sa responsabilité contractuelle.

En conséquence, infirmant le jugement déféré, la cour déclarera les sociétés Fernando Puatto et Deveaux responsables in solidum des dommages causés à la société Kapil Rayon par la non-réalisation de la vente » ;

1°) ALORS QUE les juges du fond ont l'obligation de préciser et d'analyser les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent pour affirmer l'existence d'un fait ; que dans ses conclusions d'appel, la société Deveaux faisait valoir que le crédit documentaire fourni par la société Kapil Rayon à la société Fernando Puatto le 18 novembre 2011 ne lui avait pas été transféré en mars 2012, lorsque la société Fernando Puatto avait indiqué vouloir procéder à l'enlèvement des métiers à tisser d'occasion ; qu'en retenant néanmoins, pour caractériser une faute de la société Deveaux, que « le 18 novembre 2011, la SARL Fernando Puatto et la SA Deveaux ont respectivement consenti et accepté le transfert de la lettre de crédit confirmée par la Société Générale, en provenance de la Corporation Bank sur ordre de la société Kapil Rayon, d'un montant de 1.578.000 euros soldant le prix de la vente des métiers à tisser d'occasion », sans préciser, ni analyser, les éléments de preuve sur lesquels elle s'est fondée pour caractériser l'existence d'un tel transfert en date du 18 novembre 2011, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE la responsabilité délictuelle suppose l'existence d'un lien de causalité certain entre la faute et le dommage ; que la cour d'appel a constaté qu'à compter du 4 mars 2013, la société Fernando Puatto n'était plus en mesure de livrer à la société Kapil Rayon les métiers à tisser d'occasion vendus par la société Deveaux car elle les avait revendus à un tiers ; qu'il en résultait qu'aucune faute commise par la société Deveaux postérieurement au 4 mars 2013 ne pouvait être à l'origine du préjudice de la société Kapil Rayon ; que pour juger que la responsabilité de la société Deveaux était engagée à l'égard de la société Kapil Rayon, la cour d'appel s'est pourtant fondée sur le fait qu'elle n'avait pas livré les métiers à tisser d'occasion après qu'un crédit documentaire avait été émis directement à son bénéfice le 15 août 2013 ; qu'en se fondant ainsi une faute de l'exposante ne présentant aucun lien de causalité avec le dommage subi par la société Kapil Rayon, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°) ALORS QUE l'obligation de délivrance pesant sur le vendeur lui impose seulement de mettre à la disposition de l'acquéreur une marchandise conforme aux spécifications convenues ; que, sauf convention contraire, il appartient à l'acheteur de retirer la marchandise, et non au vendeur de la lui livrer ; qu'en jugeant, pour caractériser une faute de la société Deveaux, que cette dernière s'était « abstenue de livrer » le matériel d'occasion vendu à la société Fernando Puatto, cependant qu'il n'appartenait pas à la société Deveaux de livrer ce matériel, mais à la société Fernando Puatto de le retirer, la cour d'appel a violé les articles 1604 et 1608 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Deveaux, in solidum la société Fernando Puatto, à payer à la société Kapil Rayon la somme de 1.375.665,15 euros en indemnisation des préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011 ;

AUX MOTIFS QUE

« La cour devra se convaincre que les préjudices invoqués sont licites, directs, certains, personnels et s'assurer, le cas échéant, de leur réparation intégrale dont l'effet est de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle.

Sur le préjudice moral :

La société Kapil Rayon invoque l'inactivité de ses usines de production textile durant 2 ans, constatée par l'ensemble des acteurs du projet industriel, sa perte de crédibilité auprès de la Corporation Bank et des tiers finançant ce projet, l'impossibilité de satisfaire les commandes urgentes de ses clients, un trouble anormal de fonctionnement, constitutifs d'un préjudice moral distinct du préjudice économique résultant du rachat tardif le 16 janvier 2014 de nouveaux métiers à tisser.

Le préjudice d'image lié au blocage de l'activité de production et de l'activité commerciale au regard tant de la banque et des autres financeurs de l'opération que des partenaires industriels et commerciaux, les tracas et démarches en vue de la livraison des 54 machines à tisser litigieuses, ce durant plus de deux ans, résultent suffisamment des développements qui précèdent et justifient l'octroi à la société Kapil Rayon d'une somme de 100.000 euros en réparation de son préjudice moral, ce en infirmation du jugement déféré qui a quelque peu sous-évalué l'ampleur de ce préjudice.

Sur la perte de marge et d'exploitation :

Il est admis que cette indemnité doit être calculée sur la base de la marge brute dont l'entreprise a été privée pendant la période où le contrat n'a pas été exécuté, soit la différence entre le prix de vente des biens produits et leur coût de revient limité au coût de production ou d'acquisition ; le résultat du calcul correspondra donc au profit de l'activité après imputation des coûts de production mais sans considérer la charge des dépenses de marketing, les coûts administratifs ni les impôts.

Il est à noter que la société Kapil Rayon sollicite une indemnisation de 1.116.000 euros en expliquant avoir investi 2.900.000 euros dans son projet industriel, que le marché du textile indien, très porteur, dégage un profit annuel moyen de 20% du montant investi.

Toutefois, si la perte de marge brute en 2012 et 2013 n'est pas contestable en son principe, l'appelante incidente ne fournit à la cour aucun élément justificatif du profit annuel qu'elle allègue, elle ne justifie pas davantage des gains réalisés, de la différence entre prix de vente et coût de revient en versant notamment aux débats les comptes de résultat d'exercices antérieurs dans une unité de production similaire, permettant d'évaluer sa perte de marge brute en 2012 et 2013.

En conséquence, la cour confirmera le jugement déféré qui a alloué de ce chef une somme de 200.000 euros.

Sur le surcoût lié à l'achat de nouveaux métiers à tisser :

La société Kapil Rayon fait état d'un surcoût sur le prix unitaire des métiers à tisser importés en remplacement et de leur assujettissement aux droits de douane.

Elle a été contrainte de se procurer, en janvier 2014, 36 nouveaux métiers à tisser au prix unitaire de 37.896,30 euros ; le prix unitaire de la vente non exécutée Fernando Puatto / Kapil Rayon du 13 avril 2011 s'élevant à 32.000 euros, il en résulte un surcoût de 212.266,80 euros (37.896,30 - 32.000 = 5.896,30 et 5.896,30 x 36 = 212.266,80) dont l'appelante incidente est en droit d'être dédommagée, faute de preuve par les sociétés Fernando Puatto et Deveaux de l'existence sur le marché – que les parties s'accordent à qualifier de marché de niche – de métiers à tisser d'occasion au prix unitaire de 32.000 euros, la cour infirmant sur ce point le jugement déféré.

(?)

Sur le surcoût afférent aux investissements en pure perte :

La société Kapil Rayon se prévaut d'une impossibilité d'exploitation du 31 décembre 2011 à février 2014, soit 25 mois durant lesquels elle a été contrainte de s'acquitter en pure perte des loyers du terrain d'assiette de ses usines, d'aménager en vain ses ateliers pour accueillir les 54 métiers à tisser Picanol Gammax, d'investir dans des machines complémentaires aux métiers Picanol Gammax finalement non livrés, d'embaucher des salariés pour entretenir et assurer la sécurité des usines inexploitées.

Ces dépenses ressortent d'une attestation de l'expert-comptable du 12 février 2014 établie après vérification des livres de compte et documents comptables :

- coût d'entretien des machines complémentaires non utilisées : la preuve de l'achat de ces machines n'étant pas apportée, aucune indemnisation au titre de leur entretien ne sera retenue ;

- aménagements des usines : la nécessité d'aménagements spécifiques aux métiers à tisser Picanol Gammax a occasionné une dépense totale de 246.998,46 euros ;

- loyer du terrain d'assiette de ses usines : 63.341,71 euros ;

- embauche de personnel de maintenance et de sécurisation du site : 19.953,07 euros.

En infirmation du jugement déféré, la cour allouera à la société Kapil Rayon une indemnisation de 330.293,24 euros au titre des dépenses engagées en pure perte (246.998,46 + 63.341,71 + 19.953,07 = 330.293,24).

(?)

Sur le surcoût afférent au crédit bancaire contracté pour l'acquisition des métiers à tisser :

L'appelante incidente produit une autorisation de la Corporation Bank du 18 novembre 2011 relative à une ligne de crédit de l'ordre de 1,7 millions d'euros pour financer l'importation des 54 métiers à tisser litigieux, donnant lieu à l'émission d'une première lettre de crédit dont la date d'expiration a été reportée à deux reprises puis d'une seconde lettre de crédit le 14 août 2013, générant des intérêts, frais et pénalités à hauteur de 14.689.946,00 roupies (2.885.156,00 + 3.593.513,00 +3.905.807,00 + 4.305.470,00 = 14.689.946,00 roupies), soit 185.915,96 euros selon factures de la banque des 25 juin 2012, 18 février et 4 octobre 2013, 12 février 2014, au cours actuel roupie/euro.

Sur le surcoût afférent aux autres prêts contractés auprès de tiers :

Il résulte d'une attestation du cabinet d'expertise comptable BP Purohit et Co. que la société Kapil Rayon a obtenu d'amis et de membres de la famille du dirigeant jusqu'au 10 février 2014 des prêts d'argent s'élevant à 113.199.804 roupies dans le cadre du financement de l'opération d'acquisition des métiers litigieux, générant 27.438.834 roupies d'intérêts, soit 347.189,15 euros d'intérêts au cours actuel dont l'appelante incidente est fondée à réclamer indemnisation, la cour infirmant de ce chef le jugement déféré.

(?)

En conséquence, infirmant le jugement déféré, la cour condamnera in solidum la SARL Fernando Puatto et la SA Deveaux à payer à la société Kapil Rayon la somme totale de 1.375.665,15 euros (100.000 + 200.000 + 212.266,80 + 330.293,24 + 185.915,96 + 347.189,15 = 1.375.665,15) » ;

1°) ALORS QU' en présence de coresponsables, il ne peut être prononcé une condamnation in solidum qu'à concurrence de la partie du préjudice total de la victime à la réalisation duquel les coresponsables ont tous deux contribué ; que la cour d'appel a constaté que si la société Fernando Puatto s'était engagée à livrer à la société Kapil Rayon 54 métiers à tisser en novembre et décembre 2011, la société Deveaux ne devait pour sa part mettre à sa disposition qu'une partie desdits métiers à tisser en novembre et décembre 2011, l'autre partie devant être remise en 2012 ; qu'en condamnant néanmoins la société Deveaux, in solidum avec la société Fernando Puatto, à réparer les préjudices subis par la société Kapil Rayon au titre de la perte de marge brute et des investissements réalisés en pure perte au cours de la totalité de l'année 2012, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°) ALORS QUE l'indemnisation du préjudice ne peut être fixée de manière forfaitaire ; qu'en fixant à la somme de 200.000 euros le préjudice de perte de marge brute subi par la société Kapil Rayon en 2012 et 2013, après constaté que la société Kapil Rayon ne produisait aucun élément permettant de déterminer le montant de ce préjudice, la cour d'appel a retenu un montant forfaitaire, en violation de l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. Moyens produits au pourvoi incident et provoqué par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Kapil Rayon Private Limited.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

La société Kapil rayon private limited fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement rendu le 23 juin 2016 par le tribunal de grande instance de Colmar en ce qu'il a condamné la société Fernando Puatto à lui verser les sommes de 49 270,90 euros et 11 898,70 euros, et d'avoir limité la condamnation in solidum des sociétés Fernando Puatto et Deveaux à son profit à la somme de 1 375 665,15 euros en indemnisation des préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011,

1°) Alors que tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en condamnant in solidum les sociétés Fernando Puatto et Deveaux à payer à la société Kapil rayon private limited la seule somme de 1 375 665,15 euros en indemnisation des préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, sans répondre aux conclusions d'appel de la société Kapil rayon private limited qui invoquaient, pièces à l'appui, l'existence d'un préjudice au titre du surcoût relatif aux travaux de modification de ses usines, résultant de cette non-exécution et évalué à la somme de 49 270,90 euros (pp. 8 et 9), lequel avait été indemnisé par le tribunal, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) Alors que tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en condamnant in solidum les sociétés Fernando Puatto et Deveaux à payer à la société Kapil rayon private limited la seule somme de 1 375 665,15 euros en indemnisation des préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, sans répondre aux conclusions d'appel de la société Kapil rayon private limited qui invoquaient, pièces à l'appui, l'existence d'un préjudice au titre du surcoût relatif aux frais divers engagés pour résoudre le litige, résultant de cette non-exécution et évalué à la somme de 11 898,70 euros (p. 9), lequel avait été indemnisé par le tribunal, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

La société Kapil rayon private limited fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 1 375 665,15 euros la condamnation in solidum des sociétés Fernando Puatto et Deveaux en indemnisation de ses préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, et en particulier à la somme de 200 000 euros l'indemnisation de sa perte de marge et d'exploitation,

Alors que la réparation du préjudice doit être intégrale et ne peut être forfaitaire ; qu'en déclarant confirmer le jugement déféré qui avait alloué à la société Kapil rayon private limited une « somme forfaitaire » de 200 000 euros en indemnisation de sa perte de marge et d'exploitation, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

La société Kapil rayon private limited fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 1 375 665,15 euros la condamnation in solidum des sociétés Fernando Puatto et Deveaux en indemnisation de ses préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, et en particulier à la somme de 212 266,80 euros l'indemnisation du surcoût lié à l'achat de nouveaux métiers à tisser,

Alors que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont l'existence est acquise en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies ; qu'en retenant, pour refuser d'indemniser le surcoût lié aux droits de douanes acquittés par la société Kapil rayon private limited lors de l'achat de nouveaux métiers à tisser en janvier 2014, pour un montant de 178 855,38 euros, que celle-ci ne précisait ni ne justifiait de leur taux, de sorte qu'elle n'était pas mise en mesure d'évaluer le surcoût acquitté à ce titre, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :

La société Kapil rayon private limited fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 1 375 665,15 euros la condamnation in solidum des sociétés Fernando Puatto et Deveaux en indemnisation de ses préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, rejetant l'indemnisation du surcoût afférent à la délocalisation de la production, et en particulier à la somme de 330 293,24 euros l'indemnisation du surcoût afférent aux investissements en pure perte,

1°) Alors que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'attestation de l'expert-comptable sur laquelle s'est fondée la cour d'appel, en relevant qu'elle avait été établie après vérification des livres de compte et documents comptables, faisait état, au titre du « coût d'entretien des machines achetées », d'un montant de 52 784 254 INR, soit 764 977,41 euros ; qu'il résultait clairement et précisément de cette pièce, dont la cour a admis la pleine valeur probante, que les machines litigieuses avaient été achetées, de sorte qu'en jugeant que la preuve de l'achat de ces machines n'était pas apportée, pour refuser d'indemniser leur entretien, la cour d'appel a dénaturé l'attestation en question, en violation du principe précité.

2°) Alors que le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'attestation de l'expert-comptable sur laquelle s'est fondée la cour d'appel, en relevant qu'elle avait été établie après vérification des livres de compte et documents comptables, faisait état, au titre des coûts d'embauche de personnel de maintenance et de sécurisation du site, d'un montant de 7 770 000 INR, soit 109 953,07 € ; qu'en jugeant qu'il ressortait de cette attestation, qu'elle a entérinée, que ce poste de préjudice s'élevait à 19 953,07 €, la cour d'appel a dénaturé la pièce en question, en violation du principe précité.

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :

La société Kapil rayon private limited fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 1 375 665,15 euros la condamnation in solidum des sociétés Fernando Puatto et Deveaux en indemnisation de ses préjudices résultant de la non-exécution de la vente du 13 avril 2011, rejetant l'indemnisation du surcoût afférent à la délocalisation de la production,

Alors que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont l'existence est acquise en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies ; qu'en retenant, pour refuser d'indemniser le surcoût afférent à la délocalisation de la production, que la société Kapil rayon private limited ne déduisait pas des factures d'achat de tissus dont elle justifiait auprès d'une tierce entreprise le coût de fabrication de ses propres tissus, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20-13617
Date de la décision : 02/03/2022
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 13 novembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 02 mar. 2022, pourvoi n°20-13617


Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Melka-Prigent-Drusch, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.13617
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