LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 février 2022
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 211 F-D
Pourvoi n° T 20-20.796
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 FÉVRIER 2022
1°/ L'association Alliance française de Grenoble, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ M. [K] [T], agissant en sa qualité de mandataire judiciaire de l'association Alliance française de Grenoble, domicilié [Adresse 5],
3°/ la société AJ UP, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [I] [B] et M. [R] [O] mandataires, agissant tous deux en qualités de commissaires à l'exécution du plan de l'association Alliance française de Grenoble,
ont formé le pourvoi n° T 20-20.796 contre l'arrêt rendu le 27 février 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [X] [J], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi Auvergne Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 6],
3°/ à l'association Unedic, délégation AGS-CGEA d'[Localité 7], dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'association Alliance française de Grenoble, de M. [T], ès qualitès, et de la société AJ UP, ès qualitès, de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [J], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 27 février 2020) et les productions, Mme [J] a été engagée le 12 octobre 2011 par l'association Alliance française de Grenoble en qualité de professeure.
2. Licenciée le 3 septembre 2015 pour motif économique, elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.
3. L'employeur a été placé en redressement judiciaire le 23 juin 2016, MM. [T] et [B] étant respectivement désignés en qualité de mandataire judiciaire et d'administrateur judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement, de fixer au passif de la procédure collective au bénéfice de la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer une indemnité de procédure, alors :
« 1°/ que la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur ; à ce titre, elle doit mentionner à la fois les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail ; satisfait à cette exigence légale de motivation, la lettre de licenciement qui fait état de difficultés économiques, d'une mutation technologique ou d'une réorganisation, et qui indique que cette situation entraîne une suppression d'emploi, une transformation d'emploi ou une modification du contrat de travail ; qu'en l'espèce, selon les constatations de l'arrêt attaqué, la lettre de licenciement faisait état de difficultés économiques ainsi que de la réorganisation de l'entreprise en vue de la sauvegarde de sa compétitivité en lien avec la suppression du poste de la salariée ; qu'en retenant néanmoins, pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, que la lettre de licenciement de la salariée n'évoquait aucune externalisation de l'activité d'enseignement par le recours à la sous-traitance, quand il ressortait de ses propres constatations que cette lettre, qui mentionnait à la fois les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi de la salariée, répondait aux exigences légales de motivation posées par les articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du code du travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé les dispositions des articles susvisés ;
4°/ que l'externalisation des tâches du salarié licencié par recours à une entreprise extérieure constitue une suppression de poste au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que, postérieurement au licenciement de la salariée, l'employeur a partiellement externalisé l'activité d'enseignement en la sous-traitant à d'anciens salariés de l'association intervenant sous le statut d'auto-entrepreneur ; qu'en retenant, après avoir reconnu que la suppression de postes peut effectivement résulter d'un recours à la sous-traitance, que le licenciement de la salariée serait dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif inopérant que l'employeur ne justifierait pas des conditions dans lesquelles il aurait eu recours à ces anciens salariés, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
5. Selon ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
6. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que, sans qu'il soit nécessaire de vérifier la réalité des difficultés économiques ainsi que de la réorganisation de l'entreprise en vue de la sauvegarde de sa compétitivité invoquées de manière cumulative par l'employeur, la preuve n'est pas rapportée de la suppression effective du poste occupé par la salariée en lien avec le motif économique avancé par l'employeur. Il ajoute que la lettre de licenciement n'évoque pas l'externalisation au moins partielle de l'activité d'enseignement par le recours à d'anciens salariés, licenciés pour motif économique, travaillant désormais sous le statut d'auto-entrepreneur, et que l'employeur ne justifie pas des conditions dans lesquelles il a eu recours à des salariés venant d'être licenciés ensuite inscrits en qualité d'auto-entrepreneurs.
7. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'est suffisamment motivée la lettre de licenciement qui mentionne la suppression du poste de travail de la salariée et les difficultés économiques, sans avoir à préciser la nécessité d'externaliser l'activité d'enseignement, et alors, d'autre part, que le recours à des prestataires extérieurs, pour exercer les fonctions de la salariée, constitue une suppression de poste au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour l'association Alliance française de Grenoble, M. [T], ès qualitès, et la société AJ UP, es qualitès
L'association ALLIANCE FRANCAISE DE GRENOBLE fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Madame [J] notifié le 3 septembre 2015, par l'association ALLIANCE FRANCAISE DE GRENOBLE, fixé au passif de la procédure collective suivie contre cette association au bénéfice de Madame [J] une somme à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'ALLIANCE FRANCAISE DE GRENOBLE à payer à Madame [J] une indemnité de procédure ;
ALORS en premier lieu QUE la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur ; qu'à ce titre, elle doit mentionner à la fois les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail ; que satisfait à cette exigence légale de motivation, la lettre de licenciement qui fait état de difficultés économiques, d'une mutation technologique ou d'une réorganisation, et qui indique que cette situation entraîne une suppression d'emploi, une transformation d'emploi ou une modification du contrat de travail ; qu'en l'espèce, selon les constatations de l'arrêt attaqué, la lettre de licenciement de Madame [J] faisait état de difficultés économiques ainsi que de la réorganisation de l'entreprise en vue de la sauvegarde de sa compétitivité en lien avec la suppression du poste de la salariée ; qu'en retenant néanmoins, pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Madame [J], que la lettre de licenciement de la salariée n'évoquait aucune externalisation de l'activité d'enseignement par le recours à la sous-traitance, quand il ressortait de ses propres constatations que cette lettre qui mentionnait à la fois les raisons économiques prévues par la loi et leur incidence sur l'emploi de la salariée répondait aux exigences légales de motivation posées par les articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du Code du travail, la Cour qui a statué par des motifs inopérants a violé les dispositions des articles susvisés ;
ALORS en deuxième lieu QUE la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que l'élément matériel du licenciement mentionné dans la lettre de licenciement de Madame [J] était la suppression de son poste, la Cour d'appel a relevé que « si la suppression de poste peut effectivement résulter d'un recours à la sous-traitance [?] faut-il que la lettre de licenciement ne fasse pas état d'un autre élément matériel du motif économique » et qu'en l'occurrence, la lettre de licenciement de Madame [J] « ne f[ait] état que de la transformation de CDI à temps partiel en CDI à temps complet » ; qu'en retenant ainsi tout à la fois que la lettre de licenciement de Madame [J] faisait état d'une suppression de son poste et puis uniquement d'un autre élément matériel du motif économique, la Cour d'appel s'est contredite en violation des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS en troisième lieu et en toute hypothèse QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Madame [J], la Cour d'appel a retenu que « si la suppression de poste peut effectivement résulter d'un recours à la sous-traitance [?] faut-il que la lettre de licenciement ne fasse pas état d'un autre élément matériel du motif économique » et qu'en l'occurrence, la lettre de licenciement de Madame [J] « ne f[ait] état que de la transformation de CDI à temps partiel en CDI à temps complet » ; qu'en statuant par de tels motifs, alors que la lettre de licenciement de Madame [J] (production n° 5), après avoir exposé les motifs financiers, de ressources humaines et organisationnelles, commerciaux et pédagogiques du licenciement économique indique que « ces motifs nous conduisent à supprimer votre poste » sans faire état d'aucune « transformation de CDI à temps partiel en CDI à temps complet », la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre en violation du principe susvisé et de l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS en quatrième lieu QUE l'externalisation des tâches du salarié licencié par recours à une entreprise extérieure constitue une suppression de poste au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la Cour d'appel que, postérieurement au licenciement de Madame [J], l'association ALLIANCE FRANCAISE DE GRENOBLE a partiellement externalisé l'activité d'enseignement en la sous-traitant à d'anciens salariés de l'association intervenant sous le statut d'auto-entrepreneur ; qu'en retenant, après avoir reconnu que la suppression de postes peut effectivement résulter d'un recours à la sous-traitance, que le licenciement de la salariée serait dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif inopérant que l'association ne justifierait pas des conditions dans lesquelles elle aurait eu recours à ces anciens salariés, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1233-3 du Code du travail ;
ALORS en cinquième lieu QUE, s'il appartient au juge, tenu de contrôler le caractère sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l'adéquation entre la situation économique de l'entreprise et les mesures affectant l'emploi ou le contrat de travail envisagées par l'employeur, il ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu'il effectue pour faire face à la situation économique de l'entreprise ; qu'en l'espèce, pour conclure à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Madame [J], la Cour d'appel a relevé que le choix fait par l'association ALLIANCE FRANCAISE DE GRENOBLE de recourir à la sous-traitance avait manifestement aggravé les difficultés économiques plutôt que cela ne les avait réglées ; qu'en substituant ainsi sa propre appréciation à celle de l'employeur concernant le choix des mesures à mettre en place pour remédier à ces difficultés, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1233-3 et L. 1235-1 du Code du travail.