LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 février 2022
Cassation partielle
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 126 F-B
Pourvoi n° U 20-20.429
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 FÉVRIER 2022
La société Hypromat France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° U 20-20.429 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Aulnoy lavage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Jeumont lavage, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Hypromat France, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Aulnoy lavage et Jeumont lavage, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Michel-Amsellem, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2020) et les productions, la société Hypromat France (la société Hypromat), qui a pour activité la conception, l'implantation et l'exploitation de centres de lavage rapide pour véhicules, est à la tête d'un réseau de franchisés à l'enseigne « Eléphant Bleu ».
2. La société Aulnoy lavage et la société Jeumont lavage ont signé des contrats de franchise renouvelés pour trois ans respectivement le 19 juin 2005 et le 25 mars 2005.
3. Ces contrats n'ont pas été reconduits à leur terme.
4. Considérant que le non-renouvellement du contrat de franchise s'analysait en une rupture brutale d'une relation commerciale établie et invoquant par ailleurs la nullité de la clause interdisant l'usage des couleurs bleu et blanc sans limite de durée aux anciens franchisés, la société Aulnoy lavage a assigné la société Hypromat en réparation de ses préjudices. La société Jeumont lavage est intervenue volontairement à l'instance pour obtenir le remboursement de diverses sommes versées en exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Douai du 6 juin 2013 et d'une ordonnance de référé du 20 octobre 2009 ainsi que la réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Hypromat fait grief à l'arrêt de réputer non écrit l'article 14 des contrats de franchise, obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleu et blanc et à faire repeindre son centre dans d'autres couleurs que bleu et blanc dans les six mois à compter de la cessation du contrat et de la condamner à restituer à la société Jeumont lavage la provision de 3 000 euros versée sur l'indemnité contractuelle en exécution de l'ordonnance de référé du 20 octobre 2009, la somme de 5 000 euros qui lui avait été allouée en exécution de l'astreinte prononcée par l'ordonnance de référé du 20 octobre 2009 et liquidée par l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 6 juin 2013, ainsi que la somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour compensation du coût des travaux superflus, alors « que le principe de non-rétroactivité exclut qu'une loi nouvelle revienne sur la validité d'un acte juridique conclu antérieurement à son entrée en vigueur, sauf disposition législative expresse en sens contraire ; qu'il s'ensuit que le nouvel article L. 341-2 du code de commerce, qui est issu de la loi relative à la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015, est inapplicable à une clause de non-réaffiliation convenue antérieurement à son entrée en vigueur, en l'absence de disposition expresse le prévoyant, dès lors que l'article 31, II, de la loi du 7 août 2016 [lire 6 août 2015] dispose seulement que ce nouvel article s'applique à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, sans mentionner expressément qu'elle rétroagit sur la validité des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ; qu'en déduisant de l'existence d'une période transitoire que la loi répute non écrite toute clause ayant pour effet de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui l'a précédemment souscrit, et ce peu important que le contrat soit arrivé à son terme, le 19 juin 2008, sans avoir été renouvelé, quand cette disposition nouvelle est impuissante à remettre en cause la validité d'une stipulation qui était licite au moment de sa conclusion, la cour d'appel a violé l'article 31, II, de la loi du 7 août 2016 [lire 6 août 2015], l'article 2 du code civil et l'article L. 341-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code civil et l'article 31, II, de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 :
7. Aux termes du premier de ces textes, la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. Selon le second, l'article L. 341-2 du code de commerce réputant non écrites les clauses ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un contrat de distribution, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant, s'applique à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi.
8. Pour réputer non écrite la clause du contrat obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleu et blanc et condamner la société Hypromat à restituer à la société Jeumont lavage les sommes de 3 000 euros et de 5 000 euros ainsi qu'à lui payer une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour les travaux superflus, l'arrêt relève que l'article 31, II de la loi du 6 août 2015 dispose que le I de cet article, qui crée l'article L. 341-2 du code de commerce, s'applique à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi. Il retient qu'il s'en suit qu'un an après la promulgation de la loi, est réputée non écrite toute clause ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un contrat tel le contrat de franchise litigieux, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui l'a précédemment souscrit, et ce, peu important que le contrat soit arrivé à son terme le 19 juin 2008 sans avoir été renouvelé. Il en déduit que les dispositions de l'article L. 341-2 du code de commerce ne peuvent pas être écartées pour un motif tiré de l'application dans le temps de la loi nouvelle.
9. En statuant ainsi, alors que la loi nouvelle ne peut, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur, inexistante en l'espèce, remettre en cause la validité d'une clause contractuelle régie par les dispositions en vigueur à la date où le contrat a été passé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
10. La société Hypromat fait le même grief à l'arrêt, alors « que la seule restriction à l'exercice d'une activité professionnelle ne justifie pas d'annuler la clause du contrat de franchise interdisant au franchisé d'utiliser les signes distinctifs de ralliement de la clientèle tant qu'elle ne lui interdit pas de poursuivre son activité par l'utilisation d'autres signes ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer nulle l'article 14 du contrat de franchise, qu'il est de nature à restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant par cela seul qu'il interdit au franchisé pendant un an d'utiliser les couleurs bleue et blanche qui s'associent naturellement à des activités de lavage, et de rejoindre un réseau concurrent qui utilise les mêmes couleurs, quand cet article n'interdisait pas au franchisé de poursuivre toute activité consistant à exploiter des stations de lavage de véhicules automobiles sous d'autres signes, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
11. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
12. Pour réputer non écrite la clause du contrat obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleu et blanc et condamner la société Hypromat à restituer à la société Jeumont lavage les sommes de 3 000 euros et de 5 000 euros ainsi qu'à lui payer une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour les travaux superflus, l'arrêt retient encore que le blanc, symbole de propreté, et le bleu, symbole de l'eau, s'associent naturellement à des activités de lavage, tel le lavage de véhicule, et que les sociétés Aulnoy lavage et Jeumont lavage justifient de l'existence de stations de lavage auto haute pression Aquabloo, qui utilisent également les couleurs bleu et blanc, de sorte qu'il est ainsi confirmé que la clause litigieuse, interdisant pour plus d'une année à compter de l'échéance du contrat non renouvelé d'utiliser ces mêmes couleurs, est bien de nature à restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui l'a souscrite. Il en déduit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que la clause litigieuse, obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleu et blanc et à faire repeindre son centre dans d'autres couleurs dans les six mois à compter de la cessation du contrat, était réputée non écrite.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de la restriction apportée par la clause à l'activité de l'exploitant, impropres à établir une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d'entreprendre, au regard des intérêts légitimes du franchiseur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la clause des contrats de franchise conclus entre la société Hypromat France et les sociétés Aulnoy lavage et Jeumont lavage, obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleu et blanc et à faire repeindre son centre dans d'autres couleurs, figurant à l'article 14 des contrats, est réputée non écrite entre les parties, en ce qu'il condamne la société Hypromat France à restituer à la société Jeumont lavage la somme de 3 000 euros versée à titre de provision sur indemnité contractuelle et la somme de 5 000 euros versée au titre de l'astreinte, en ce qu'il condamne la société Hypromat France à payer à la société Jeumont lavage une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour compensation du coût des travaux superflus et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 1er juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Aulnoy lavage et Jeumont lavage aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Aulnoy lavage et Jeumont lavage et les condamne à payer à la société Hypromat France la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Hypromat France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société HYPROMAT FRANCE a fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR réputée non écrit l'article 14 des contrats de franchise conclu entre la société HYPROMAT FRANCE, d'une part, et les sociétés AULNOY LAVAGE et JEUMONT LAVAGE, d'autre part, obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleue et blanche et à faire repeindre son centre dans d'autres couleurs que bleu et blanc dans les six mois à compter de la cessation du contrat figurant à l'article 14 du contrat de franchise et D'AVOIR condamné la société HYPROMAT FRANCE à restituer à la société JEUMONT LAVAGE, la provision de 3.000 € versée sur l'indemnité contractuelle, en exécution de l'ordonnance de référé du 20 octobre 2009, la somme de 5.000 € qui lui avait été allouée en exécution de l'astreinte prononcée par l'ordonnance de référé du 20 octobre 2009 et liquidée par l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 6 juin 2013, ainsi que la somme de 800 € à titre de dommages et intérêts pour compensation du coût des travaux superflus ;
1. ALORS QUE le principe de non-rétroactivité exclut qu'une loi nouvelle revienne sur la validité d'un acte juridique conclu antérieurement à son entrée en vigueur, sauf disposition législative expresse en sens contraire ; qu'il s'ensuit que le nouvel article L. 341-2 du code de commerce, qui est issu de la loi Macron du 6 août 2015, est inapplicable à une clause de non-réaffiliation convenue antérieurement à son entrée en vigueur, en l'absence de disposition expresse le prévoyant, dès lors que l'article 31, II, de la loi du 7 août 2016 dispose seulement que ce nouvel article s'applique à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, sans mentionner expressément qu'elle rétroagit sur la validité des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ; qu'en déduisant de l'existence d'une période transitoire que la loi répute non écrite toute clause ayant pour effet de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant qui l'a précédemment souscrit, et ce peu important que le contrat soit arrivé à son terme, le 19 juin 2008, sans avoir été renouvelé, quand cette disposition nouvelle est impuissante à remettre en cause la validité d'une stipulation qui était licite au moment de sa conclusion, la cour d'appel a violé l'article 31, II, de la loi du 7 août 2016, l'article 2 du code civil et l'article L. 341-2 du code de commerce ;
2. ALORS QUE la seule restriction à l'exercice d'une activité professionnelle ne justifie pas d'annuler la clause du contrat de franchise interdisant au franchisé d'utiliser les signes distinctifs de ralliement de la clientèle tant qu'elle ne lui interdit pas de poursuivre son activité par l'utilisation d'autres signes ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer nulle l'article 14 du contrat de franchise, qu'il est de nature à restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant par cela seul qu'il interdit au franchisé pendant un an d'utiliser les couleurs bleue et blanche qui s'associent naturellement à des activités de lavage, et de rejoindre un réseau concurrent qui utilise les mêmes couleurs, quand cet article n'interdisait pas au franchisé de poursuivre toute activité consistant à exploiter des stations de lavage de véhicules automobiles sous d'autres signes, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 février 2016 ;
3. ALORS QUE l'interdiction faite à l'ancien franchisé d'utiliser les signes distinctifs de ralliement de la clientèle ne constitue pas une clause de non-concurrence, ni une clause de non ré-affiliation qui, pour être valables, doivent être limitées dans le temps et dans l'espace ; qu'en décidant, par analogie avec la clause de non-ré-affiliation, que l'article 14 du contrat de franchise s'opposait à l'utilisation des signes de ralliement de la clientèle consistant dans le logo et le nom « ELEPHANT BLEU », quand une telle interdiction ne constituait pas une clause de non-concurrence, ni une clause de non-réaffiliation interdisant au franchisé de rejoindre un autre réseau, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société HYPROMAT FRANCE fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société AULNOY LAVAGE à ne lui payer que la somme de 5.000 € à titre d'indemnité contractuelle pour utilisation des signes de la franchise après la fin du contrat et de l'AVOIR déboutée des plus amples demandes qu'elle avait formées à ce titre ;
ALORS QUE si la peine stipulée dans une convention en cas d'inexécution peut se concevoir aussi bien comme un moyen de contraindre la partie à l'exécution que comme une évaluation conventionnelle anticipée du préjudice futur, elle n'en peut pas moins, dans l'un et l'autre cas, être réduite par le juge, qui doit, pour en apprécier son caractère excessif, tenir compte de son but ; qu'en énonçant, pour modérer le montant de la clause pénale, que la société HYPROMAT FRANCE en avait elle-même réduit le montant et qu'elle était disproportionnée au regard du caractère très limité de l'atteinte à l'image de la marque et du montant de la redevance permanente mensuelle, sans tenir compte de sa finalité, soit de la nécessité de préserver l'image du réseau dans l'intérêt tant du franchiseur que du franchisé, par la stipulation à la charge du franchisé d'une indemnité comminatoire excédant le montant du préjudice, en cas d'utilisation illicite des signes distinctifs de ralliement de la clientèle, la cour d'appel a privé sa décision sa décision de base légale au regard de l'article 1152, alinéa 2, du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 février 2016.