LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 21-82.165 F-D
N° 00185
SL2
15 FÉVRIER 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 FÉVRIER 2022
La société des [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 16 mars 2021, qui, pour violation des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail étendu relatives aux accessoires du salaire, l'a condamnée à vingt amendes de 50 euros chacune, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société des [1], les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de MM. [S] [L], [F] [V], [N] [J], [K] [O], [C] [D], [W] [A] et Mme [Z] [E], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1], ci-après la société [1], présidée par M. [M] [T], a été poursuivie devant le tribunal de proximité de Dole pour infractions aux dispositions de l'article 11 de l'accord national professionnel du 28 juin 2002 relatif aux classifications d'emploi et aux salaires minima dans les industries du bois pour le bâtiment et la fabrication des menuiseries industrielles, applicable aux entreprises soumises à la convention collective nationale des menuiseries, charpentes et constructions industrialisées et visant le non-versement de la prime d'ancienneté à l'ensemble du personnel ayant plus de trois ans d'ancienneté au sein de l'entreprise, soit vingt salariés nommément identifiés.
3. Après un renvoi au tribunal de police de Lons-le-Saunier, qui s'est déclaré incompétent, et sur nouvelle citation, le tribunal de proximité de Dole, par jugement du 11 juin 2020, a déclaré la société [1] coupable des faits reprochés, l'a condamnée à une amende de 200 euros à titre de peine principale pour chaque salarié concerné soit, au total, une somme de 4 000 euros et a prononcé sur les intérêts civils.
4. La société [1] ainsi que le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable de violation des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif étendu relatives aux accessoires du salaire, l'a condamné à payer vingt amendes de 50 euros et a statué sur l'action civile, alors « que sauf incompétence territoriale, le renvoi d'un tribunal à un autre ordonné sans qu'il ait été fait application de l'article 665 du code de procédure pénale et la citation à comparaître devant un tribunal manifestement incompétent ne sont pas interruptifs de la prescription ; que par acte du 19 décembre 2018, la prévenue a été citée à comparaître du chef de contravention à l'audience du tribunal de police siégeant à la chambre détachée de Dole du 21 mars 2019, au cours de laquelle Mme la présidente du tribunal a informé les parties que « compte tenu du litige prud'homal en cours devant le conseil des prud'hommes de Dole », le dossier serait renvoyé et jugé devant le tribunal de police de Lons-le-Saunier ; que, par jugement du 18 décembre 2019, ce tribunal s'est déclaré d'office territorialement incompétent ; que ni la décision irrégulière de renvoi du 21 mars 2019 ni la citation devant le tribunal de police de Lons-le-Saunier, manifestement incompétent, n'ont interrompu la prescription de l'action publique, de sorte que le 19 février 2020, date de la citation à comparaître devant le tribunal de proximité de Dole à nouveau saisi de la procédure, plus d'une année révolue s'était écoulée depuis la citation initiale du 19 décembre 2018, dernier acte interruptif de la prescription ; qu'en s'abstenant de relever d'office la prescription de l'action publique, la cour d'appel a violé les articles 7 et 9 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Si l'exception de prescription est d'ordre public et peut, à ce titre, être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, c'est à la condition que se trouvent, dans les constatations des juges du fond, les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur.
7. Tel n'est pas le cas en l'espèce.
8. Le moyen est, dès lors, irrecevable.
Sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable de violation des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif étendu relatives aux accessoires du salaire, l'a condamnée à payer vingt amendes de 50 euros et a statué sur l'action civile, alors « que selon l'article 121-2 du code pénal, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; que le jugement et l'arrêt confirmatif ont déclaré la société [1], prévenue, coupable des faits visés à la prévention, sans identifier l'organe ou le représentant de cette société et sans rechercher si la méconnaissance des stipulations conventionnelles relatives aux accessoires du salaire prévus par une convention ou un accord collectif aurait été commise pour son compte ; qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable de violation des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif étendu relatives aux accessoires du salaire, l'a condamnée à payer vingt amendes de 50 euros et, sur l'action civile, a déclaré recevables et bien fondées les constitutions de partie civile, et l'a condamnée à payer M. [G], partie civile, la somme de 377,70 euros à titre de dommages et intérêts, outre une somme de 1 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et celle de 1 500 euros sur le même fondement aux autres parties civiles, alors :
« 1°/ que la cour d'appel a jugé que la société [1] était soumise au temps de la prévention à l'accord professionnel national du 28 juin 2002, relatif aux classification et salaires minima, étendu par arrêté d'extension du 10 juillet 2003, motif pris que « tel que rédigé cet accord est un accord professionnel national autonome » ; qu'en statuant ainsi, quand la prime d'ancienneté instituée par l'article 11 de l'accord du 1er octobre 1971, non étendu, ne constituait pas une disposition conventionnelle étendue de la convention nationale collective de la menuiserie, des charpentes et construction industrialisées et des portes planes du 1er mars 1955, en vigueur à la date de la prévention, à laquelle la société [1] n'était pas soumise, de sorte que l'accord national du 28 juin 2002, étendu, base des poursuites, lui était inopposable faute d'être liée par l'accord originel du 1er octobre 1971, la cour d'appel a violé les articles L. 2231-1, L. 2261-8, L. 2261-16, L. 2262-1 et R. 2263-4 du code du travail ;
2°/ que pour entrer en voie de condamnation, la cour a jugé que la [1] était soumise au temps de la prévention à l'accord professionnel national du 28 juin 2002, étendu, et donc à son article 11 prévoyant le versement d'une prime d'ancienneté sous certaines conditions mentionnées en annexe de l'accord, motifs pris que « cette dernière ne contestant pas avoir une activité entrant dans son champ d'application défini dans son titre 1 (voir en ce sens l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 13 mars 2009, n° 06/03354) » ; qu'en se référant, pour considérer que la société [1] avait une activité entrant dans le champ d'application de l'accord du 28 juin 2002, étendu, à une décision de justice à laquelle la prévenue n'était pas partie, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour confirmer la décision du premier juge qui a relevé que M. [T] était représentant de la société [1] et, par motifs propres et adoptés déclarer la société prévenue coupable du chef reproché, l'arrêt attaqué énonce que la convention collective nationale de la menuiserie, des charpentes et constructions industrialisées et des portes planes du 1er mars 1955 n'a pas fait l'objet d'un arrêté d'extension de sorte qu'elle ne s'appliquait pas obligatoirement à la société [1] qui n'appartient pas à une organisation signataire bien que son activité entre dans son champ d'application.
13. Après avoir analysé les dispositions de l'accord professionnel du 28 juin 2002 relatif aux classifications d'emplois et à la détermination des salaires minima dans les industries du bois pour le bâtiment et la fabrication des menuiseries industrielles, pour en déduire qu'il s'agit d'un accord professionnel autonome et non d'un avenant à la convention collective nationale de 1955, étendu par arrêté du 10 juillet 2003, les juges relèvent que la société [1] s'y trouvait soumise pendant la période de prévention et précisent que, dans la mesure où l'article 11 de l'accord prévoit le versement d'une prime d'ancienneté, négociée chaque année, la prévenue, qui s'est abstenue de la verser au mois d'août 2017 à vingt de ses salariés qui pouvaient y prétendre, a commis l'infraction prévue par l'article R. 2263-4 du code du travail.
14. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
15. En effet, d'une part, en adoptant les motifs du premier juge qui a relevé que le président de la société prévenue donnait des instructions au salarié de l'entreprise établissant les bulletins de paie, elle a constaté que le représentant légal de la société a agi pour le compte de celle-ci au sens de l'article 121-2 du code pénal.
16. D'autre part, les énonciations de l'arrêt attaqué, les motifs critiqués à la seconde branche du troisième moyen étant surabondants dès lors que les juges du second degré ont constaté, sans que cela soit discuté, que l'activité de la société [1] entre dans le champ de la convention collective nationale de 1955 et que la prévenue n'a jamais contesté que le champ d'application de l'accord professionnel national du 28 juin 2002 est le même, et du jugement qu'il confirme, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments l'infraction dont elle a déclaré la société prévenue coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant.
17. Les moyens doivent être écartés.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société des [1] devra payer aux parties représentées par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze février deux mille vingt-deux.