LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 107 F-D
Pourvoi n° J 20-13.888
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [G].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 5 décembre 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2022
M. [C] [G], domicilié chez Mme [E] [X], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 20-13.888 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2019 par la cour d'appel de Nouméa (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [D],
2°/ à Mme [K] [D],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de M. [G], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [D], après débats en l'audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Avel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 18 mars 2019), M. [G], propriétaire d'une villa divisée en deux appartements et de deux emplacements de parking à Nouméa, a loué l'un des appartements à M. et Mme [D].
2. Le 16 avril 2013, ceux-ci se sont engagés à mettre gratuitement à disposition de M. [G] un logement à cette adresse devant leur revenir de plein droit à son décès et, le 19 avril 2013, ont conclu un compromis de vente de la villa à leur profit, réitéré le 9 janvier 2014.
3. Invoquant le refus de M. et Mme [D] d'exécuter leur obligation de mettre un logement à sa disposition, M. [G] les a assignés en paiement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [G] fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'objet et de cause de la convention signée le 16 avril 2013 et de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ qu'en présence d'un ensemble contractuel indivisible, la cause de l'obligation prévue par un acte doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble contractuel dans sa globalité ; que la cour d'appel a admis que, l'engagement d'hébergement du 16 avril 2013 et le compromis de vente du 19 avril 2013 ayant été « signés quasiment concomitamment », elle « ne [pouvait] interpréter la première convention qu'en la liant à la seconde » et que l'engagement d'hébergement s'analysait comme la promesse faite par M. et Mme [D] de mettre à disposition de M. [G], sa vie durant, un des deux logements « qu'ils se proposaient d'acquérir » ; qu'en considérant, pour conclure à l'absence de cause de l'obligation souscrite par M. et Mme [D] dans l'acte du 16 avril 2013, qu'il s'agissait d'un contrat à titre gracieux, dont la cause finale et objective était l'esprit de gratification, et qui ne pouvait être exécuté sans mettre en péril la situation financière des promettants, la cour d'appel, qui n'a pas apprécié la cause de cette obligation à la lumière de la vente consentie par M. [G] à M. et Mme [D], n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1131 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie ;
2°/ qu'en considérant, pour conclure à l'absence de cause de l'obligation souscrite par M. et Mme [D] dans l'acte du 16 avril 2013, qu'il s'agissait d'un contrat à titre gracieux, dont la cause finale et objective était l'esprit de gratification, et qui ne pouvait être exécuté sans mettre en péril la situation financière des promettants, sans rechercher si cette obligation ne trouvait pas sa cause dans la cession quasi concomitante des logements à M. et Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie ;
3°/ qu'en tout état de cause, le juge ne peut relever d'office un moyen sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations ; que M. et Mme [D] ne soutenaient pas que leur situation financière difficile privait de cause l'obligation qu'ils avaient souscrites dans l'engagement d'hébergement du 16 avril 2013, cette situation financière n'étant invoquée dans leurs conclusions qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où « la cour devait considérer qu'il existe un engagement contractuel de M. et Mme [D] et que ces derniers ont manqué à leurs obligations », afin que les dommages-intérêts octroyés soit « ramenés à de plus justes proportions » ; qu'en considérant, pour conclure à l'absence de cause de cette obligation, que celle-ci ne pouvait être exécutée sans mettre en péril la situation financière des promettants, la cour d'appel, qui a relevé d'office ce moyen sans inviter M. [G] à présenter ses observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie. »
Réponse de la Cour
5. Sous le couvert de griefs non fondés de défaut de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'interprétation souveraine par la cour d'appel du sens et de la portée de l'engagement d'hébergement qui n'était ni clair ni précis, au terme de laquelle elle a estimé que celui-ci se trouvait, à l'issue de la vente, dépourvu de cause.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat aux Conseils, pour M. [G].
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir constaté l'absence d'objet et de cause de la convention signée le 16 avril 2013 entre les époux [D] et M. [G] et d'avoir, en conséquence, prononcé l'annulation de cette convention et débouté M. [G] de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE selon acte daté du 16 avril 2013, M. et Mme [D] se sont engagés en ces termes : « nous soussignés [P] et [K] [D] certifions solidairement mettre gratuitement à la disposition de M. [C] [G] un logement sis [Adresse 2]. Cet appartement nous reviendra de plein droit au décès de M. [C] [G] sans autre formalité » ; que cet acte tel que rédigé est susceptible de deux interprétations celle soutenue par les époux [D] et celle donnée par M. [C] [G] ; 1. Un hébergement contre libéralité au jour de leur engagement : M. et Mme [D] n'étaient propriétaires d'aucun bien immobilier mais étaient locataires de M. [G] ; qu'à considérer seul l'acte du 16 avril 2023, la promesse des époux [D] d'héberger leur propriétaire ne peut avoir d'autre sens qu'un engagement de loger M. [C] [G] chez eux en contrepartie de quoi M. [G] leur léguait ou donnait le bien qu'eux-mêmes occupaient à son décès ; que dans cette hypothèse, la promesse d'hébergement n'a plus d'objet et de cause puisque M. et Mme [D] sont devenus propriétaires du bien et que l'acte est sans contrepartie ; que c'est ce que soutiennent les consorts [D] mais pas M. [C] [G] qui considère que l'engagement porte sur les logements acquis par ses anciens locataires ; 2. Sur la promesse de commodat : peu de jours après l'engagement d'hébergement, soit le 19 avril 2013, M. et Mme [D] ont signé un compromis de vente aux termes duquel ils devenaient, dans l'hypothèse où les conditions suspensives d'obtention du prêt se réaliseraient, soit propriétaires de l'appartement qu'ils occupaient moyennant un prix de 20 millions soit moyennant un prix de 40 millions, propriétaires de la totalité de la villa composée de deux appartements si le règlement de copropriété ne pouvait être modifié les logements étant situés [Adresse 2] ; que, considérant que l'engagement d'hébergement et le compromis de vente ont été signés quasiment concomitamment, la cour ne peut interpréter la première convention qu'en la liant à la seconde ; qu'en effet, les conventions doivent s'interpréter dans le sens où elles peuvent avoir un quelconque effet plutôt que dans le sens avec lequel elles n'en produisent aucun (article 1162 du code civil) : qu'à lier l'acte litigieux au compromis de vente, l'acte passé le 16 avril 2013 s'analyse comme la promesse faite par les consorts [D] de mettre gratuitement à la disposition de M. [C] [G] sa vie durant, un des deux logements situés côte de l'Amiral Halsey qu'ils se proposaient d'acquérir ; que bien que n'étant pas propriétaires d'un logement au jour de leur engagement mais allant le devenir dans un futur proche, rien n'interdisait aux époux de disposer gratuitement pour l'avenir des biens à acquérir en application de l'article 1129 du code civil qui dispose que « les choses futures peuvent faire l'objet d'une convention? » ; que dans cette interprétation de la volonté des parties, le contrat constitue une promesse de prêt à usage ou commodat défini dans l'article 1875 du code civil « comme un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi » ; que, sur la validité du contrat de commodat, il est incontestable que M. et Mme [D] pouvaient disposer pour l'avenir de biens qu'ils n'avaient pas encore, la cour doit apprécier au vu de la commune intention des parties si l'acte ainsi rédigé était valable au regard de son objet et de sa cause ; qu'en l'espèce, l'acte litigieux est non causé ; que les époux [D] ont souscrit une obligation sans expliciter les motifs qui ont déterminé leur engagement ; que dans un contrat à titre gracieux comme c'est le cas, la cause finale et objective poursuivie par le prêteur est l'esprit de gratification ; qu'on suppose que son engagement repose sur un motif raisonnable et juste ou sur le seul plaisir de faire le bien ; qu'il s'agit là de la cause formelle ; que toutefois au-delà de l'intention de bienfaisance, le juge a le devoir de rechercher si le but poursuivi (cause finale) peut être réalisable ; que sur ce point, la cour doit relever qu'au 16 avril 2013, les parties s'étaient entendues préférentiellement sur l'achat d'un seul logement (celui que M. et Mme [D] occupaient à titre de locataires) ; que l'achat de la villa en un seul lot était une option résiduelle pour le cas où le règlement de copropriété ne pourrait être modifié ; que dans la première hypothèse, les époux s'engageaient donc à acheter un appartement qu'ils mettaient gratuitement à la disposition de M. [C] [G] sa vie durant ; qu'il n'est pas contesté que M. et Mme [D] n'avaient pas les moyens de payer à la fois et le crédit souscrit pour l'appartement et le loyer qu'ils seraient dans l'obligation d'exposer pour se reloger eux-mêmes ; que dans la seconde hypothèse qui est celle que la cour doit trancher, les promettants se trouvaient et se trouvent toujours dans l'incapacité de payer le crédit sans couvrir une partie des échéances par la mise en location d'un des appartements ; que là encore, les époux [D] ne pourraient réserver la jouissance d'un des deux appartements à M. [G] à titre gratuit ; que le contrat de bienfaisance a des limites naturelles qui sont les capacités de gratification du prêteur ; qu'en l'espèce, la cause du contrat de mise gracieusement à disposition de M. [C] [G] un logement ne peut être exécutée sans mettre en péril la situation financière des promettants ; qu'elle ne l'était pas davantage le jour où la promesse a été consentie ce que n'ignorait pas M. [C] [G] qui avait été dans l'obligation de prêter de l'argent aux intéressés pour formaliser l'acte de vente ; que le contrat litigieux s'analyse en une libéralité moyennant contrepartie ou en un prêt à usage, la convention est nulle soit pour défaut d'objet soit pour absence de cause ; que le contrat ne peut recevoir exécution ;
1°) ALORS QU'en présence d'un ensemble contractuel indivisible, la cause de l'obligation prévue par un acte doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble contractuel dans sa globalité ; que la cour d'appel a admis que, l'engagement d'hébergement du 16 avril 2013 et le compromis de vente du 19 avril 2013 ayant été « signés quasiment concomitamment », elle « ne [pouvait] interpréter la première convention qu'en la liant à la seconde » et que l'engagement d'hébergement s'analysait comme la promesse faite par les époux [D] de mettre à disposition de M. [G], sa vie durant, un des deux logements « qu'ils se proposaient d'acquérir » (arrêt, p. 6 § 4-5) ; qu'en considérant, pour conclure à l'absence de cause de l'obligation souscrite par les époux [D] dans l'acte du 16 avril 2013, qu'il s'agissait d'un contrat à titre gracieux, dont la cause finale et objective était l'esprit de gratification, et qui ne pouvait être exécuté sans mettre en péril la situation financière des promettants, la cour d'appel, qui n'a pas apprécié la cause de cette obligation à la lumière de la vente consentie par M. [G] aux époux [D], n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1131 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie ;
2°) ALORS QU'en considérant, pour conclure à l'absence de cause de l'obligation souscrite par les époux [D] dans l'acte du 16 avril 2013, qu'il s'agissait d'un contrat à titre gracieux, dont la cause finale et objective était l'esprit de gratification, et qui ne pouvait être exécuté sans mettre en péril la situation financière des promettants, sans rechercher si cette obligation ne trouvait pas sa cause dans la cession quasi concomitante des logements aux époux [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie ;
3°) ALORS QU'en tout état de cause, le juge ne peut relever d'office un moyen sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations ; que les époux [D] ne soutenaient pas que leur situation financière difficile privait de cause l'obligation qu'ils avaient souscrites dans l'engagement d'hébergement du 16 avril 2013, cette situation financière n'étant invoquée dans leurs conclusions qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où « la cour devait considérer qu'il existe un engagement contractuel des époux [D] et que ces dernier ont manqué à leurs obligations », afin que les dommages-intérêts octroyés soit « ramenés à de plus justes proportions » (conclusions [D], p. 12) ; qu'en considérant, pour conclure à l'absence de cause de cette obligation, que celle-ci ne pouvait être exécutée sans mettre en péril la situation financière des promettants, la cour d'appel, qui a relevé d'office ce moyen sans inviter M. [G] à présenter ses observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.
Le greffier de chambre