LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 janvier 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 80 F-D
Pourvoi n° T 20-14.632
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 JANVIER 2022
Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° T 20-14.632 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [G] [M], épouse [B], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [M], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 27 janvier 2020), après le décès, le [Date décès 2] 2008, de [X] [K] des suites d'une maladie provoquée par l'exposition à l'amiante, Mme [M], sa fille, et d'autres ayants droit de [X] [K] ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA) aux fins d'indemnisation de leurs préjudices personnels. Le FIVA leur a présenté, par lettres avec demande d'avis de réception des 16 septembre 2009 et 22 octobre 2010, une offre d'indemnisation de leurs préjudices moral et d'accompagnement qu'ils ont acceptée.
2.Le 2 octobre 2018, les ayants droit de [X] [K] ont saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation complémentaire pour les frais d'assistance par une tierce personne et les frais funéraires, qui l'a rejetée comme prescrite. Mme [M] a formé un recours contre cette décision devant une cour d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le FIVA fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande d'indemnisation des frais d'obsèques de [X] [K] notamment formée par Mme [M] et de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription formée par le FIVA et, en conséquence, de fixer à 3 098,15 euros la somme que le FIVA devra verser au titre des frais d'obsèques de [X] [K] entre les mains du notaire en charge de sa succession, ladite somme étant productive d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt alors « que l'interruption de la prescription, découlant de la reconnaissance par le débiteur du droit de son créancier, ne peut s'étendre d'une action à une autre, et qu'il n'en est autrement que lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que l'effet interruptif de prescription attachée à l'offre présentée par le Fonds à l'ayant droit de la victime décédée du chef de ses préjudices personnels ne s'étend pas à son action successorale en remboursement des frais d'obsèques ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 2240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2240 du code civil :
4. Selon ce texte, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt le délai de la prescription.
5. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de Mme [M] au titre des frais funéraires, après avoir rappelé que le FIVA lui avait adressé, le 16 septembre 2009, une offre d'indemnisation de son préjudice moral et d'accompagnement sans formuler aucune indemnisation au titre des frais d'obsèques de [X] [K], l'arrêt énonce que la charge de ces frais doit être supportée, en cas d'insuffisance de l'actif successoral, par les débiteurs de l'obligation alimentaire à l'égard du défunt de sorte que ces frais constituent un préjudice des ayants droit à vocation successorale.
6. Il ajoute qu'il n'y a pas lieu de distinguer, comme le FIVA y procède, entre l'action indemnitaire des ayants droit et la demande au titre de l'action successorale et en déduit qu'en formulant, le 16 septembre 2009, une offre d'indemnisation au profit de Mme [M], le FIVA a reconnu son droit à indemnisation, qui devait nécessairement conduire à une réparation intégrale de son préjudice, sans que le FIVA ne puisse dissocier cette reconnaissance, en fonction de la nature du préjudice dès lors qu'il trouve son origine dans le même fait générateur.
7. En statuant ainsi, alors que l'offre dont se prévalait Mme [M] indemnisait uniquement son préjudice personnel, ce dont il résultait qu'elle n‘emportait pas reconnaissance par le FIVA de son droit à indemnisation d'un préjudice dont elle demandait réparation en une autre qualité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le
présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante
LE MOYEN reproche à l'arrêt attaqué,
D'AVOIR déclaré recevable la demande d'indemnisation des frais d'obsèques de [X] [K] notamment formée par Mme [G] [M] et rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription formée par le FIVA et, en conséquence, fixé à 3 098,15 euros la somme que le FIVA devra verser au titre des frais d'obsèques de [X] [K] entre les mains du notaire en charge de sa succession, ladite somme étant productive d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
AUX MOTIFS QUE « les parties conviennent que le point de départ du délai de prescription de la demande d'indemnisation des frais funéraires, doit être fixé au 19 août 2008 correspondant à la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et l'exposition à l'amiante, et que le délai de prescription est de dix ans en application de l'article 53-III bis de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 tel que modifiée par la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 ; qu'elles divergent en revanche sur l'interruption éventuelle du délai de prescription ;
[?] ;
que la cour rappelle qu'en application de l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, le FIVA a pour mission de réparer intégralement les préjudices des :
- personnes qui ont obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d'invalidité ;
- personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire de la République française ;
- ayants droit des personnes précitées ;
que le décès de [X] [K] est intervenu le [Date décès 2] 2008 des suites d'un mésothéliome pleural multimétastasé, dont la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3] a reconnu le caractère professionnel, de sorte que ses ayants droit pouvaient bénéficier de la réparation intégrale de leurs préjudices subis ; que le 16 septembre 2009, le FIVA, saisi par les ayants droit de la défunte, a ainsi formulé une offre d'indemnisation notamment à Mme [G] [M], en réparation de son préjudice moral et de l'accompagnement de fin de vie ; que le FIVA n'a formulé aucune indemnisation au titre des frais d'obsèques de [X] [K] ; que, si les frais d'obsèques sont en principe imputés sur l'actif de la succession du défunt, en cas d'insuffisance de l'actif successoral leur charge doit être supportée par les débiteurs de l'obligation alimentaire à l'égard de leur ascendant ; que les frais d'obsèques d'une personne décédée des conséquences de l'exposition à l'amiante constituent donc un préjudice des ayants droits à vocation successorale et en particulier des débiteurs de l'obligation alimentaire à l'égard du défunt, comme tel est le cas de l'appelante ; qu'il n'y a donc pas lieu de distinguer, comme le FIVA y procède, à une distinction de l'action indemnitaire personnelle des ayants droit et de la demande en indemnisation au titre de l'action successorale ; que la cour relève en ce sens que la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 qui prévoit la réparation intégrale des préjudices des ayants droits du défunt ne distingue nullement les préjudices personnels de ceux qui relèveraient d'une prétendue action successorale ;
que la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 modifiant la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, a substitué au régime spécial de prescription prévu par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, le régime de prescription de droit commun en précisant à la fois la durée de la prescription, soit dix ans, et le point de départ du délai ; qu'en conséquence, les causes d'interruption de la prescription, de droit commun, prévues aux articles 2240 à 2242 du code civil, s'appliquent aux demandes d'indemnisation formée auprès du FIVA ; que le fait générateur des préjudices subis par les ayants droits réside dans le décès de la personne qui a obtenu la reconnaissance d'une maladie professionnelle occasionnée par l'amiante au titre de la législation française de sécurité sociale ou d'un régime assimilé ; que la demande d'indemnisation auprès du FIVA par les ayants droit vise à obtenir réparation intégrale de leurs préjudices et l'instruction du dossier par le FIVA doit conduire à cette fin ; qu'il ne saurait donc être fait grief aux ayants droit de ne pas avoir formé de demande d'indemnisation au titre des frais funéraires dans leur requête initiale ; qu'il est établi que le point de départ du délai de prescription courait à l'égard des ayants droit, à compter du 19 août 2008, de sorte que le délai devait normalement expirer le 19 août 2018 ; que l'article 2240 du code civil dispose que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ;
qu'en formulant une offre d'indemnisation le 16 septembre 2009, notamment au profit de Mme [G] [M], le FIVA a reconnu le droit à indemnisation de celle-ci, qui devait nécessairement conduire à une réparation intégrale de son préjudice ; que le FIVA ne peut dissocier sa reconnaissance du droit à indemnisation de l'ayant droit en fonction de la nature du préjudice qui a son origine dans le même fait générateur ; que l'offre partielle d'indemnisation du 16 septembre 2009 a donc interrompu la prescription, de sorte qu'un nouveau délai de dix ans a couru à compter de cette date ; que la demande d'indemnisation des frais d'obsèques, formée par les ayants droit le 2 octobre 2018 auprès du FIVA, qui tendait aux mêmes fins que la demande initiale à savoir la réparation intégrale de leur préjudice, a ainsi été formulée dans le délai de prescription, de sorte que la demande d'indemnisation est recevable ; que la décision du FIVA sera donc infirmée de ce chef » ;
ET AUX MOTIFS QUE « suivant facture versée aux débats, les frais d'obsèques de [X] [K] se sont élevés à la somme de 4 749,98 euros, arrondie par les parties à la somme de 4 749 euros ; que l'organisme de prévoyance CMAV a remboursé une somme de 1 650,85 euros dont les parties conviennent qu'il convient de la déduire des frais d'obsèques dont le solde est ainsi de 3 098,15 euros ; [?] ; qu'il convient de fixer à 3 098,15 euros la somme que le FIVA devra verser au titre des frais d'obsèques de [X] [K], entre les mains du notaire en charge de sa succession, ladite somme étant productive d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; [?] » ;
ALORS QUE l'interruption de la prescription, découlant de la reconnaissance par le débiteur du droit de son créancier, ne peut s'étendre d'une action à une autre, et qu'il n'en est autrement que lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que l'effet interruptif de prescription attachée à l'offre présentée par le Fonds à l'ayant droit de la victime décédée du chef de ses préjudices personnels ne s'étend pas à son action successorale en remboursement des frais d'obsèques ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 2240 du code civil.