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05/01/2022 | FRANCE | N°20-10140

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 05 janvier 2022, 20-10140


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 janvier 2022

Rejet

M. RINUY, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président

Arrêt n° 23 F-D

Pourvoi n° K 20-10.140

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JANVIER 2022

La caisse régionale de Crédit agricole

mutuel (CRCAM) des Côtes d'Armor, société coopérative de crédit, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° K 20-10.140 contre l'arrêt ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 janvier 2022

Rejet

M. RINUY, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président

Arrêt n° 23 F-D

Pourvoi n° K 20-10.140

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JANVIER 2022

La caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) des Côtes d'Armor, société coopérative de crédit, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° K 20-10.140 contre l'arrêt rendu le 25 septembre 2019 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. [P] [O], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [O], après débats en l'audience publique du 10 novembre 2021 où étaient présents M. Rinuy, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 25 septembre 2019), M. [O] a été engagé le 12 octobre 1976 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor (la société), en qualité de guichetier, catégorie 1. En novembre 1977, il a adhéré au syndicat CGT et est devenu délégué du personnel, puis a été élu ou mandaté jusqu'en 1989, date à laquelle il a cessé son activité syndicale. Délégué du personnel en 2012, le salarié a été élu au comité d'entreprise pour les années 2013-2014. Depuis les élections de décembre 2014, il est délégué du personnel et délégué syndical.

2. S'estimant victime d'une discrimination syndicale, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 22 janvier 2014, pour obtenir la condamnation de la société à lui verser des sommes au titre des préjudices matériel et moral.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de dire l'action du salarié non prescrite et de la condamner à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, alors :

« 1°/ que, selon l'article L. 1134-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation de la discrimination, qui constitue le point de départ de la prescription, s'entend du moment où le salarié dispose des éléments de faits suffisants pour laisser supposer l'existence d'une discrimination au sens de l'article L. 1134-1 du code du travail ; qu'à l'appui de sa discrimination le salarié invoquait des événements très anciens, à savoir des refus de mutation interne dès 1978, une stagnation de sa carrière depuis 1988, un blocage de son salaire depuis 2001 et la délivrance de comptes-rendus irréguliers de 1998 à 2006 ; que pour décider néanmoins que l'action du salarié n'était pas prescrite au jour de la saisine du conseil de prud'hommes le 22 janvier 2014, la cour d'appel a retenu que l'analyse faite le 30 avril 2014 par l'inspection du travail des informations portées à sa connaissance "constituait le point final du dossier entre les mains du salarié" ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la CRCAM des Côtes d'Armor au soutien de son moyen tiré de la prescription de l'action du salarié, ce dernier n'avait pas eu connaissance avant le 22 janvier 2009 -soit au-delà du délai de prescription quinquennale- d'éléments permettant de laisser supposer et ainsi de révéler la discrimination alléguée et en conséquence d'exercer son droit devant la justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1134-1, L. 1134-5 et L. 2141-5 du code du travail pris en leur version applicable au litige ;

2°/ en toute hypothèse, qu'il résulte de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, que l'action en réparation du préjudice résultant de faits de discrimination se prescrit par cinq ans ; que la prescription interdit la prise en compte de faits de discrimination couverts par elle ; que dès lors en se fondant, sur des refus de mutation interne dès 1978, une stagnation de sa carrière depuis 1988, un blocage de son salaire depuis 2001 et la délivrance de comptes-rendus irréguliers de 1998 à 2006 -soit sur des faits antérieurs de plus de cinq années à la saisine du conseil de prud'hommes (c'est-à-dire antérieurs au 22 janvier 2009)- pour déduire la discrimination, cependant que ces faits étaient couverts par la prescription quinquennale et ne pouvaient plus être invoqués à l'appui des demandes du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 1134-1, L. 1134-5 et L. 2141-5 du code du travail et 2224 du code civil pris en leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 1134-5 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

6. L'arrêt a relevé que ce n'est qu'au terme de l'enquête à laquelle a procédé l'inspection du travail, saisie par le salarié en 2013, qui a notamment analysé les appréciations portées dans les comptes rendus des entretiens d'évaluation du salarié au regard des objectifs assignés et du temps réel travaillé par celui-ci et les conséquences en termes d'évolution de carrière, dont les résultats lui ont été communiqués le 30 avril 2014, qu'ont pu être recueillis l'ensemble des éléments permettant de caractériser l'existence d'une discrimination syndicale. Il a pu en déduire que c'est à cette date que se situait la révélation de la discrimination.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor et la condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Côtes d'Armor

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit l'action de Monsieur [O] non prescrite, d'AVOIR condamné la CRCAM des Côtes d'Armor à lui payer la somme de 80.000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, et d'AVOIR condamné la CRCAM des Côtes d'Armor à payer à Monsieur [O] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « la loi nº 2008-561 du 17 juin 2008 a aménagé le régime des actions en réparation des discriminations dans l'article L. 1134-5 du code du travail dans les termes suivants : « 'L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel. Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée' ». Avant l'entrée en vigueur de cette loi, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination était soumise à la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction alors applicable. Par ailleurs, selon l'article 26 II de la loi susvisée, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. La révélation de la discrimination, qui constitue le point de départ de la prescription, s'entend du moment où l'intéressé aura eu connaissance effective de tous les éléments lui permettant d'exercer son droit, c'est-à-dire lorsqu'il aura eu entre les mains l'ensemble des documents permettant de mettre en évidence la discrimination alléguée. Monsieur [O] a saisi l'Inspection du Travail en 2013 en faisant état de fortes présomptions de discrimination syndicale le concernant, basées, notamment, sur l'évolution de carrière, jusqu'à cette date, d'autres salariés embauchés comme lui en 1976 ou en 1977. L'Inspection a procédé à une enquête, sollicité divers documents auprès de l'employeur, analysé les pièces produites, notamment les appréciations portées dans les compte rendus des entretiens d'évaluation du salarié au regard des objectifs assignés et du temps réel travaillé par Monsieur [O], et les conséquences en termes d'évolution de carrière, puis a adressé sa réponse à ce dernier le 30 avril 2014,en indiquant que les éléments en sa possession caractérisaient l'existence d'une discrimination syndicale. L'analyse faite par l'Inspection du Travail des informations portées à sa connaissance par le salarié en juillet 2013 et par l'employeur au cours de l'enquête, constituait le point final du dossier entre les mains du salarié. Il s'ensuit que l'action n'est pas prescrite » ;

ET AUX MOTIFS QUE « au soutien de sa demande tendant à voir reconnaître qu'il a été victime de discrimination syndicale, Monsieur [O] fait valoir :- son niveau de classification resté inchangé depuis son embauche en 1976, l'absence de promotion, et ses demandes de postes refusées ; - son déroulement de carrière, comparé à celui d'autres salariés placés dans la même situation que lui lors de l'embauche, à diplôme inférieur ou équivalent, - le nombre peu important des augmentations individuelles et les circonstances dans lesquelles elles sont intervenues, - les mentions de ses absences dues à ses mandats portées dans les comptes-rendus d'entretien d'évaluation,- les refus de mobilité qui lui ont été opposés par l'employeur de 1978 à 2011. Embauché en 1976 comme guichetier catégorie 1, Monsieur [O] est passé en catégorie 3 en 1985, puis en classe 1 catégorie C avec la nouvelle nomenclature mise en place en 1988 ; sa classification est demeurée inchangée depuis cette époque. Il ressort également des pièces du dossier que, depuis son embauche en 1976, le salarié n'a bénéficié, en dehors des revalorisations conventionnelles imposées, que de trois attributions de points individuelles, une première fois en 1990, puis en 1994 et 2001 ; deux de ces augmentations sont intervenues pendant la période où il avait mis un terme à ses activités syndicales (entre 1989 et 1997). - Une vingtaine de collègues de Monsieur [O], embauchés comme lui en 1976, ou en 1977, dont Monsieur [O] soutient sans être contredit qu'ils étaient moins diplômés que lui ou avaient un diplôme équivalent et qu'ils étaient classés à l'embauche au même niveau que lui, relevaient, en 2013, des positions 5, 6, 7, 8, 9, 11 ou 12, alors que l'appelant était toujours classé en position 4 à cette époque ; certains d'entre eux ont acquis le statut de cadre, d'autres celui d'agent de maîtrise, alors qu'il était encore classé comme employé en 2014. Par ailleurs, il est constant que plusieurs compte rendu d'entretiens d'évaluation entre 1998 et 2006 mentionnent expressément les activités syndicales de Monsieur [O], dont il convient de rappeler qu'il les avait reprises à compter de 1997 après les avoir arrêtées en 1989 ; - pour l'année 1997 : il est indiqué par la hiérarchie que les résultats de Monsieur [O] sont inférieurs aux objectifs « compte tenu des CRE », et que « l'année a été marquée par 6 semaines d'absence pour maladie et 1 mois œ sans saisie de CRE (grève ) » (entretien du 25 janvier 1998) ; - pour l'année 2001 : il est indiqué, au titre des « faits marquants de l'année » (entretien du 12 février 2002) : » mandat de représentation syndicale dans deux instances : CHSCT juin 2001-CE nov 2001 », * « résultats commerciaux sont impactés par l'activité syndicale » ; - pour l'année 2002 : il est encore fait mention des mandats CHSCT et CE du salarié, et il est précisé, sous la rubrique « résultats obtenus » que « l'activité est directement impactée par le mandat syndical-temps de présence 60 % » (entretien du 24 janvier 2003) ; - pour l'année 2003, la hiérarchie a annexé une note manuscrite comportant un calcul des heures de mandat mis en rapport avec son temps de travail au sein de l'entreprise, se concluant ainsi : « pour 19 jours de présence possible en Août (...), il aura été absent 6,5 jours pour 54h30 ! », « pour le mois de septembre (?) soit 11 jours d'absence sur 20 jours ouvrables, soit 88 heures 45, soit 45 % du temps de travail sur les 2 mois. Nous sommes bien loin des temps annoncés ! Je souhaiterai connaître votre avis sur ces décomptes pour savoir précisément quels sont ses droits » (entretien du 10 mars 2004) ; - pour l'année 2004, le compte rendu du 16 février 2005 déplore une contribution du salarié « limitée » au « PAC Agence », compte tenu « d'absences fréquentes »; il y est mentionné que « les objectifs sont loin d'être atteints »; un document manuscrit du supérieur hiérarchique accompagne l'évaluation et énumère les mandats exercés par Monsieur [O] (entretien du 16 février 2005) ; - pour l'année 2005, le compte rendu du 1er mars 2006 fait encore référence aux absences de Monsieur [O] ; - pour l'année 2006, le compte rendu du 11 avril 2007 indique que la 'contribution de Monsieur [O] à la réalisation du « 'PAC Agence n'a pas été à la hauteur de ce que l'on est en droit d'attendre d'un agent expérimenté ; le suivi d'un portefeuille doit être organisé (prise de RV, relances, etc), ce que [P] n'est pas toujours en mesure de faire (absences) »; là encore, les absences de Monsieur [O] sont mises en relation avec le travail accompli par le salarié ; - les compte rendus pour 2010 et 2011 évoquent les temps de présence du salarié, estimés à 50 % pour 2010 et à 30 % pour 2011. Il ressort en outre des pièces versées aux débats que Monsieur [O] a vu ses candidatures aux postes suivants refusées, sans motif alors énoncé': - en janvier 1978 : démarcheur à [Localité 7], - en mars 1978 : guichetier à [Localité 3] et à [Localité 5], - en avril 1978 : agent du service opérations bancaires - en mai 1979 : acceptation candidature comme guichetier à [S]), - en 1987 : licence AES), - en mars 1989 : moniteur TP financier au service formation, - en novembre 1996 : conseiller des professionnels à [Localité 6], - en juin 1998 : conseiller des professionnels à [S] et [R], - en juillet 1998 : brevet supérieur du Crédit Agricole), - en septembre 1998 : mutation à [Localité 2]), - en janvier 1999 : agent commercial très qualifié à [Localité 6], - en décembre 1999 : affectation comme agent commercial très qualifié à [S]), - en avril 2000 : agent commercial très qualifié à [Localité 5], - en février 2008 : affectation comme agent commercial très qualifié à [Localité 6]), - en octobre 2011 : coordinateur de gestion de valeurs, -en janvier 2012 : responsable d'unité de gestion des valeurs, - fin janvier 2012 : affectation comme gestionnaire de valeurs itinérant sur le secteur de [Localité 5]) en mars 2013 : responsable d'unité de gestion des valeurs (refus cette fois-ci motivé au regard des compétences requises). Enfin, Monsieur [O] verse aux débats la lettre de l'Inspection du Travail du 30 avril 2014, retenant l'absence de pondération des objectifs assignés au salarié au regard de son temps de présence effectif, estimé par exemple à 40 % environ par d'évaluateur lui-même dans le compte rendu d'entretien pour 2006, la connaissance qu'avait la CRCAM de ce que son temps de présence rendait impossible l'atteinte de ces objectifs, et le caractère dès lors infondé des appréciations négatives portées par la Direction dans les comptes rendus d'entretiens d'évaluation du salarié. Monsieur [O] présente ainsi des faits laissant présumer l'existence d'une discrimination syndicale. Or, force est de constater que les appréciations négatives portées lors des évaluations annuelles du salarié en lien avec son temps de travail au sein de l'entreprise et ses activités syndicales, n'ont aucune explication objective étrangère à toute discrimination, alors que c'est précisément la fixation d'objectifs déconnectés du temps de présence de Monsieur [O] dans l'entreprise qui rendait lesdits objectifs impossibles à respecter comme souligné par l'Inspection du Travail elle-même au terme d'une analyse non utilement contredite par l'employeur. C'est en vain, au surplus, que l'employeur se prévaut de l'absence de motivation professionnelle de Monsieur [O] pour expliquer que celui-ci est resté au même niveau de classification pendant trente ans, alors que le salarié, déjà titulaire du baccalauréat à son embauche, a obtenu deux autres diplômes en 1987 et 1998, ce dernier en interne, montrant ainsi son investissement, du reste reconnu par son supérieur lorsqu'il préparait le CETCA, en 1994 notamment, et qu'il assurait parfaitement le remplacement de collègues absents avec une totale autonomie de gestion de portefeuilles de clients obtenue grâce à une formation de prêts habitat ( cf entretien pour 1994)'; cette satisfaction s'est du reste poursuivie les années suivantes, puisqu'il était encore noté dans le compte rendu du 28 décembre 1996, que le salarié avait contribué efficacement aux bons résultats enregistrés par l'agence notamment dans le domaine des prêts habitat; en revanche, c'est bien à compter de l'année 1997, date à laquelle Monsieur [O] a repris ses activités syndicales, que les compte rendus d'entretien ont commencé à comporter des appréciations négatives en mettant l'accent sur le fait que le salarié n'atteignait pas ses objectifs et en faisant le lien avec ses activités syndicales. C'est encore en vain que l'employeur soutient que certaines des formations de Monsieur [O] étaient sans lien avec son poste (cf licence AES), alors qu'il avait expressément donné son accord à cette formation entreprise dans le cadre d'un congé formation et dont il sera noté qu'elle comporte en enseignement en droit, en économie et en gestion ; par ailleurs, une formation universitaire sans lien apparent avec l'activité bancaire n'a pas représenté pour la CRCAM un obstacle au recrutement de salariés comme en témoignent les embauches de personnes titulaires de BTS de tourisme, d'une licence de droit des personnes vulnérables, d'une maîtrise de biologie cellulaire, etc. C'est également en vain que l'employeur reproche à Monsieur [O] de postuler à des postes de catégorie 6 alors qu'il relève de la catégorie 4 ; il ressort en effet d'un rapport Ipso Facto concernant la situation des effectifs de la CRCAM des Côtes d'Armor produit aux débats par le salarié que depuis la mise en place de la nouvelle organisation en 2011, la classification en catégorie 5 (Position Conventionnelle Emploi 5) a été utilisée comme une pesée de poste, alors qu'auparavant, l'accès à cette catégorie passait par une reconnaissance d'expertise; le taux de promotion constaté à l'occasion de cette nouvelle organisation concernait ainsi 159 salariés sur les 256 classés en PCE 4,soit un taux de 62 %'; les salariés classés en PCE 4 souhaitant désormais évoluer dans l'entreprise devaient donc postuler en catégorie 6,ce qui a été le cas de Monsieur [O] en 2011; la marginalisation de la PCE 4 étant destinée à se poursuivre comme l'indiquait la CRCAM, le désir d'évoluer manifesté par Monsieur [O] est d'autant moins critiquable. Au 31 décembre 2013, 87 salariés étaient classés comme Monsieur [O] en PCE 4 et PCP 4 (Position Conventionnelle Personnelle), alors qu'ils étaient par exemple 175 en PCE 5 et PCP 5, et 205 en PCE 6 et PCP 6 ; or, l'employeur ne fournit pas de données sur la composition de ces différents groupes permettant de justifier le maintien de Monsieur [O] dans la catégorie la moins élevée au regard des autres salariés concernés. Force est par ailleurs de constater que le panel de conseillers professionnels en poste en 2015 (poste visé par Monsieur [O]) communiqué par l'employeur, n'est pas pertinent dès lors que les salariés cités n'ont pas été embauchés à la même époque que Monsieur [O]. La même observation s'impose en ce qui concerne le tableau des salariés ayant travaillé sur les agences de [S] et de [Localité 6]. Faute pour l'employeur de démontrer que la situation telle qu'elle ressort de l'exposé ci-dessus était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [O] de ses demandes fondées sur l'existence d'une discrimination. Monsieur [O] évalue son préjudice à la somme de 430 939 € sur la base d'un poste de directeur d'agence en appliquant le différentiel de rémunération aux 37 ans écoulés depuis son embauche. Or, non seulement le salarié n'a jamais prétendu qu'il pouvait dès l'embauche prétendre au poste de directeur d'agence, mais rien, de plus, ne permet de penser qu'il aurait pu obtenir ce poste au cours de sa carrière, étant observé qu'aucun des salariés auxquels il se compare n'a occupé ce poste. Il n'en demeure pas moins que la discrimination dont il a été victime s'est de fait traduite par une stagnation professionnelle générant un préjudice tant moral que matériel, que la cour évalue, au vu des éléments de la cause, à 80 000 €. La CRCAM sera par conséquent condamnée au versement de la somme de 80 000 € à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt » ;

1/ ALORS QUE selon l'article L. 1134-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation de la discrimination, qui constitue le point de départ de la prescription, s'entend du moment où le salarié dispose des éléments de faits suffisants pour laisser supposer l'existence d'une discrimination au sens de l'article L. 1134-1 du code du travail ; qu'à l'appui de sa discrimination Monsieur [O] invoquait des événements très anciens, à savoir des refus de mutation interne dès 1978, une stagnation de sa carrière depuis 1988, un blocage de son salaire depuis 2001 et la délivrance de comptes-rendus irréguliers de 1998 à 2006 ; que pour décider néanmoins que l'action de Monsieur [O] n'était pas prescrite au jour de la saisine du conseil de prud'hommes le 22 janvier 2014, la cour d'appel a retenu que l'analyse faite le 30 avril 2014 par l'inspection du travail des informations portées à sa connaissance « constituait le point final du dossier entre les mains du salarié » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la CRCAM des Côtes d'Armor au soutien de son moyen tiré de la prescription de l'action du salarié, ce dernier n'avait pas eu connaissance avant le 22 janvier 2009 -soit au-delà du délai de prescription quinquennale- d'éléments permettant de laisser supposer et ainsi de révéler la discrimination alléguée et en conséquence d'exercer son droit devant la justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1134-1, L. 1134-5 et L. 2141-5 du code du travail pris en leur version applicable au litige ;

2/ ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'il résulte de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, que l'action en réparation du préjudice résultant de faits de discrimination se prescrit par cinq ans ; que la prescription interdit la prise en compte de faits de discrimination couverts par elle ; que dès lors en se fondant, sur des refus de mutation interne dès 1978, une stagnation de sa carrière depuis 1988, un blocage de son salaire depuis 2001 et la délivrance de comptes-rendus irréguliers de 1998 à 2006 -soit sur des faits antérieurs de plus de cinq années à la saisine du conseil de prud'hommes (c'est-à-dire antérieurs au 22 janvier 2009)- pour déduire la discrimination, cependant que ces faits étaient couverts par la prescription quinquennale et ne pouvaient plus être invoqués à l'appui des demandes du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 1134-1, L. 1134-5 et L. 2141-5 du code du travail et 2224 du code civil pris en leur version applicable au litige.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la CRCAM des Côtes d'Armor à payer à Monsieur [O] la somme de 80.000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, et d'AVOIR condamné la CRCAM des Côtes d'Armor à payer à Monsieur [O] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS énoncés au premier moyen de cassation ;

1. ALORS QU'en présence d'éléments de nature à étayer l'existence d'une discrimination syndicale, l'employeur reste en mesure d'établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et il appartient au juge de prendre en considération ces éléments ; que pour justifier que le déroulement de carrière du salarié n'avait pas été affecté par une différence de traitement discriminatoire, la CRCAM des Côtes d'Armor produisait des éléments montrant que parmi l'intégralité des salariés engagés en 1976 et 1977, 72 d'entre eux occupaient la qualification d'assistant au 31 décembre 2011, soit près de 40 % de l'ensemble des salariés concernés, et que dans cette même catégorie, sur ceux ayant quitté l'entreprise en 2012 et 2013 pour cause de départ en retraite, 16 salariés avaient la même classification conventionnelle que Monsieur [O], soit plus de la moitié de la population concernée (conclusions p. 41 § 10, pièce 45) ; qu'en retenant que la discrimination syndicale était établie sans prendre en compte ces explications déterminantes ni les justificatifs correspondants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

2. ALORS QUE pour établir l'absence de différence de traitement discriminatoire la CRCAM des Côtes d'Armor produisait une pièce montrant que sur l'ensemble des salariés toujours en fonction et ayant une ancienneté identique à celle de Monsieur [O] -c'est-à-dire les salariés embauchés entre 1976 et 1977- 14 d'entre eux étaient assistants au 6 janvier 2015, ce qui correspondait à plus de 40 % des salariés concernés (conclusions p. 50 § 8, pièce d'appel n° 64) ; que pour écarter ce moyen la cour d'appel a retenu que le panel de conseillers professionnels en poste en 2015 communiqué par l'employeur n'était pas pertinent dès lors que les salariés cités n'avaient pas été embauchés à la même époque que Monsieur [O] ; qu'en statuant ainsi, cependant que la liste des salariés en fonction au 6 janvier 2015 produite par la CRCAM des Côtes d'Armor (pièce d'appel n° 64) fait état du panel de conseillers professionnels en poste en 2015 et porte précisément sur le personnel engagé à la même époque que Monsieur [O] dans les années 1976 et 1977, la cour d'appel a dénaturé la pièce susvisée en violation du principe interdisant aux juges de dénaturer les pièces qu'il examine ;

3. ALORS QU'en matière de discrimination, la comparaison opérée entre salariés quant au déroulement de leur carrière doit être faite avec des salariés engagés dans des conditions comparables de diplôme, d'ancienneté et de qualification et à une date voisine ; que l'existence d'une différence de traitement en termes d'évolution de carrière s'apprécie par rapport aux salariés de fonctions identiques ou similaires, de même niveau et avec une même maîtrise de leur poste au regard des fonctions qu'ils ont précédemment occupées ; que, pour déduire la discrimination, la cour d'appel a retenu qu'une vingtaine de salariés engagés comme Monsieur [O] en 1976 ou 1977 avaient des niveaux de classification 5 ou plus en 2013, alors que Monsieur [O] disposait de la position 4 et qu'au 31 décembre 2013 une importante proportion de l'effectif global de la société disposait de niveaux de qualification professionnelle supérieur ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si les salariés en cause, auxquels se comparait Monsieur [O], avaient été engagés dans des conditions comparables de diplôme, d'ancienneté et de qualification et à une date voisine, et s'ils disposaient de fonctions identiques ou similaires, de même niveau et avec une même maîtrise de leur poste au regard des fonctions qu'ils avaient précédemment occupées au cours de leur carrière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

4. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le principe de l'égalité des armes, découlant du droit à un procès équitable implique que chaque partie ait une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en se fondant sur des refus de candidature de poste en janvier, mars et avril 1978, soit près de quarante ans auparavant, pour considérer que le salarié étayait l'existence d'une discrimination, cependant qu'il était impossible pour l'employeur de venir justifier après un tel délai les raisons ayant expliqué le refus de candidature du salarié à cette époque, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé, en violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20-10140
Date de la décision : 05/01/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 25 septembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 05 jan. 2022, pourvoi n°20-10140


Composition du Tribunal
Président : M. Rinuy (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.10140
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