LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 décembre 2021
Cassation partielle
M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 879 F-D
Pourvoi n° R 20-14.400
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 DÉCEMBRE 2021
1°/ la société Holding Damar, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ Mme [Y] [I], épouse [V], domiciliée [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° R 20-14.400 contre l'arrêt rendu le 7 janvier 2020 par la cour d'appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige les opposant à la société Fidexpertise - Fiduciaire nationale d'expertise comptable, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société AJ Consulting, défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Holding Damar et de Mme [V], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Fidexpertise - Fiduciaire nationale d'expertise comptable, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 7 janvier 2020), le 28 janvier 2013, la société AJ Consulting, aux droits de laquelle vient la société Fidexpertise, a établi un compte prévisionnel pour les années 2013, 2014 et 2015 de la société Hôtel de l'Europe, à la demande de Mme [V], dans l'optique de l'acquisition de cette société par une société holding créée à cet effet. Le 15 avril 2013, la société Holding Damar, ayant pour gérant Mme [V], a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés. Le 23 avril 2013, elle a acquis la totalité du capital social de la société Hôtel de l'Europe. Les sociétés Holding Damar et Hôtel de l'Europe ont fait l'objet d'une procédure de sauvegarde le 4 février 2015, la période d'observation ayant été fixée à six mois, puis renouvelée pour la même durée le 29 juillet 2015. Estimant que la société AJ Consulting avait manqué à ses obligations lors de l'établissement de l'étude préalable au rachat de l'Hôtel de l'Europe, la société Holding Damar et Mme [V] l'ont assignée en responsabilité.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Holding Damar et Mme [V] font grief à l'arrêt de rejeter la demande tendant à condamner la société Fidexpertise à payer à la société Holding Damar une certaine somme en réparation du préjudice tiré d'une perte de chance de ne pas acquérir les titres de la société Hôtel de l'Europe, alors « que les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'à ce titre, il leur appartient, dès lors qu'ils décident de relever un moyen d'office, d'inviter au préalable les parties à formuler leurs observations ; qu'en l'espèce, en retenant que la société Holding Damar ne pouvait se fonder sur les textes relatifs à la responsabilité contractuelle dès lors qu'elle n'était pas encore immatriculée au jour du rapport comptable litigieux, les juges ont relevé un moyen d'office ; qu'en s'abstenant de solliciter les observations préalables des parties sur ce moyen qui n'était pas dans la cause, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
4. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
5. Pour rejeter la demande d'indemnisation formée par la société Holding Damar contre la société Fidexpertise, fondée sur la responsabilité contractuelle, l'arrêt constate que la société demanderesse a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 15 avril 2013, soit postérieurement au 28 janvier 2013, date de l'accomplissement de la prestation d'expertise comptable réalisée par la société AJ Consulting à la demande de Mme [V], et en déduit qu'aucun lien contractuel n'existe entre la société Holding Damar et la société Fidexpertise venant aux droits de la société AJ Consulting.
6. En statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen pris de l'inexistence du contrat conclu entre la société Holding Damar et la société d'expertise comptable, dont aucune des parties ne contestait l'existence, qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement en toutes ses dispositions, il rejette la demande formée par Mme [V] au titre du préjudice moral, l'arrêt rendu le 7 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne la société Fidexpertise - Fiduciaire nationale d'expertise comptable aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fidexpertise - Fiduciaire nationale d'expertise comptable et la condamne à payer à Mme [V] et la société Holding Damar la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Holding Damar et Mme [V].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté la demande tendant à voir condamner la société FIDEXPERTISE à payer à la société HOLDING DAMAR une somme de 760.000 euros en réparation du préjudice tiré d'une perte de chance de ne pas acquérir les titres de la société Hôtel de l'Europe ;
AUX MOTIFS SUBSTITUÉS QUE « Sur la demande d'indemnisation présentée par la société Holding Damar
La demande d'indemnisation présentée par la société Holding Damar en vue d'obtenir la condamnation de la société Fidexpertise est fondée sur la responsabilité contractuelle de la société d'expertise comptable puisque présentée au visa des articles 1147, 1150 et 1151 anciens du code civil.
Il apparaît cependant que la société Holding Damar a été immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de La Rochelle le 15 avril 2013 soit postérieurement au 28 janvier 2013, date de l'accomplissement de la prestation d'expertise comptable réalisée par la société AJ Consulting à la demande de Mme [V].
Il n'existe donc aucun lien contractuel entre la société Holding Damar et la société Fidexpertise venant aux droits de la société AJ consulting et, dans ces conditions, la première n'est pas fondée à solliciter la condamnation de la seconde sur ce fondement juridique.
La décision des premiers juges qui l'a déboutée de sa demande sera donc confirmée par substitution de motifs » (arrêt, p. 4) ;
ALORS QUE, premièrement, les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'à ce titre, il leur appartient, dès lors qu'ils décident de relever un moyen d'office, d'inviter au préalable les parties à formuler leurs observations ; qu'en l'espèce, en retenant que la société HOLDING DAMAR ne pouvait se fonder sur les textes relatifs à la responsabilité contractuelle dès lors qu'elle n'était pas encore immatriculée au jour du rapport comptable litigieux, les juges ont relevé un moyen d'office ; qu'en s'abstenant de solliciter les observations préalables des parties sur ce moyen qui n'était pas dans la cause, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS QUE, deuxièmement, l'objet du litige est déterminé par les prétentions et les moyens des parties, et le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; qu'en l'espèce, pour juger que le fondement contractuel n'était pas disponible, la cour d'appel a retenu que, à la date de la remise du rapport comptable litigieux, la société HOLDING DAMAR n'était pas encore immatriculée ; que ce faisant, la cour d'appel s'est fondée sur un élément de fait qui n'était invoqué par aucune des parties au litige, et qui n'était par conséquent pas dans le débat ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation des articles 4 et 7 du code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, troisièmement, et subsidiairement, le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l'égard d'un tiers au contrat lorsqu'il lui cause un dommage ; qu'en opposant en l'espèce qu'il n'existait aucun lien contractuel entre la société HOLDING DAMAR et la société FIDEXPERTISE, venant aux droits et obligations de la société AJ CONSULTING, pour dénier à la première tout droit à indemnisation sur le fondement de ce contrat, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 anciens du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté la demande tendant à voir condamner la société FIDEXPERTISE à payer à Mme [V] une somme de 30.000 euros en réparation du son préjudice moral ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la demande d'indemnisation présentée par Mme [V] :
Mme [V] sollicite l'indemnisation d 'un préjudice moral caractérisé par le fait qu'elle a dû faire face à une procédure de sauvegarde de justice en 2015, qu'elle n'a tiré aucune rémunération de l'exploitation de son hôtel et qu'elle a dû donner le change aux clients sans montrer la lassitude d'un travail accompli sans contrepartie.
La SARL Hôtel de l'Europe et sa société mère, la SARL Holding Damar, ont toutes deux fait l'objet d'une procédure de sauvegarde de justice ouverte le 4 février 2015. La période d'observation d'une durée de six mois a été renouvelée une fois. Il n'est versé aucun élément concernant la suite donnée à ces procédures et il n'a jamais été allégué par Mme [V] que les deux sociétés ont ensuite fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ou encore de liquidation judiciaire.
Il est d'ailleurs symptomatique de constater que les derniers comptes versés aux débats sont ceux arrêtés au 30 juin 2014, soit à l'issue de la première année d'exercice par le nouveau propriétaire.
Les résultats financiers de la SARL Hôtel de l'Europe et de la SARL Holding Damar se sont donc nécessairement améliorés et Mme [V] n'a pas cédé les parts qu'elle détient dans la société Holding. Il n'est pas allégué qu'elle cherche à s'en séparer.
S'il est incontestable que la SARL Hôtel de l'Europe n'a pas obtenu les résultats financiers escomptés au cours de l'exercice 2013-2014, il apparaît cependant que Mme [V] n'a produit ni les comptes des exercices postérieurs, ni ses avis d'imposition de sorte qu'il n'est pas établi qu'elle a effectivement été privée de revenus, étant précisé qu'il apparaît dans l'analyse comptable effectuée par M. [D], expert-comptable de la société EQUAD, qu'elle disposait d'un appartement dans l'hôtel, ce qui constitue une contrepartie en nature.
Par ailleurs, les mauvais résultats financiers des deux sociétés ayant conduit à leur placement sous sauvegarde de justice ont nécessairement créé des soucis à Mme [V], ce qui caractérise ainsi l'existence d'un préjudice moral.
Toutefois, les circonstances ayant conduit l'hôtel à enregistrer de moins bons résultats que ceux attendus en 2014 sont inconnus, sauf à constater qu'en avril 2014, Mme [V] a demandé à son expert-comptable d'établir un prévisionnel en tenant compte d'une activité supplémentaire (SPA/Jacuzzi), du recrutement d'un salarié à temps partiel et d'un autre en contrat de formation et de la réalisation de travaux de rénovation pour un montant de 136 681 € TTC (courrier électronique du 15 avril 2014). Ces éléments nouveaux ont nécessairement eu une répercussion sur les résultats financiers de l'exercice et ils sont le signe, soit d'une mauvaise analyse de la situation de l'hôtel au moment de son rachat, soit de la volonté de faire évoluer le niveau des prestations de l'hôtel alors même qu'il avait acquis sa troisième étoile en 2011, soit deux ans avant la cession.
Dans tous les cas, il ne peut être reproché à la société d'expertise comptable de ne pas avoir retenu dans son prévisionnel des travaux d'une telle ampleur alors que Mme [V] avait la responsabilité d'évaluer directement ou avec I ' aide d 'un professionnel qualifié l'état du bâtiment, de rechercher s'il y avait à court ou moyen terme des besoins d'investissement immobilier et de fournir des informations en ce sens à son expert-comptable, professionnel du chiffre, qui n'avait pas à rechercher si l'état du bâtiment nécessitait ou non des travaux de rénovation, ce qu'elle n'a pas fait.
De même, il ne peut être reproché à l'expert-comptable les conséquences financières liées à l'adjonction d'une activité supplémentaire de SPA/Jacuzzi.
Enfin, il résulte du sommaire du compte prévisionnel du 28 janvier 2013 que la société d'expertise comptable a effectué son travail sur la base des données fournies par Mme [V].
Ainsi, il était prévu que le fils de Mme [V] devienne actionnaire minoritaire de la holding et qu'à terme, celui-ci soit embauché. Mme [V] n'a pas précisé sous quel délai, il était envisagé de procéder à son embauche et quel serait le montant de sa rémunération. La seule précision concerne son positionnement sur un poste de gestion et de réception.
Le compte prévisionnel a également été établi sur la base d'un maintien à l'identique des prestations de l'hôtel et du non-retraitement des charges sauf celles de la masse salariale et des intérimaires. Il s'ensuit que sur ce point précis, l'expert-comptable a nécessairement reçu des instructions précises de sa cliente. Mme [V] ne saurait donc lui faire grief d'avoir excessivement minoré les frais de personnels intérimaires alors qu'elle a manifestement exprimé la volonté de minorer ce poste de dépenses qui a fait l'objet d'une analyse spécifique de l'expert-comptable sur la base des instructions reçues.
La minoration des frais généraux (entretien immobilier et petit équipement et fourniture administrative.) de l'ordre de 6 300 € selon l'appelante est infime au regard de l'économie globale de l'opération et elle ne peut avoir eu un caractère déterminant au moment de la prise de décision de procéder au rachat de l'hôtel.
Le chiffre d'affaires retenu par la société expertise comptable pour la première année d'exercice (500 000 €) et sa progression de l'ordre de 2 % lors des deux années suivantes, correspondait aux résultats de l'année n-l et la progression a été revue à la baisse par rapport à celle des années précédentes. La société d'expertise comptable a établi le compte prévisionnel sans y adjoindre le moindre commentaire de nature à attirer l'attention de Mme [V] sur le caractère raisonnable des hypothèses retenues pour son établissement, ce qui constitue un manquement à son devoir de conseil,
Pour autant, si l'on peut admettre que la prudence aurait pu conduire la société d'expertise comptable à retenir un chiffre d'affaires de l'ordre de 450 000 € correspondant au chiffre d'affaires moyen des cinq dernières années, il n'en demeure pas moins que le chiffre d'affaires effectif au 30 juin 2014 était de 405 379 € et que cet écart qui a conduit à l'ouverture d'un plan de sauvegarde n'est pas imputable à la société d'expertise comptable.
L'absence d'évolution du plan sauvegarde vers une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ainsi que la poursuite de son exploitation par Mme [V] démontre que le projet était financièrement viable, de sorte que si la société expertise comptable n'a pas attiré l'attention de sa cliente sur le caractère raisonnable des hypothèses retenues, Mme [V] ne démontre pas que ceci lui a causé un préjudice, étant rappelé les comptes correspondant à la troisième année analysée par la société d'expertise comptable ne sont pas produits.
La décision des premiers juges qui a débouté Mme [V] sera donc également confirmée. » (arrêt, p. 4 à 6) ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société HOLDING DAMAR dirigée par Madame [V], a fait appel au cabinet d'expertise comptable AJ CONSULTING aux droits duquel intervient la société FIDEXPERTISE, pour établir des comptes prévisionnels dans le cadre d'un projet d'acquisition des titres de la SAS HOTEL DE L'EUROPE, que si Madame [V] a démarré son activité au 01/05/2013, elle a rapidement rencontré des difficultés qui l'ont conduite à demander l'ouverture d'une procédure de sauvegarde tant sur la société d'exploitation que sur la holding, qu'estimant que cette situation est le fruit d'un manquement de la part de son expert-comptable, la HOLDING DAMAR et Madame [V] entendent aujourd'hui obtenir la réparation du préjudice par elles subi sur le fondement de l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que sur la question du manquement à son devoir de conseil de la société FIDEXPERTISE, le Tribunal retient que conformément à une jurisprudence constante, l'expert-comptable est tenu d'une obligation de moyens et non de résultats (Cour de Cassation, Chambre commerciale, 02/06/1987, pourvoi n 085-15266), que cette obligation a pour nécessaire corollaire le devoir de coopération et d'information du client, qu'ainsi il a pu être jugé que le client doit, de manière loyale et spontanée, communiquer à son expert-comptable l'ensemble des éléments utiles à l'exécution de sa mission (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 janvier 1995, pourvoi n° 92-17973), que l'obligation de moyens de l'expert-comptable trouve ainsi ses limites dans la carence du client et dans la participation de celui-ci à la production de son dommage, que de surcroît l'expert-comptable n'a vocation à répondre que des fautes ou des manquements commis dans l'exécution de la mission qui lui a été précédemment confiée (arrêt 11/03/2008 de la C.cass, pourvoi n° 07-12158), qu'il n'a donc pas à répondre de fautes commises dans l'accomplissement de diligences qui ne lui appartenaient pas, qu'en l'espèce aucune lettre de mission ou d'instruction spécifique n'est versée aux débats de sorte que la mission de l'expert-comptable revenait à construire un prévisionnel, ce qui a été fait, que l'inexpérience supposée de Madame [V] dans le secteur de l'hôtellerie et de la gestion ne saurait exonérer celle-ci de sa libre responsabilité dans sa décision d'acheter les titres et de faire les emprunts appropriés, d'autant plus qu'elle a pris attache auprès d'autres conseils pour mener à bien son projet, qu'en effet à la lecture des pièces versées au dossier, il en ressort que Madame [V] s'est rapprochée de la société FORUM TRANSACTIONS à Angers afin de négocier l'acquisition des titres de la société HOTEL DE L'EUROPE et de négocier le financement bancaire de l'opération auprès du CREDIT MUTUEL et du CIC, que de surcroît l'évaluation du prix de cession a été confiée au cabinet EXPERTEAM, qu'enfin dans le but de valider l'opération dans sa globalité, Madame [V] s'est attachée les conseils d'un cabinet d'avocats qui a procédé à la rédaction du protocole d'achat des titres par le biais d'une holding dénommée HOLDING DAMAR créée à cette fin, que force est donc de constater que la société AJ CONSULTING n'a jamais pris part dans la détermination du prix, pas plus que dans les négociations ou financements, que par conséquent le Tribunal n'entend pas retenir de manquement de conseil de la part de la société FIDEXPERTISE venant aux droits de la société AJ CONSULTING ;
Attendu que sur la question de la responsabilité civile de la société FIDEXPERTISE venant aux droits de la société AJ CONSULTING, le Tribunal retient que selon les dispositions de l'article 1315 du Code civil « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver », que par conséquent la responsabilité civile d'un expert-comptable ne peut être engagée que s'il y a une faute prouvée, un préjudice à caractère indemnisable et un lien de causalité directe entre la faute alléguée et le préjudice invoqué, qu'ainsi s'agissant :
etgt; De la faute prouvée, la charge de la preuve incombe au demandeur, or force est de constater que ce n'est pas le cas en l'espèce puisque les comptes prévisionnels procèdent par nature d'une analyse prospective fondée sur les hypothèses économiques définies par le chef d'entreprise, que cela explique qu'une jurisprudence constante de la Cour de Cassation ne retienne la faute de l'expertcomptable, dans l'élaboration de comptes prévisionnels, que dans l'hypothèse où ceux-ci se seraient avérés « chimériques » ou « parfaitement irréalistes » (Cass, com, 23/11/2004, pourvoi n° 03-15449), qu'en l'espèce le prévisionnel querellé n'était ni manifestement irréaliste, ni chimérique et a été établi sur la base d'hypothèses de travail définies par Madame [V] et sur la base d'éléments transmis par ses soins, qu'au surplus le prévisionnel établi par l'expert-comptable est appuyé par plusieurs facteurs pertinents et en premier lieu, le fait que le chiffre d'affaires attendu était cohérent avec un taux d'occupation moyen identique à celui des hôtels de même catégorie, que le chiffre d'affaires de L'HOTEL DE L'EUROPE était en progression sur les trois derniers exercices pour atteindre un peu plus de 499 000 euros HT au moment de la vente, jouissant ainsi du passage de l'hôtel depuis peu au grade des trois étoiles, se trouvant ainsi en parfaite état et sans besoin d'investissement immédiat, que pour mémoire les comptes de l'exercice clos au 30/06/2009 font apparaître un chiffre d'affaires de 499 008 euros contre un chiffre d'affaires de 451 746 euros au cours de l'exercice clos au 30/06/2011, soit une progression de 10,64%, que le prévisionnel établi retenant un chiffre d'affaire de 500 000 euros HT la première année suivant la cession n'apparaît donc pas irréaliste puisque ce chiffre correspond à un maintien, presqu'à l'identique, des recettes observées au cours de l'exercice clos précédent, qu'en réalité il apparait clairement que les décisions managériales d'embauches de personnel (non prévues au moment où le prévisionnel a été établi sur la base de 5 personnes dont 3 salariés) et d'investissements (non prévus du fait de la réhabilitation et de l'obtention de la troisième étoile récentes) semblent être les causes des écarts avec le prévisionnel et ont conduit aux problèmes économiques rencontrés par la société HOTEL DE L'EUROPE après sa reprise par Madame [V] sans que cela ne soit aucunement imputable à la société AJ CONSULTING, qu'enfin les différents experts mandatés par Madame [V], puis par la société défenderesse en réponse, se contredisent et n'établissent nullement de façon claire de manquement ou d'erreur manifeste de la part du cabinet d'expertise-comptable, que par conséquent, le Tribunal n'entend pas retenir de faute dans l'établissement du prévisionnel ;
etgt; Du préjudice indemnisable, la HOLDING DAMAR prétend que si elle avait « été correctement conseillée», elle n'aurait pas acquis le fonds litigieux, or le Tribunal entend rappeler qu'il est de jurisprudence constante que le préjudice allégué au titre d'une perte de chance ne peut jamais être égal au montant de l'avantage précisément perdu, qu'au surplus aucun élément sérieux n'étaye l'écart entre le prix d'achat par Madame [V], à savoir 1 420 000 euros et le nouveau prix estimé du bien, à savoir une fourchette établie entre 750 000 et 900 000 euros, qu'à l'évidence la comparaison entre la valorisation du fonds de commerce acquis et de l'emprunt ayant permis de financer partiellement ladite acquisition, démontre l'absence de perte de chance raisonnable de ne pas avoir réalisé l'opération de cession en question, que le Tribunal entend donc dire et juger que la société HOLDING DAMAR ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque ;
etgt; Du préjudice moral invoqué par Madame [V], si celle-ci expose qu'elle a dû « faire face à une demande de sauvegarde en 2015 » et n'a « tiré la rémunération attendue de l'exploitation », force est de constater qu'elle ne produit aux débats aucune pièce justifiant de ses allégations ;
etgt; Du lien de causalité, si les demanderesses soutiennent que la faute qu'elles prêtent au cabinet AJ CONSULTING dans l'élaboration de l'étude prévisionnelle a conduit à l'impossibilité de satisfaire aux échéances bancaires contractées pour financer l'acquisition des titres de la société HOTEL DE L'EUROPE, elles doivent avant toute chose rapporter la preuve que l'étude prévisionnelle a joué un rôle dans la déconfiture de la société HOTEL DE L'EUROPE et donc dans celle de la HOLDING DAMAR, or aucun élément du dossier ne permet de faire un lien de causalité entre le plan de sauvegarde (procédure ouverte le 04/02/2015), les difficultés de remboursement des emprunts et le prévisionnel établi 2 ans auparavant, ce d'autant plus que Madame [V] n'apporte aucune pièce entre fin 2014 et l'assignation de 2017, qu'enfin il n'était pas dans les prérogatives de l'expert-comptable de discuter ni de définir le prix d'achat, que le Tribunal entend donc retenir l'absence de lien de causalité. »
(jugement, p. 4 à 6) ;
ALORS QUE, premièrement, l'expert-comptable qui omet d'avertir son client du caractère irréaliste du chiffre d'affaires sur lequel il fonde ses prévisions financières doit l'indemniser de la perte de chance de n'avoir pas réalisé l'opération lorsque celle-ci s'est révélée moins favorable qu'escompté ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que la société AJ CONSULTING avait commis un manquement à son obligation d'information et de conseil en n'attirant pas l'attention de Mme [V] sur le caractère irréaliste des hypothèses retenues pour établir son étude provisionnelle du résultat d'exploitation de l'Hôtel de l'Europe, dès lors que la prudence aurait commandé de retenir un chiffre d'affaires prévisionnel de 450.000 euros plutôt que de 500.000 euros ; que la cour d'appel a également constaté l'existence d'un préjudice de Mme [V] tenant dans les tourments occasionnés par les mauvais résultats de ses sociétés et de leur placement consécutif sous sauvegarde ; qu'en écartant ensuite tout lien de causalité entre cette faute et ce préjudice au motif que le chiffre d'affaires du premier exercice n'a pas dépassé 405.379 euros et que la réalisation de ce chiffre n'est pas imputable à la société d'expertise comptable, quand Mme [V] soutenait, non pas que la société AJ CONSULTING était à l'origine de son faible chiffre d'affaires, mais que, informée de la probabilité de ne pouvoir réaliser un chiffre d'affaires de 500.000 euros, elle n'aurait pas réalisé cet investissement, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, l'ouverture d'une procédure sauvegarde suppose pour le débiteur de justifier de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter ; qu'elle donne lieu à l'adoption d'un plan de sauvegarde destiné à réorganiser le fonctionnement de l'entreprise et à permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ; qu'en opposant que l'absence d'évolution de la procédure de sauvegarde vers un redressement ou une liquidation judiciaire démontre que le projet était économiquement viable dès son origine, la cour d'appel a méconnu tant la cause que l'objet de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, en violation de l'article L. 620-1 du code de commerce.