LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 décembre 2021
Cassation partielle
M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 890 F-D
Pourvoi n° M 19-23.408
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 DÉCEMBRE 2021
M. [L] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 19-23.408 contre l'arrêt rendu le 23 juillet 2019 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Crédit immobilier de France développement (CIFD), société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits du Crédit immobilier de France Rhône Alpes Auvergne,
2°/ à la société CNP assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], pris tant en son nom que venant aux droits de la société CNP IAM,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fèvre, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [V], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société CNP assurances, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fèvre, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 juillet 2019) et les productions, M. et Mme [V] ont accepté, le 7 août 1997, deux offres de prêts immobiliers émises par la société Crédit immobilier de France Sud Rhône Alpes Auvergne, aux droits de laquelle est venue la société Crédit immobilier de France développement, et la société financière régionale. Ils ont, à cette occasion adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit auprès de la société CNP assurances (la société CNP). Les contrats de prêts ont été ultérieurement transférés au Crédit immobilier de France (la banque).
2. Ayant été victime d'un accident de santé survenu en février en 2002, M. [V] a été placé en arrêt de travail jusqu'à sa mise en invalidité de deuxième catégorie, intervenue le 1er septembre 2003.
3. Le 16 juin 2005, M. [V] a assigné la société CNP pour la voir condamner à mettre en oeuvre la garantie souscrite. Par un arrêt, devenu irrévocable, du 29 septembre 2009, la cour d'appel de Paris a condamné la société CNP à prendre en charge les échéances des deux prêts immobiliers litigieux au titre de la garantie « incapacité totale de travail » depuis le 5 février 2003 jusqu'au 31 août 2003 inclus.
4. Le 2 mai 2012, M. [V] a assigné la banque et la société CNP en paiement, à titre de dommages-intérêts, d'une somme égale aux échéances des prêts non prises en charge par l'assureur depuis le 1er septembre 2003.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite l'action engagée par M. [V] contre la banque
Enoncé du moyen
6. M. [V] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en responsabilité contre la banque, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ; que le dommage résultant d'un manquement au devoir d'information et de conseil dû à l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins et son étendue se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur ; que dès lors en faisant courir en l'espèce la prescription de la date de la souscription du contrat, et non de celle à laquelle le dommage s'était réalisé, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile :
7. Selon ces textes, les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
8. Lorsqu'un emprunteur, ayant adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque prêteuse à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, reproche à cette banque de ne pas l'avoir, en manquant à son devoir d'information, valablement éclairé sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur et d'être responsable de l'absence de prise en charge, par l'assureur, du remboursement du prêt au motif que le risque invoqué n'était pas couvert, le dommage qu'il invoque consiste en la perte de la chance de bénéficier d'une telle prise en charge.
9. Ce dommage se réalisant au moment du refus de garantie opposé par l'assureur, cette date constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée par l'emprunteur.
10. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée contre la banque par M. [V], l'arrêt retient que, ce dernier soutenant qu'il n'a jamais été destinataire des documents relatifs à l'assurance, la prescription a commencé à courir à la date à laquelle l'emprunteur a accepté les offres de prêt après avoir déclaré qu'il avait eu connaissance des documents d'assurance et être resté en possession d'un exemplaire, soit le 7 août 1997, ou au plus tard à la date de la réitération des actes de prêts par acte notarié le 14 octobre 1997, et en déduit que la prescription, était acquise depuis le 7 août 2007, et au plus tard depuis le 14 octobre 2007, date de la réitération des actes de prêts sous la forme authentique, de sorte que l'action intentée le 2 mai 2012 est irrecevable comme étant prescrite.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
12. Il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société CNP assurances, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité de M. [V] contre la société Crédit immobilier de France développement et la société CNP assurance et en ce qu'il condamne M. [V] aux dépens, l'arrêt rendu le 23 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société CNP assurances ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Crédit immobilier de France développement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Crédit immobilier de France développement à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [V].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité de M. [L] [V] à l'encontre du Crédit immobilier de France développement et de la société CNP assurances,
AUX MOTIFS QU'«'[L] [V] soutient en premier lieu que la banque et la société CNP Assurances ont manqué à leur obligation d'information dans le cadre de son adhésion à l'assurance de groupe ; qu'au soutien de son appel incident, le Crédit immobilier de France développement fait valoir que la demande formée par [L] [V] est prescrite ; que, pour la déclarer recevable et statuer sur le fond, le premier juge a retenu que la prescription trentenaire était applicable à la date de souscription des contrats et qu'elle n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur le 19 juin 2008, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ; que le régime de prescription applicable en l'espèce est celui de l'article L. 110-4 du code de commerce qui concerne les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants ; que lorsque le prêt a été contracté en 1997, le délai de prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était de 10 ans ; qu'il a été ramené à 5 ans par la loi du 17 juin 2008 ; qu'[L] [V] soutenant qu'il n'a jamais été destinataire des documents relatifs à l'assurance, la prescription a commencé à courir à la date de réalisation du dommage allégué, soit le 7 août 1997, date à laquelle il a accepté les offres de prêt après avoir déclaré qu'il avait eu connaissance des documents relatifs aux conditions d'assurances et être resté en possession d'un exemplaire, ou au plus tard le 14 octobre 2007 [il faut lire 1997] date de l'acte notarié ; que, compte tenu de ces éléments, la prescription était acquise le 7 août 2007 ou au plus tard le 14 octobre 2007 ; que l'action d'[L] [V] ayant été intentée le 2 mai 2012, elle est irrecevable comme prescrite ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit la demande d'[L] [V] recevable » ;
1°) ALORS QUE la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ; que le dommage résultant d'un manquement au devoir d'information et de conseil dû à l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins et son étendue se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur ; que dès lors en faisant courir en l'espèce la prescription de la date de la souscription du contrat, et non de celle à laquelle le dommage s'était réalisé, la Cour d'appel a violé l'article L.110-4 du code de commerce ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ; que, dans ses écritures d'appel, la société CNP assurances n'a pas soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription, ce que la cour d'appel a d'ailleurs elle-même constaté, en relevant que seule la banque avait au soutien de son appel incident invoqué la prescription de la demande de M. [V] ; qu'en déclarant cependant l'action en responsabilité formée par M. [V] prescrite à l'égard de la société CNP assurances, la cour d'appel a violé l'article 223 devenu 2247 du code civil ;
3°) ALORS, en toute hypothèse, QUE le juge ne saurait méconnaitre les termes du litige ; que, dans ses écritures d'appel, la société CNP assurances n'a pas soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription, ce que la cour d'appel a d'ailleurs elle-même constaté, en relevant que seule la banque avait au soutien de son appel incident invoqué la prescription de la demande de M. [V] ; qu'en déclarant cependant l'action en responsabilité formée par M. [V] prescrite à l'égard de la société CNP assurances, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevables comme prescrite l'action de M. [L] [V] en déchéance des intérêts contractuels,
AUX MOTIFS QUE « (?) [L] [V] soutient en second lieu que l'offre de prêt est irrégulière en ce qu'elle ne mentionne ni le taux de période, ni la durée de la période, ce qui entraîne la déchéance des intérêts au taux contractuel ; qu'il précise en page 29 de ses conclusions qu'il ne conteste pas le taux effectif global ; qu'au soutien de son appel incident, le Crédit immobilier de France développement fait valoir que la demande formée par [L] [V] est prescrite ; qu'ainsi qu'il a été vu précédemment, la prescription applicable est celle de l'article L. 110-4 du code de commerce ; que l'irrégularité invoquée étant immédiatement décelable, le délai de prescription qui était alors de 10 ans, a commencé à courir en 1997 ; que la prescription était acquise en 2007 ; que l'action d'[L] [V] de ce chef est prescrite » ;
ALORS QUE le délai de prescription de l'action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels court du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'irrégularité affectant l'offre de crédit immobilier ; qu'en affirmant que l'irrégularité de l'offre de prêt était immédiatement décelable sans s'expliquer sur les conclusions qui faisaient valoir que M. [V] avait eu connaissance de l'irrégularité dénoncée par une analyse financière réalisée en juillet 2014, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 110-4 du code de commerce ;