LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 novembre 2021
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1065 F-D
Pourvoi n° X 20-18.477
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 NOVEMBRE 2021
La société Chantiers de l'Atlantique, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], anciennement dénommée STX France, a formé le pourvoi n° X 20-18.477 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2020 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre sécurité sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à Mme [Z] [T], domiciliée [Adresse 4],
3°/ à Mme [S] [T] [C], domiciliée [Adresse 1],
4°/ à la société Alstom Shipworks, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Chantiers de l'Atlantique,
5°/ à M. [D] [T], domicilié [Adresse 5],
6°/ au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), dont le siège est [Adresse 7],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Chantiers de l'Atlantique, anciennement dénommée STX France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Chantiers de l'Atlantique, anciennement dénommée STX France, du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les consorts [T], le FIVA et la société Alstom Shipworks anciennement dénommée Chantiers de l'Atlantique.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 juin 2020), la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime (la caisse) a pris en charge, au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, la pathologie déclarée, le 3 mars 2014, par [F] [T] (la victime), salarié de la société STX France (l'employeur), puis son décès survenu le 9 juillet 2014.
3. Contestant l'opposabilité de cette décision de prise en charge, l'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que la décision de prise en charge de la maladie d'origine professionnelle n'est pas opposable au dernier employeur du salarié lorsque le contrat de travail lui a été transféré après la période d'exposition au risque du salarié qui avait pris fin ; qu'en jugeant la décision de prise en charge de la maladie de la victime au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles opposable à la société Chantiers de l'Atlantique par des motifs inopérants et sans avoir recherché si, comme la société le faisait valoir dans ses conclusions d'appel, le salarié n'avait pas cessé d'être exposé au risque depuis au plus tard le 31 décembre 1996, soit bien avant qu'elle ait repris le fonds de commerce, ce dont il résultait que la décision de prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle lui était nécessairement inopposable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 461-1 du code du travail et du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 461-1, R. 441-11 et R. 441-13 du code de la sécurité sociale, ces deux derniers dans leur rédaction applicable au litige, que la prise en charge d'une maladie au titre de la législation professionnelle ne prive pas l'employeur auquel elle est opposable de la possibilité, en démontrant qu'elle n'a pas été contractée à son service, d'en contester l'imputabilité si une faute inexcusable lui est reprochée ou si les cotisations d'accident du travail afférentes à cette maladie sont inscrites sur son compte.
6. Ayant constaté que la faute inexcusable de l'employeur n'était pas recherchée et que le litige ne portait pas, dans le cadre de la tarification, sur le montant des cotisations inscrites à son compte employeur, de sorte que la contestation de l'imputabilité était inopérante, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que seul le cancer du poumon primitif peut être reconnu comme maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles ; qu'en jugeant que la maladie de la victime relevait du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, après avoir constaté qu'aucun des documents médicaux d'origine, ni le certificat médical d'origine, ni le courrier de notification de rente de la caisse ni le compte-rendu du colloque médico-administratif, ne précisaient si le cancer des poumons de la victime aurait été primitif ou secondaire, la cour d'appel, qui a retenu néanmoins la maladie professionnelle au regard de deux scanners hospitaliers ultérieurs, lesquels ne précisaient pas davantage la nature primitive ou secondaire de son cancer, a violé les articles L. 461-1, L. 461-2 du code de la sécurité sociale et le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles. »
Réponse de la Cour
8. Pour rejeter le recours, l'arrêt, après avoir relevé que le libellé de la pathologie mentionnée au certificat médical initial du 27 février 2014 ("adénocarcinome bronchique") est différent de celui figurant au tableau n° 30 bis, que la notification de rente vise une "néoplasie pulmonaire métastasique", que le colloque médico-administratif mentionne, sous la case "libellé complet du syndrome" : "cancer broncho-pulmonaire", sans faire mention du caractère primitif de la pathologie et que la case "conditions médicales réglementaires du tableau remplies" n'est pas renseignée, retient que les intitulés "adénocarcinome bronchique" et "néoplasie pulmonaire" renvoient tous deux au cancer broncho-pulmonaire, dénomination au demeurant également mentionnée dans le certificat médical initial. Il ajoute qu'un cancer "primitif" est un cancer principal ou d'origine et que le caractère "primitif" du cancer broncho-pulmonaire dont la victime était atteinte et dont elle est décédée ressort des éléments médicaux extrinsèques produits aux débats fondant l'avis favorable du médecin-conseil à la prise en charge de cette maladie. Il indique que c'est ainsi que le compte-rendu du TDM du 6 mars 2014 mentionne une indication de "carcinome épidermoïde pulmonaire avec métas cérébrales et osseuses", que le compte-rendu du scanner thoraco-abdomino-pelvien du 19 mai 2014, mentionnant comme indication "néoplasie pulmonaire. Métastases cérébrales", confirme la stabilité du syndrome tumoral pulmonaire et fait état à la fois de la majoration des localisations secondaires cérébelleuses et de l'apparition de localisations secondaires hépatiques et osseuses, et que le résultat de la scintigraphie osseuse du 22 mai 2014 évoque un "aspect scintigraphique en faveur de localisations osseuses secondaires diffuses". Il en déduit que l'adénocarcinome d'origine broncho-pulmonaire mis en évidence par les examens pratiqués en janvier 2014 a ainsi manifestement développé des métastases corroborant son caractère primitif.
9. De ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus par les parties, dont elle a fait ressortir que la pathologie de la victime était un cancer broncho-pulmonaire primitif au sens du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, la cour d'appel a exactement déduit que la prise en charge de la maladie était opposable à l'employeur.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Chantiers de l'Atlantique, anciennement dénommée STX France, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Chantiers de l'Atlantique, anciennement dénommée STX France, et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Chantiers de l'Atlantique, anciennement dénommée STX France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait jugé opposable à la société STX France, devenue la société Chantiers de l'Atlantique, la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie et du décès de M. [F] [T]
AUX MOTIFS QUE « Sur I 'opposabilité à la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France) de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ;
(?) S'agissant du second moyen tiré de l'absence d'imputabilité à son égard de la maladie déclarée par M. [F] [T], comme l'a rappelé à juste titre le premier juge, la prise en charge d'une maladie au titre de la législation professionnelle ne prive pas l'employeur auquel elle est opposable de la possibilité, en démontrant qu'elle n'a pas été contractée à son service, d'en contester l'imputabilité si une faute inexcusable-lui est reprochée ou si les cotisations d'accident du travail afférentes à cette maladie sont inscrites sur son compte. L'imputabilité, qui est une notion différente de l'opposabilité, ne peut être combattue que dans les conditions précises susmentionnées. La faute inexcusable de la société STX n'étant pas recherchée, en ce qu'aucune demande n'est formulée contre elle de ce chef et le litige ne portant pas davantage, dans le cadre de la tarification, sur le montant des cotisations inscrites à son compte employeur, toute contestation émise sur le terrain de l'imputabilité, à la supposer bien fondée, est inopérante. L'affection déclarée par la victime remplissant les conditions prévues par le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles comme vu supra et l'instruction de la demande ayant été menée contradictoirement à l'égard du dernier employeur, la décision de prise en charge est opposable à la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France). » ;
ALORS QUE la décision de prise en charge de la maladie d'origine professionnelle n'est pas opposable au dernier employeur du salarié lorsque le contrat de travail lui a été transféré après la période d'exposition au risque du salarié qui avait pris fin ; qu'en jugeant la décision de prise en charge de la maladie de M. [T] au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles opposable à la société Chantiers de l'Atlantique par des motifs inopérants et sans avoir recherché si, comme la société le faisait valoir dans ses conclusions d'appel, le salarié n'avait pas cessé d'être exposé au risque depuis au plus tard le 31 décembre 1996, soit bien avant qu'elle ait repris le fonds de commerce, ce dont il résultait que la décision de prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle lui était nécessairement inopposable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 461-1 du code du travail et du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait jugé opposable à la société STX France, devenue la société Chantiers de l'Atlantique, la décision de prise en charge par la CPAM de la maladie et du décès de M. [F] [T] au titre de la législation professionnelle ;
AUX MOTIFS QUE l'affection déclarée par la victime remplissant les conditions prévues par le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles comme on l'a vu supra et l'instruction de la demande ayant été menée contradictoirement à l'égard du dernier employeur la décision de prise en charge est opposable à la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France).
ALORS QUE seul le cancer du poumon primitif peut être reconnu comme maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles ; qu'en jugeant que la maladie de M. [T] relevait du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, après avoir constaté qu'aucun des documents médicaux d'origine, ni le certificat médical d'origine, ni le courrier de notification de rente de la CPAM, ni le compte-rendu du colloque médico-administratif, ne précisaient si le cancer des poumons de M. [T] aurait été primitif ou secondaire, la cour d'appel qui a retenu néanmoins la maladie professionnelle au regard de deux scanners hospitaliers ultérieurs, lesquels ne précisaient pas davantage la nature primitive ou secondaire de son cancer, a violé les articles L. 461-1, L. 461-2 du code de la sécurité sociale et le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.