LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 3 novembre 2021
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 665 F-D
Pourvoi n° W 20-13.508
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme [P].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 août 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 3 NOVEMBRE 2021
M. [J] [O], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 20-13.508 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2019 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre de la famille), dans le litige l'opposant à Mme [T] [P], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [O], de la SCP Krivine et Viaud, avocat de Mme [P], après débats en l'audience publique du 14 septembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 23 janvier 2019), un jugement a prononcé le divorce de M. [O] et de Mme [P], mariés sans contrat préalable.
2. Des difficultés s'étant élevées à l'occasion de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, M. [O] a assigné Mme [P] en partage.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [O] fait grief à l'arrêt de dire que le passif de l'indivision post-communautaire est constitué de la récompense due à Mme [P] au titre des deniers propres dont la communauté a tiré profit pour la somme de 66 827,43 euros, alors « qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que M. [O] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que le jugement entrepris devait être "infirmé en ce qu'il retient que la communauté doit récompense à Mme d'une somme de 66 827, 43 euros dès lors que Mme [P] ne rapporte nullement la preuve du caractère propre des sommes versées sur le compte commun des époux" et que "s'agissant de cette somme, une partie seulement a bien été utilisée pour financer le bien immobilier, pour un montant de 41 529 euros" ; qu'en considérant que M. [O] n'aurait pas contesté la récompense prétendument due à Mme [P], la cour d'appel a dénaturé les conclusions de ce dernier, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis, ensemble l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour dire que doit figurer au passif de l'indivision post-communautaire une récompense d'un montant de 66 827,43 euros due à Mme [P] au titre du financement de l'immeuble commun ayant constitué le domicilie conjugal, l'arrêt relève que M. [O] n'a pas contesté cette récompense.
6. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions, M. [O] soutenait que la preuve du caractère propre à Mme [P] des fonds investis n'était pas rapportée, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le passif de l'indivision post-communautaire est constitué de la récompense due à Mme [P] au titre des deniers propres dont la communauté a tiré profit pour la somme de 66 827,43 euros, l'arrêt rendu le 23 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée ;
Condamne Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que figurait à l'actif de l'indivision post-communautaire les meubles évalués à la somme de 68.630, 38 euros ;
aux motifs que « Sur la valeur des biens meubles : Il sera observé que l'appelant verse de nombreuses pièces qui ne sont pas numérotées. Dès lors afin de respecter le principe du contradictoire ne seront examinées que celles expressément numérotées et qui figurent au bordereau de communication de pièces. Le premier juge avait retenu la somme de 68.630,38 euros, soit l'évaluation faite par Monsieur [O] de la valeur des meubles, et avait considéré que ceux-ci étaient en sa possession. Monsieur soutient que la consistance et la valeur de leur patrimoine mobilier résulte à la fois d'un listing dressé le 29 avril 2002 par le déménageur AGS qui représentait un volume de 62 m3, pour une valeur déclarée de 112.118,63 euros. Il soutient également qu'il faut y ajouter les meubles acquis depuis leur arrivée à la Réunion, et retenir la valeur fixée par expert. Il sera fait observer que dans ses écritures l'appelant ne fait référence à aucune numérotation de pièce quand il invoque l'expertise immobilière. A cet égard, le premier juge lui avait déjà fait observer qu'il ne produisait aucune annexe du PV de difficultés établi par le notaire lequel aurait procédé à l'évaluation des meubles meublants du couple. En cause d'appel, il ne figure aucune annexe au procès-verbal de difficultés comportant 5 pages. L'appelant vise dans ses écritures les pièces 10, 11 et 12 et soutient qu'il s'agit de différentes factures relatives aux acquisitions du couple. La pièce n° 10 concerne l'acquisition le 19 février 1999 du véhicule Chrysler, dont il sera fait état ultérieurement. Quant aux pièces n° 11 et 12, il ne s'agit que d'inventaires d'acquisitions de toute sortes de meubles et objets divers depuis plusieurs années dont on ne sait par qui ils ont été établis, lesquels dès lors ne présentent aucune valeur probante. S'agissant de la pièce n° 13 relative au déménagement effectué par la société AGS, cet élément ne suffit pas à établir la consistance et la valeur du patrimoine mobilier du couple à ce jour. En application de l'article 9 du code de procédure, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Faute pour l'appelant de prouver la consistance et la valeur des biens meubles à ce jour la décision du premier juge sera infirmée sur ce point » ;
alors qu'en ne répondant pas au moyen péremptoire tiré de l'accord de Mme [P] sur la valorisation des biens meubles inclus dans l'actif de l'indivision post-communautaire à hauteur de 68.630, 38 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [O] de sa demande tendant à ce que soit retenue dans la masse active de l'indivision post-communautaire une indemnité de jouissance de la voiture due par Mme [P] à hauteur de 12.000 euros ;
aux motifs que « Monsieur [O] soutient que l'intimée doit à la communauté la somme de 12 000 euros car elle a bénéficié de l'usage du véhicule pendant plus de 10 ans. Comme le fait observer Madame [P] aucune pièce n'établit que Madame [P] en a eu l'usage durant toutes ces années » ;
alors qu'en considérant, pour débouter M. [O] de sa demande tendant à ce que soit retenue dans la masse active de l'indivision post-communautaire une indemnité de jouissance de la voiture due par Mme [P], qu'aucune pièce n'aurait établi que celle-ci avait eu l'usage du véhicule, sans examiner même sommairement les factures de réparation de ce véhicule, dont Mme [P] prétendait qu'elle les aurait réglées, ce qui attestait comme le faisait valoir l'exposant, qu'elle avait eu l'usage dudit véhicule, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [O] de sa demande tendant à ce que soit retenue dans la masse active de l'indivision postcommunautaire les remboursements des prêts accordés aux parents de Mme [P] à hauteur de 28.060, 11 euros et 47.364, 58 euros ;
aux motifs propres que : « En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. L'appelant soutient que la communauté a consenti deux prêts, l'un d'un montant de 28.060,11 euros et l'autre de 47.364, 58 euros aux parents de son épouse. A l'appui de ses demandes, il invoque les pièces n° 14, 9 et 4. La pièce n° 4 est un courrier daté du 22 février 2011 rédigé par l'appelant lui-même, dont il ne saurait être tenu compte en vertu du principe qu'on ne se crée pas de preuve à soi-même. S'agissant des pièces 9 et 14 il s'agit d'une facture pour des meubles ou une cheminée et d'une situation de travaux au nom de Monsieur [O] ou Madame et Monsieur [O] domicilié [Adresse 1], soit l'adresse de ses beaux-parents chez lesquels les époux ont vécu. Ces pièces établissent tout au plus que des travaux ont été réalisés à leur domicile, mais non pas l'existence de prêts consentis par la communauté. Il n'y a donc pas lieu d'infirmer la décision de ce chef » ;
aux motifs adoptés que : « conformément à l'article 1354 code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. M. [J] [O] prétend que la communauté a consenti deux prêts aux parents de Mme [T] [P] à hauteur de 28.060, 11 euros et 47.364, 58 euros. Il expose en effet avoir réalisé différents travaux dans les deux maisons de ses ex beauxparents pour des montants de 71.365 et 42.837, 59 euros. Mme [T] [P] conteste qu'il s'agissait de prêts. M. [J] [O] produit à ce titre une offre de prêt du crédit agricole d'un montant de 80.000 francs, souscrite par les parties, dont l'objet est la réalisation de travaux sur un pavillon ancien, résidence principale des emprunteurs, au [Adresse 1]. Il produit en outre des factures d'achats de matériaux à son nom et précisant la même adresse. Ces seules pièces ne démontrent pas l'existence d'un prêt (par la réalisation de travaux au bénéfice des parents de Mme [T] [P]) de la communauté envers ces derniers. La demande de [J] [O] d'inclure ces montants dans l'actif de la communauté sera en conséquence rejetée » ;
alors 1°/ qu'en rejetant la demande de l'exposant, tendant à ce que soit inclus dans l'actif de la communauté le remboursement du prêt accordé aux parents de Mme [P] et procédant de la réalisation de travaux sur le bien immobilier situé à [Localité 5] sans aucun motif, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
alors 2°/ qu'en se contentant de considérer que les facture et situation de travaux produites par M. [O] correspondaient à des travaux effectués au domicile des époux, sans répondre au moyen péremptoire tiré de ce que ces travaux avaient nécessairement profité aux parents de Mme [P] qui étaient propriétaires des biens immobiliers dans lesquels les travaux litigieux avaient été réalisés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que le passif de l'indivision post-communautaire était constitué de la récompense due à Mme [T] [P] au titre des deniers propres dont la communauté a tiré profit pour la somme de 66.827, 43 euros ;
aux motifs propres que : « Sur la récompense de 68 630, 38 euros due à Madame [P] : Ce point non contesté par l'appelant est mentionné pour mémoire » ;
aux motifs adoptés que : « Mme [T] [P] a remis la somme de 66.827, 43 € sur le compte joint le 9 mars 2014. Aux termes de l'article 1402 du code civil, tout bien meuble ou immeuble est réputé acquêt de communauté s'il n'est pas prouvé qu'il est propre à un des époux par application d'une disposition de la loi. Aussi, les sommes détenues sur un compte joint sont-elles présumées communes et il appartient à l'époux alléguant le caractère propre des fonds d'en rapporter la preuve. Par ailleurs, il résulte de l'article 1433 du même code que la communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres. [J] [O] affirme que son ex épouse n'a pas fait de déclaration de remploi lors de l'acquisition de l'immeuble. Sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l'encaissement de deniers propres par la communauté à défaut d'emploi ou de remploi. En conséquence, la communauté doit récompense à Madame d'une somme de 66.827, 43 € » ;
alors 1°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
que M. [O] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que le jugement entrepris devait être « infirmé en ce qu'il retient que « la communauté doit récompense à Mme d'une somme de 66.827, 43 euros » dès lors que Mme [P] ne rapporte nullement la preuve du caractère propre des sommes versées sur le compte commun des époux » et que « s'agissant de cette somme, une partie seulement a bien été utilisée pour financer le bien immobilier, pour un montant de 41.529 euros » ; qu'en considérant que M. [O] n'aurait pas contesté la récompense prétendument due à Mme [P], la cour d'appel a dénaturé les conclusions de ce dernier en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;
alors 2°/ qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que le passif de l'indivision post-communautaire aurait été constitué de la récompense due à Mme [T] [P] au titre des deniers propres dont la communauté aurait tiré profit pour la somme de 66.827, 43 euros, sans répondre au moyen péremptoire de l'exposant tiré de ce qu'il n'était pas établi que les sommes versées sur le compte commun des époux étaient des fonds propres, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
alors subsidiairement 3°/ qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que le passif de l'indivision post-communautaire aurait été constitué de la récompense due à Mme [T] [P] au titre des deniers propres dont la communauté aurait tiré profit pour la somme de 66.827,43 euros, sans répondre au moyen péremptoire de l'exposant tiré de ce qu'en tout état de cause seule la somme de 41.529 euros avait été utilisée pour financer le bien immobilier, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.