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20/10/2021 | FRANCE | N°20-11095

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 20 octobre 2021, 20-11095


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 octobre 2021

Cassation

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 722 F-D

Pourvoi n° Y 20-11.095

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 OCTOBRE 2021

La s

ociété MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [J] [U], agissant en qualité de liqui...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 octobre 2021

Cassation

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 722 F-D

Pourvoi n° Y 20-11.095

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 OCTOBRE 2021

La société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [J] [U], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BM et VT, a formé le pourvoi n° Y 20-11.095 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant à M. [I] [T], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société MJA, ès qualités, de Me Carbonnier, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2019), la société BM et VT a été constituée à parts égales entre M. [T], son gérant depuis le 15 juin 2011, et Mme [H]. L'article 17 de ses statuts prévoyait que, dans l'hypothèse où le gérant souhaiterait retirer l'avance en compte courant qu'il aurait effectuée, ses conditions de retrait et de rémunération seraient fixées par décision collective des associés. M. [T] a procédé le 19 décembre 2014 au remboursement de son compte courant d'associé.

2. La société BM et VT a été mise en liquidation judiciaire le 12 mai 2015, la société MJA étant désignée liquidateur et la date de cessation des paiements fixée au 28 avril 2015. Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La société MJA, ès qualités, fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors « que le remboursement du compte courant d'associé constitue une faute de gestion même si la société dispose sur le moment des liquidités suffisantes pour y procéder puisque, intervenant dans un contexte de difficultés financières, il prive la société de la trésorerie nécessaire au paiement de ses créanciers et à son activité ; que pour écarter la responsabilité du gérant au titre de l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a retenu qu'au jour où il a été procédé au retrait du compte courant du gérant, les comptes bancaires de la société BM et VT présentaient un solde créditeur d'une somme supérieure au montant du remboursement ; qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à écarter une faute de gestion, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :

5. Selon ce texte, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de celle-ci sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

6. Pour écarter la faute de gestion de M. [T], l'arrêt relève que celui-ci a procédé au paiement de son compte-courant d'associé tandis que les comptes bancaires de la société étaient créditeurs d'une somme supérieure au montant du remboursement.

7. En statuant par de tels motifs, impropres à exclure à eux seuls la faute du gérant, à qui le liquidateur reprochait d'avoir procédé au remboursement de son compte courant d'associé en parfaite connaissance des difficultés financières de la société et particulièrement de sa situation de trésorerie, pour privilégier sa situation personnelle, la cour d'appel, peu important le caractère potestatif qu'elle a attribué à l'article 7 des statuts, dont le refus d'application par elle ne suffisait pas à écarter le caractère fautif du retrait des fonds, dans les circonstances invoquées par le liquidateur, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [T] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [T] et le condamne à payer à la société MJA, en qualité de liquidateur de la société BM et VT, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société MJA, en qualité de liquidateur de la société BM et VT.

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir infirmé le jugement entrepris et débouté le liquidateur de ses demandes ;

aux motifs que « Le liquidateur judiciaire reproche à M. [T] d'avoir procédé au remboursement de son compte-courant d'associé à une époque où la société débitrice connaissait des difficultés et en contravention avec l'article 17 des statuts qui précisent que « (?) les conditions de retrait de ces sommes et leur rémunération sont fixées soit d'accord commun entre la gérance et l'associé intéressé, soit par décision collective des associés. Si l'avance en compte courant est effectuée par un gérant, ses conditions de retrait et de rémunération sont fixées par décision collective des associés (?) ». Elle soutient que les associés fondateurs, en précisant que les apports en compte courant d'associé seraient mis à la disposition de la société BMetVT pour couvrir toutes sommes dont celle-ci pourrait avoir besoin, avaient bien souhaité encadrer le retrait de tels apports en considération de l'intérêt social et de la situation financière de la société BM etVT et ont prévu, à cette fin, le soin d'aménager les conditions de remboursement de leurs apports en compte courant en les conditionnant à une décision collective préalable des associés. La Selafa MJA ajoute que M. [T], en sa qualité de gérant, ne pouvait ignorer les difficultés de la société BMetVT et a, en procédant au remboursement de son compte courant d'associé, privilégié sa situation personnelle au détriment des créanciers de la société BM etVT et à la société elle-même. Elle fait valoir qu'indépendamment d'une limitation statutaire, la faute de gestion peut être retenue contre le dirigeant et conduire à sa condamnation sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce lorsque ce remboursement a été opéré en parfaite connaissance des difficultés financières de la société et, particulièrement de sa situation de trésorerie et réalisé au mépris de l'intérêt social et des autres créanciers sociaux. M. [I] [T] répond que l'article 17 des statuts de la société ne prévoyait pas une obligation de consultation ou d'autorisation de la collectivité des associés préalable au remboursement du compte courant et soutient qu'en absence de convention particulière régissant les modalités de retrait, le principe du paiement à vue des comptes courants ne connaissait aucune limite ni tempérament, conventionnel ou statutaire. Il en conclut qu'il n'a pas violé les statuts de la société BMetVT en procédant au remboursement de son compte courant d'associé. Par ailleurs, il fait valoir que s'il fallait considérer que l'article des statuts de la société BMetVT imposait que le remboursement d'un compte courant soit soumis à l'autorisation de la collectivité des associés, cette clause serait purement et simplement non écrite car potestative, soulignant que lui-même et Mme [H] détenaient la société à parts égales et que par conséquent seul un associé aurait le pouvoir arbitraire de refuser ou d'autoriser le remboursement. En outre, M [I] [T] soutient que, contrairement à ce que les juges de première instance ont retenu, la société n'était pas en difficulté lorsqu'il a procédé au remboursement de son compte courant d'associé, le 19 décembre 2014, précisant que la trésorerie était positive de 240.000 euros sur les deux comptes bancaires de la société au jour du remboursement. Selon l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En l'espèce, les premiers juges ont reproché à M. [T] d'avoir procédé au remboursement de son compte-courant dans une période difficile pour la société débitrice. Cependant, au jour où il a été procédé au paiement du compte-courant d'associés, les comptes bancaires étaient créditeurs d'une somme supérieure au montant du remboursement. Un compte-courant d'associés s'analyse comme étant une créance que l'un des associés détient à l'encontre de la société et le titulaire d'un tel compte-courant peut retirer à tout moment les sommes au crédit de son compte, à défaut de dispositions conventionnelles contraires. L'article 17 des statuts prévoit que les conditions de retrait des sommes portées en compte courant par un gérant et leur rémunération devaient être fixées par décision collective des associés » ;

alors 1/ que si tout associé est en droit, sauf convention contraire, d'exiger à tout moment le remboursement de ses avances en compte courant, la mise en oeuvre de ce droit constitue une faute de gestion lorsque, intervenant dans un contexte de difficultés financières, elle prive la société de la trésorerie nécessaire au paiement de ses créanciers et à son activité ; qu'il en est d'autant plus ainsi quand l'associé créancier n'est autre que le gérant qui, en procédant au remboursement de son compte courant dans un tel contexte, privilégie son intérêt propre sur l'intérêt social ; que pour écarter la responsabilité du gérant au titre de l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a retenu que le remboursement de son compte courant d'associé le 19 décembre 2014, avant la cessation des paiements du 28 avril 2015, était licite, la clause statutaire le subordonnant à la décision collective des associés étant nulle comme potestative ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le remboursement du compte courant du gérant n'était pas intervenu dans un contexte de difficultés financières, ôtant à la société la trésorerie nécessaire au paiement de ses créanciers et à son activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce ;

alors 2/ que le remboursement du compte courant d'associé constitue une faute de gestion même si la société dispose sur le moment des liquidités suffisantes pour y procéder puisque, intervenant dans un contexte de difficultés financières, il prive la société de la trésorerie nécessaire au paiement de ses créanciers et à son activité ; que pour écarter la responsabilité du gérant au titre de l'insuffisance d'actif, la cour d'appel a retenu qu'au jour où il a été procédé au retrait du compte courant du gérant, les comptes bancaires de la société BM et VT présentaient un solde créditeur d'une somme supérieure au montant du remboursement ; qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à écarter une faute de gestion, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

alors 3/ que l'article 17 des statuts de la société BM et VT stipule qu'une décision collective des associés doit fixer les conditions du retrait et de la rémunération du compte courant d'associé du gérant ; qu'il s'évince de cette rédaction que la décision collective avait vocation à déterminer les modalités de remboursement du gérant, sans pouvoir faire obstacle au remboursement en son principe ; qu'en relevant que les statuts soumettaient le remboursement du compte courant du gérant à ce que l'un des deux associés l'accepte de façon discrétionnaire, pour conclure au caractère potestatif de la clause, la cour d'appel a dénaturé l'article 17 desdits statuts, violant ainsi le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause et l'article 1192 du code civil ;

alors 4/ qu'en toute hypothèse, dans une société comprenant deux associés à parts égales, la clause statutaire subordonnant le remboursement d'un compte courant d'associé à la décision collective des associés n'est pas nulle comme potestative ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 223-27 du code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20-11095
Date de la décision : 20/10/2021
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 novembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 20 oct. 2021, pourvoi n°20-11095


Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Carbonnier, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.11095
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