LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 octobre 2021
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 1163 F-D
Pourvoi n° D 19-23.838
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [S] [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 mai 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 OCTOBRE 2021
La Préfecture de Wallis et Futuna, administration supérieure, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 19-23.838 contre le jugement rendu le 30 juillet 2019 par le tribunal de première instance de Mata-Utu, juridiction d'appel du tribunal du travail, dans le litige l'opposant à M. [S] [B], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la Préfecture de Wallis et Futuna, administration supérieure, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (tribunal de première instance de Mata'Utu, 30 juillet 2019, juridiction d'appel du tribunal du travail), M. [B] a été engagé, le 13 mai 1997, par le préfet, administrateur supérieur du territoire des Iles Wallis et Futuna, en qualité de chargé de mission. Il a ensuite été titularisé en qualité de représentant du service des bourses, transports et restauration scolaires de Futuna puis muté, à titre disciplinaire, à celui de Wallis.
2. Après avoir été convoqué, le 26 octobre 2015, devant le conseil de discipline, lequel a émis le 20 janvier 2016 un avis favorable au licenciement, il a été licencié, le 8 juillet 2016, avec préavis, pour des faits pour lesquels il avait été condamné, le 7 août 2014, par le tribunal correctionnel.
3. Contestant son licenciement, il a saisi le tribunal du travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer abusif le licenciement et de condamner en conséquence l'administration supérieure des Iles Wallis et Futuna à payer à M. [B] une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que l'arrêté n° 76 du 23 septembre 1976, portant statut des agents permanents de l'administration prévoit, en son article 27, § 1er, que "Les sanctions dont peuvent être frappés les agents permanents pour faute de service sont : l'avertissement ; le blâme ; la mise à pied de un jour à une semaine avec retenue partielle ou totale du salaire ; la mise à pied de huit jours à un mois avec retenu partielle ou totale du salaire ; l'abaissement d'échelon ; le licenciement avec préavis ; le licenciement sans préavis pour faute grave, laquelle est toujours laissée à l'appréciation de la juridiction compétente." ; qu'en l'espèce, le tribunal de première instance a constaté que M. [B] s'était vu notifié son "licenciement avec préavis pour faute de service" ; qu'il a également constaté que les agissements auxquels s'était livré M. [B] et qui ont été pénalement sanctionnés étaient susceptibles de constituer un motif légitime de licenciement ; que pour juger néanmoins abusif le licenciement de M. [B] avec préavis pour faute de service, le tribunal a affirmé qu' "en tardant à notifier le licenciement, l'employeur a toléré le maintien en exercice de M. [B] et a dénié à la faute commise par son agent le caractère de gravité que suppose la sanction ultime qu'est le licenciement" ; qu'en statuant ainsi, quand l'arrêté du 23 septembre 1976 distinguait expressément dans l'échelle des sanctions le licenciement avec préavis, dont a fait l'objet M. [B], du licenciement sans préavis pour faute grave, le tribunal a subordonné le bien-fondé du licenciement avec préavis à l'existence d'une faute grave tandis que cette condition n'est exigée que pour le licenciement sans préavis ; qu'il a, partant, violé le texte susvisé ;
2°/ que l'arrêté n° 76 du 23 septembre 1976, portant statut des agents permanents de l'administration prévoit, en son article 27, § 1er, que "Les sanctions dont peuvent être frappés les agents permanents pour faute de service sont : l'avertissement ; le blâme ; la mise à pied de un jour à une semaine avec retenue partielle ou totale du salaire ; la mise à pied de huit jours à un mois avec retenu partielle ou totale du salaire ; l'abaissement d'échelon ; le licenciement avec préavis ; le licenciement sans préavis pour faute grave, laquelle est toujours laissée à l'appréciation de la juridiction compétente." ; qu'en l'espèce, le tribunal de première instance a constaté que le préfet, administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna avait notifié à M. [B] son "licenciement avec préavis pour faute de service" ; qu'en jugeant abusif le licenciement, au motif qu' "en tardant à notifier le licenciement, l'employeur a toléré le maintien en exercice de M. [B] et a dénié à la faute commise par son agent le caractère de gravité que suppose la sanction ultime qu'est le licenciement", tandis qu'il ressortait de ses propres constatations que le salarié avait commis des fautes de nature à justifier son licenciement avec préavis, lequel n'était pas subordonné à l'existence d'une faute grave impliquant une sanction rapide, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, derechef, violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
5. Contrairement à ce que soutient le moyen, le tribunal n'a aucunement subordonné la légitimité du licenciement à la caractérisation d'une faute grave mais a estimé qu'en tardant à mettre en oeuvre la procédure de licenciement, l'employeur, qui soutenait pourtant que le maintien du salarié dans ses effectifs portait atteinte à l'image de l'administration et de ses agents ce qui impliquait une sanction rapide, avait toléré pendant plus d'un an le maintien en exercice de l'intéressé et dénié ainsi à la faute commise le caractère de gravité que suppose la sanction ultime qu'est le licenciement.
6. En l'état de ces constatations, exerçant les pouvoirs qu'il tient de l'article 42 de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952, le tribunal a décidé que le licenciement était abusif.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Administration supérieure de Wallis et Futuna aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la Préfecture de Wallis et Futuna, administration supérieure
Il est fait grief à la décision infirmative attaquée d'AVOIR déclaré abusif le licenciement notifié le 8 juillet 2016, d'AVOIR condamné l'Administration supérieure des Iles Wallis et Futuna à payer à M. [B] une somme de 2.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, outre intérêts légaux à compter du jour de la décision et d'AVOIR ordonné la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1154 du code civil ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de la lettre du 8 juillet 2016, le licenciement a été justifié de la façon suivante : « Vous avez été reconnu coupable le 7 août 2014 de faits de tentative d'escroquerie par le tribunal de première instance de Mata'Utu et condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de cinq cent mille francs pacifique. Par courrier en date du 10 septembre 2015, notifié le 21 septembre 2015, vous avez été informé de l'ouverture d'une procédure disciplinaire à votre encontre et invité à présenter vos observations sur les manquements professionnels qui vous étaient reprochés. Par courrier en date du 22 septembre 2015, vous faites savoir à l'Administration supérieure que votre société SARL MEGA PLUS est dissoute et que l'activité d'hôtellerie restauration est gérée par votre épouse. Vous soulignez également que votre condamnation pénale relève d'une affaire personnelle n'entravant pas vos missions de service public. Conformément aux dispositions de l'article 27 de l'arrêté n°76 portant statut des agents permanents du Territoire, vous avez été entendu par le conseil de discipline qui s'est réuni les 10 novembre 2015 et 20 janvier 2016 en salle de réunion de l'Administration supérieure. Votre implication dans l'affaire de défiscalisation, fortement médiatisée, a causé un préjudice important à l'Administration supérieure et les faits dont vous avez été reconnu coupable constituent un manquement certain à vos obligations de probité et d'intégrité. Vous conservez des activités privées dans le domaine de l'hôtellerie-restauration, susceptibles de constituer un conflit d'intérêt. Je note que vous avez d'ailleurs déjà fait l'objet d'une condamnation pénale pour prise illégale d'intérêts. Je suis dans l'obligation de tirer les conséquences de votre condamnation pénale et de prendre en considération les répercussions néfastes que vos manquements ont sur l'image et le fonctionnement du service public. Je vous informe que j'ai décidé de suivre l'avis du conseil de discipline et vous notifie par la présente votre décision de licenciement avec préavis. » ; ainsi, deux manquements sont invoqués à l'appui du licenciement : - un manquement au devoir de probité et d'intégrité ; - un cumul d'activités susceptible d'être à l'origine d'un conflit d'intérêts ; pour caractériser ces manquements, le chef du territoire oppose la condamnation pénale prononcée le 7 août 2014 par le tribunal correctionnel de Mata'Utu pour « avoir courant 2007 et courant 2008 sur le territoire de Wallis et Futuna, à Paris et en tout cas sur le territoire de la République Française, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses et notamment par la réalisation et l'utilisation de fausses factures, fausses attestations ou de faux contrats, tenté de tromper le ministère des finances et les actionnaires de la société en nom collectif Multiwafut de les déterminer ainsi à remettre des fonds, des valeurs ou un bien ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge (agrément pour une opération de défiscalisation), tentative manifestée par un commencement d'exécution (présentation du projet au ministère des finances », M. [B] a été déclaré coupable le 7 août 2014 du délit de tentative d'escroquerie et condamné à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de 500.000 FCFP ; il résulte des motifs de la décision que M. [B] avait agi comme gérant de fait d'un hôtel dénommé Somalama Park, son épouse, qui en était la gérante « officielle », ayant précisé au cours de l'enquête que « les papiers, comptabilité et administration étaient gérés par son époux » ; s'il est acquis que M. [B] avait été le dirigeant de fait d'une entreprise commerciale en 2007 et 2008, au mépris de l'article 7 de l'arrêté n°76 du 23 septembre 1976 qui prévoit que « l'agent permanent doit toute son activité au service qui l'emploie », le chef du territoire ne démontre pas que cette situation perdurait en 2015. Dans un courrier daté du 22 septembre 2015, M. [B] expliquait que le soutien qu'il apportait à son épouse dans la gestion de l'entreprise était « d'ordre occasionnel comme dans toute entreprise familiale, en dehors de (ses) heures de travail » et aucun élément du dossier n'établit que l'activité de M. [B] au profit de l'hôtel allait au-delà de la simple entraide familiale ; le cumul d'activités évoquée dans la lettre de licenciement ne peut pas motiver la sanction prise à l'encontre de M. [B] ; s'agissant d'un manquement au devoir de probité et d'intégrité qu'illustre la condamnation prononcée le 7 août 2014, l'appelant ne peut utilement se retrancher derrière son droit au respect de sa vie privée dans la mesure où la qualité particulière de son employeur et la mission de service public qui lui était confiée appelaient de sa part un comportement irréprochable, y compris dans la sphère privée. Les agissements auxquels il s'était livré et qui ont été pénalement sanctionné, sont susceptibles de constituer un motif légitime de licenciement ; la procédure disciplinaire a été introduite par une convocation devant le conseil de discipline adressée le 26 octobre 2015, soit plus de quatre mois après la réintégration de M. [B] dans ses fonctions à compter du 1er juin 2015, à l'issue d'une période d'indisponibilité. La décision proprement dite de licenciement a été notifiée le 8 juillet 2016, soit près de six mois après la décision du conseil de discipline et plus d'un an après la réintégration ; l'employeur ne fournit aucune explication sur la lenteur de la procédure de licenciement, peu compatible avec l'assertion selon laquelle le maintien du salarié dans ses effectifs portait atteinte à l'image de l'administration et de ses agents et qui impliquait au contraire une sanction rapide. En tardant à notifier le licenciement, l'employeur a toléré le maintien en exercice de M. [B] et a dénié la faute commise par son agent le caractère de gravité que suppose la sanction ultime qu'est le licenciement. Dans ces conditions, le licenciement litigieux est une rupture abusive au sens de l'article 42 du code du travail applicable sur le territoire des Iles Wallis et Futuna ; ce même article prévoit que « toute rupture abusive du contrat peut donner lieu à des dommages intérêts » dont le montant est fixé compte tenu, en général, de tous les éléments qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé et notamment (?) lorsque la responsabilité incombe à l'employeur, des usages, de la nature des services engagés, de l'ancienneté des services, de l'âge du travailleur, et des droits acquis à quelque titre que ce soit » ; M. [B] avait une ancienneté de 19 ans et était âgé de 47 ans. Son salaire brut était de 321.367 FCFP. Il ne fournit aucun justificatif sur ses charges de famille, ni sur sa situation actuelle. Dans ces conditions, le préjudice consécutif à la rupture fautive du contrat de travail sera évalué à 2.000.000 FCFP ;
1) ALORS QUE l'arrêté n° 76 du 23 septembre 1976, portant statut des agents permanents de l'Administration prévoit, en son article 27, §1er, que « Les sanctions dont peuvent être frappés les agents permanents pour faute de service sont : - l'avertissement ; - le blâme ; - la mise à pied de un jour à une semaine avec retenue partielle ou totale du salaire ; - la mise à pied de huit jours à un mois avec retenu partielle ou totale du salaire ; - l'abaissement d'échelon ; - le licenciement avec préavis ; - le licenciement sans préavis pour faute grave, laquelle est toujours laissée à l'appréciation de la juridiction compétente. » ; qu'en l'espèce, le tribunal de première instance a constaté que M. [B] s'était vu notifié son « licenciement avec préavis pour faute de service » (jugement attaqué, p. 2, antépénultième §) ; qu'il a également constaté que les agissements auxquels s'était livré M. [B] et qui ont été pénalement sanctionnés étaient susceptibles de constituer un motif légitime de licenciement ; que pour juger néanmoins abusif le licenciement de M. [B] avec préavis pour faute de service, le tribunal a affirmé qu'« en tardant à notifier le licenciement, l'employeur a toléré le maintien en exercice de M. [B] et a dénié à la faute commise par son agent le caractère de gravité que suppose la sanction ultime qu'est le licenciement » ; qu'en statuant ainsi, quand l'arrêté du 23 septembre 1976 distinguait expressément dans l'échelle des sanctions le licenciement avec préavis, dont a fait l'objet M. [B], du licenciement sans préavis pour faute grave, le tribunal a subordonné le bien-fondé du licenciement avec préavis à l'existence d'une faute grave tandis que cette condition n'est exigée que pour le licenciement sans préavis ; qu'il a, partant, violé le texte susvisé ;
2) ET ALORS QUE l'arrêté n° 76 du 23 septembre 1976, portant statut des agents permanents de l'Administration prévoit, en son article 27, §1er, que « Les sanctions dont peuvent être frappés les agents permanents pour faute de service sont : - l'avertissement ; - le blâme ; - la mise à pied de un jour à une semaine avec retenue partielle ou totale du salaire ; - la mise à pied de huit jours à un mois avec retenu partielle ou totale du salaire ; - l'abaissement d'échelon ; - le licenciement avec préavis ; - le licenciement sans préavis pour faute grave, laquelle est toujours laissée à l'appréciation de la juridiction compétente. » ; qu'en l'espèce, le tribunal de première instance a constaté que le préfet, administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna avait notifié à M. [B] son « licenciement avec préavis pour faute de service » ; qu'en jugeant abusif le licenciement, au motif qu'« en tardant à notifier le licenciement, l'employeur a toléré le maintien en exercice de M. [B] et a dénié à la faute commise par son agent le caractère de gravité que suppose la sanction ultime qu'est le licenciement », tandis qu'il ressortait de ses propres constatations que le salarié avait commis des fautes de nature à justifier son licenciement avec préavis, lequel n'était pas subordonné à l'existence d'une faute grave impliquant une sanction rapide, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, derechef, violé le texte susvisé.