LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 septembre 2021
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 994 F-D
Pourvoi n° C 20-15.009
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 SEPTEMBRE 2021
M. [P] [D], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-15.009 contre l'arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Lorraine Venaison, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [D], de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Lorraine Venaison, après débats en l'audience publique du 16 juin 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 20 février 2020), M. [D] a été engagé à compter du 1er septembre 2001, en qualité de boucher découpeur, par la société [P] [Y]. Son contrat de travail a été transféré à la société Lorraine Venaison, à compter du 1er janvier 2009.
2. Le salarié a été licencié le 25 novembre 2014.
3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 3 février 2015, aux fins de condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à faire condamner son employeur à lui verser des sommes au titre des heures supplémentaires pour les années 2010 à 2013, des repos compensateurs, outre congés payés afférents à ces sommes, du non-respect des seuils et de l'indemnité de travail dissimulé, alors « que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; que, dans les conclusions de l'intimé, il était soutenu ''afin de calculer les heures supplémentaires réalisées par M. [D] selon l'annualisation du temps de travail dont il bénéficiait, il incombe de calculer les heures supplémentaires sur celles au-delà du contingent annuel d'heures (1600 heures). Ainsi, toutes les heures effectuées par M. [D] au-delà de cette limite, 1 600 heures sur l'année, ouvrent droit à une majoration en conséquence'' ; que M. [D] détaillait ses calculs et produisait au soutien de ses prétentions les tableaux récapitulatifs mentionnant un total de temps de travail de 2 658,5 heures en 2010, 2 280 heures en 2011, 2 015,5 heures en 2012, 1 782,8 heures en 2013 et 1241 heures pour les 43 premières semaines de l'année 2014 ; qu'en retenant que le salarié aurait nié être soumis à l'annualisation de son temps de travail pour ne pas prendre en considération son décompte d'heures supplémentaires, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du salarié, violant le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
7. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que, contrairement à ses allégations, le salarié était soumis à l'annualisation de son temps de travail et qu'il n'est pas établi, au vu du décompte produit par l'intéressé, l'existence d'heures effectuées au-delà de 1 607 heures ou du plafond fixé par l'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail négocié dans l'entreprise.
8. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, le salarié soutenait qu'il bénéficiait d'une annualisation de son temps de travail et qu'il avait réalisé des heures au-delà du plafond annuel de 1 600 heures fixé par l'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail applicable dans l'entreprise, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [D] de ses demandes tendant à faire condamner la société Lorraine Venaison à lui verser des sommes au titre des heures supplémentaires pour les années 2010 à 2013, des repos compensateurs, des congés payés afférents à ces sommes, ainsi que des dommages-intérêts pour non-respect des seuils légaux de travail et pour travail dissimulé, en ce qu'il déboute M. [D] de sa demande au titre des frais irrépétibles et en ce qu'il le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 20 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Lorraine Venaison aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lorraine Venaison et la condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour M. [D]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. [D] de sa demande tendant à voir condamner la société Lorraine Venaison les sommes de 19 859,22 € pour l'année 2010, 12 325,18 € pour l'année 2011, 7 060,30 € pour l'année 2012 et 3 571,29 pour l'année 2013, au titre des heures supplémentaires outre les congés payés afférents, les sommes de 3 000 € au titre du non-respect des seuils et de 10 943,11 € au titre des repos compensateurs outre 1 094,31 € au titre des congés payés afférents, et, enfin, la somme de 12 793,50 € au titre de l'indemnité de travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que, si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant, à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; que pour étayer sa demande, M. [D] verse aux débats un planning des heures de travail effectuées entre 2010 et 2014 et plusieurs attestations ; cependant, que ce calendrier a été rempli informatiquement et ne comporte ni horaire de début de journée ni horaire de fin de journée ; qu'il n'est pas davantage mentionné le temps de pause du salarié ; qu'il ressort de la lecture de ce planning et de l'ensemble des bulletins de salaire de l'intimé différentes incohérences ; qu'en effet, le calendrier indique à deux reprises, du 1er au 18 septembre 2011 et du 5 au 24 août 2014, que le salarié a travaillé, tandis que ses fiches de paye mentionnent qu'il était en congés payés à ces dates ; que les témoignages communiqués ne sont pas circonstanciés ; que, si M. [U] [O], indiquant avoir travaillé durant deux saisons hivernales au sein de l'entreprise appelante, atteste que « M. [D] [P] faisait beaucoup d'heures », la cour constate qu'il ne précise pas la date à laquelle il a constaté cette forte activité de l'intimé ni même la date à laquelle il avait travaillé avec lui ; que M. [Q] [A] et [G] [F] témoignent respectivement que « M. [D] [P] travaillait à des heures hors normes pendant la haute saison » et que « M. [P] [D] travaillait le matin et rentrait tard le soir même le samedi, dimanche et jour férié » ; que, cependant, ils ne précisent pas avoir été directement témoins de ces faits et n'indiquent pas la manière dont ils ont eu connaissance des horaires réalisés par le salarié ; que, si Mme [T] [O], ex-épouse de l'intimé, atteste que « [P] travaillait pour la saison hivernale en moyenne de 11 à 13 heures par jour, même le samedi, voire le dimanche », elle n'apporte aucune précision sur la période concernée ni même sur la date à laquelle sa vie commune avec le salarié a cessé ; que M. [D] communique également un témoignage de sa nouvelle concubine, Mme [L] [N] selon laquelle « M. [D] [P] effectuait de nombreuses heures de travail. II arrivait qu'il me réveille vers 3 heures pour aller travailler pour 4 heures comme le demandait son ancien employeur et qu'il ne soit parfois toujours pas rentré vers 18 heures lorsque je rentrais de mon propre travail » ; qu'elle reconnait cependant n'avoir débuté la vie commune avec le salarié que fin 2013 ; que, par ailleurs, les attestants font référence à la seule période hivernale ; or, qu'il résulte de la lecture de l'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail négocié le 18 décembre 2001 entre M. [P] [Y], président de la SAS [P] [Y], et Mme [L] [B], représentante du personnel, et communiqué au greffe du conseil de prud'hommes de Dijon, à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de la Côte d'Or et à la direction départementale du travail de Dijon à la même date, que « le premier collège de salariés correspondant aux personnes travaillant à temps complet appliquera le nouveau régime de modulation du temps de travail défini l'article L. 212-8 du code du travail (loi Aubry II). Celui-ci se justifiant dans l'entreprise par le fait que l'activité est saisonnière puisque liée principalement aux périodes d'ouverture de la chasse. Il sera remis aux salariés concernés un programme indicatif individualisé de la répartition de la durée du travail chaque année. [?] Ce programme fera varier l'horaire hebdomadaire du travail sur tout ou partie de l'année et résultera sur une moyenne de 35 heures par semaine soit 1 600 heures par an. Cependant l'horaire hebdomadaire ne pourra dépasser 48 heures par semaine ou 44 heures sur 12 semaines consécutives, ni plus de 10 heures par jour » ; que dès lors, contrairement à ses allégations, M. [D] était soumis à l'annualisation de son temps de travail ; qu'il n'est pas établi, au vu du décompte produit par le salarié, l'existence d'heures effectuées au-delà de 1 607 heures ou du plafond fixé par l'accord ; en conséquence, que faute pour M. [D] d'étayer suffisamment et sérieusement sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires ; qu'il convient de l'en débouter ; que le jugement est infirmé de ce chef ; qu'il y a lieu également de le débouter de sa demande subséquente de dommages et intérêts pour non-respect par son employeur des seuils légaux de travail ;
1°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que, pour débouter M. [D] de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, du non-respect des seuils, du repos compensateurs et du travail dissimulé, l'arrêt examine les différentes pièces produites aux débats par le salarié, dont des décomptes précis des heures accomplies ainsi que différents témoignages, et en déduit qu'il n'étayait pas suffisamment et sérieusement ses demandes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; que, dans les conclusions de l'intimé, il était soutenu « afin de calculer les heures supplémentaires réalisées par M. [D] selon l'annualisation du temps de travail dont il bénéficiait, il incombe de calculer les heures supplémentaires sur celles au-delà du contingent annuel d'heures (1600 heures). Ainsi, toutes les heures effectuées par M. [D] au-delà de cette limite, 1600 heures sur l'année, ouvrent droit à une majoration en conséquence » (concl. p. 12) ; que M. [D] détaillait ses calculs (concl. p. 12 et 13) et produisait au soutien de ses prétentions les tableaux récapitulatifs mentionnant un total de temps de travail de 2658,5 heures en 2010, 2280 heures en 2011, 2015,5 heures en 2012, 1782,8 heures en 2013 et 1241 heures pour les 43 premières semaines de l'année 2014 ; qu'en retenant que le salarié aurait nié être soumis à l'annualisation de son temps de travail pour ne pas prendre en considération son décompte d'heures supplémentaires, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du salarié, violant le principe susvisé.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. [D] tendant à voir condamner la société Lorraine Venaison à lui verser des dommages-intérêts à hauteur de la somme de 3 000 euros au titre de l'absence de visite médicale préalable à l'embauche et au titre de l'absence de visite médicale pendant la durée de son contrat de travail ;
AUX MOTIFS QUE M. [D] indique n'avoir jamais passé de visite médicale d'embauche, ni de visite biannuelle au cours de la relation contractuelle ; qu'aux termes de l'article R. 4624-10, le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail ; qu'en vertu de l'article R. 4624-16, dans sa version applicable à la présente espèce, le salarié bénéficie d'examens médicaux périodiques, au moins tous les vingt-quatre mois, par le médecin du travail, en vue de s'assurer du maintien de son aptitude médicale au poste de travail occupé ; que le premier de ces examens a lieu dans les vingt-quatre mois qui suivent l'examen d'embauche ; que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité dont il doit assurer l'effectivité ; que la SARL Lorraine Venaison ne communique aucune fiche médicale établie par la médecine du travail pour M. [D] ; que la communication d'une facture établie par l'association interprofessionnelle de santé au travail (AIST) de la Côte d'Or et libellée « adhésion et cotisation année 2014 » ne peut suffire à démontrer que le salarié aurait bénéficié d'un suivi médical au cours de la relation contractuelle ; que le courrier du docteur [H] [M] du 9 octobre 2014 indiquant la consultation médicale de trois salariés de la SARL Lorraine Venaison le 13 novembre 2014 ne précise pas l'identité des employés concernés par cette visite médicale ; que, dès lors, l'appelante ne rapporte pas la preuve d'avoir satisfait à son obligation de sécurité ; mais cependant que l'allégation d'un préjudice « nécessaire » ne peut justifier la demande de dommages et intérêts ; qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'existence d'un préjudice dont il demande l'indemnisation ; que la carence de M. [D] à cet égard conduit la cour à infirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a accordé des dommages et intérêts à ce titre ;
ALORS QUE le manquement de l'employeur à son obligation de procéder à un examen médical d'embauche et aux visites médicales périodiques cause nécessairement au salarié un préjudice dont le juge doit fixer la réparation ; qu'en jugeant le contraire, pour débouter M. [D] de sa demande de réparation du préjudice subi en raison de l'absence de visite médicale préalable à l'embauche comme de toute visite médicale pendant le cours de son contrat de travail, la cour d'appel, qui a constaté l'absence de suivi médical du salarié, a violé les articles L. 4624-1 et R. 4624-10 du code du travail.