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07/09/2021 | FRANCE | N°19-87036

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 septembre 2021, 19-87036


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° X 19-87.036 FS-B

N° 00866

RB5
7 SEPTEMBRE 2021

IRRECEVABILITE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2021

L'association Life for Paris, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e sect

ion, en date du 24 octobre 2019, qui, dans l'information suivie notamment contre la société Lafarge SA, des chefs, notamment...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° X 19-87.036 FS-B

N° 00866

RB5
7 SEPTEMBRE 2021

IRRECEVABILITE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2021

L'association Life for Paris, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 4 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 24 octobre 2019, qui, dans l'information suivie notamment contre la société Lafarge SA, des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, complicité de crimes contre l'humanité et mise en danger de la vie d'autrui, a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant recevable sa constitution de partie civile.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de l'association Life for Paris, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [C] [F], les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Lafarge SA, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [W] [K], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, les avocats ayant eu la parole, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société Lafarge SA (la société Lafarge), de droit français, dont le siège social se trouve à [Localité 3], a fait construire une cimenterie près de [Localité 1] (Syrie), pour un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie est détenue et était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée Lafarge Cement Syria (la société LCS), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.

3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI).

4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société LCS ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie. Logés à [Localité 2] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par différents groupes armés, dont l'EI.

5. Concomitamment, la société LCS a versé des sommes d'argent, par l'intermédiaire de diverses personnes, à différentes factions armées qui ont successivement contrôlé la région et étaient en mesure de compromettre l'activité de la cimenterie.

6. Celle-ci a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.

7. Le 15 novembre 2016, les associations Sherpa et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), ainsi que onze employés syriens de la société LCS, ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d'instruction des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, d'exploitation abusive du travail d'autrui et de mise en danger de la vie d'autrui.

8. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d'instruction d'informer sur les faits notamment de financement d'entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d'autrui.

9. Le 4 janvier 2018, l'association Life for Paris, créée à la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris par les victimes et leurs familles, s'est constituée partie civile dans le cadre de cette information pour les faits dénoncés par la plainte avec constitution de partie civile en date du 15 novembre 2016.

10. Aux termes de l'article 2 de ses statuts, l'association Life for Paris a pour objet de :
« - rassembler les victimes rescapées, leurs familles et leurs proches ; les familles et proches des victimes décédées ; les impliqués et les personnes ayant prêté assistance lors des attentats du 13 novembre 2015 ;
- apporter aide et soutien aux concernés pour qu'ils puissent trouver des solutions à leurs besoins qu'ils soient d'ordre physique, psychologique, technique, juridique, administratif ou financier et contribuer à des actions judiciaires lorsque cela sera nécessaire ;
- aider à entretenir et perpétuer la mémoire de ces attentats et des personnes disparues ;
- engager ou participer à toute action permettant l'amélioration de la sécurité dans les lieux publics pouvant accueillir du public ;
- diffuser la parole de ses adhérents dans les médias et sur les réseaux sociaux ;
- agir pour la manifestation de la vérité, notamment dans le cadre judiciaire en suivant la procédure pénale ».

11. Par ordonnance du 29 janvier 2018, le juge d'instruction a constaté la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association Life for Paris.

12. M. [F], président directeur général de la société Lafarge de 2007 à 2015, mis en examen le 8 décembre 2017, a interjeté appel de cette décision le 25 avril 2018.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance entreprise et déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l'association Life for Paris, alors « qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que le ministère public avait pris, le 9 juin 2017, des réquisitions tendant, après la communication prescrite par l'article 86 du même code, à ce qu'il soit informé par le juge d'instruction du chef de financement d'entreprise terroriste, visé par la plainte avec constitution de partie civile, de sorte que le ministère public avait bien lui aussi décidé de mettre en mouvement l'action publique du chef de financement d'entreprise terroriste ; qu'en déclarant néanmoins irrecevable la constitution de partie civile de l'association Life for Paris, la cour d'appel a violé les articles 2-9, alinéa 2, 86 et 87 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

14. Selon le deuxième alinéa de l'article 2-9 du code de procédure pénale, toute association régulièrement déclarée ayant pour objet statutaire la défense des victimes d'une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du même code et regroupant plusieurs de ces victimes peut, si elle a été agréée à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne cette infraction lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.

15. Il résulte de ce texte qu'une association qui entend exercer les droits reconnus à la partie civile doit regrouper plusieurs des victimes d'une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 et ne peut intervenir qu'au titre de cette infraction.

16. Pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction et déclarer la constitution de partie civile de la requérante irrecevable, l'arrêt énonce que l'objet de l'association entre dans le cadre prévu par l'article 2-9, alinéa 2, précité et qu'il est justifié que, par arrêté du 13 juillet 2017 du garde des sceaux, ministre de la justice, l'agrément prévu par ce texte a été accordé à l'association ; il précise encore que parmi les infractions visées par l'information judiciaire, celle de financement d'entreprise terroriste est la seule qui entre dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale.

17. Les juges ajoutent cependant que si l'action publique a été mise en mouvement par une plainte assortie d'une constitution de partie civile déposée non seulement par les associations Sherpa et ECCHR mais aussi par des personnes physiques, il ressort de la plainte qu'aucune de ces personnes physiques n'invoque avoir subi un préjudice direct et personnel qui leur aurait été causé par les faits de financement d'entreprise terroriste, ces plaignants alléguant un préjudice causé par d'autres infractions qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 706-16.

18. La chambre de l'instruction conclut qu'il ne peut être considéré que l'action publique visant les faits de financement d'entreprise terroriste a été mise en mouvement par la partie lésée ou le ministère public, le réquisitoire du 9 juin 2017 ayant été pris au visa de la plainte avec constitution de partie civile, et qu'en conséquence l'association Life for Paris est irrecevable à se constituer partie civile à ce titre.

19. C'est à juste titre que la chambre de l'instruction a estimé que l'article 2-9 du code de procédure pénale, en son deuxième alinéa, n'interdisait pas en son principe à l'association Life for Paris de se constituer partie civile, ladite association ayant notamment pour objet d'apporter aide et soutien aux victimes d'actes terroristes et d'agir pour la manifestation de la vérité dans le cadre judiciaire.

20. C'est néanmoins par des motifs erronés qu'elle a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de cette association.

21. La chambre de l'instruction ne pouvait pas retenir que l'action publique n'a pas été mise en mouvement par le ministère public, alors que le réquisitoire du 9 juin 2017 a valablement saisi le juge d'instruction des faits de financement d'entreprise terroriste, peu important que la constitution de partie civile des associations plaignantes soit ou non recevable.

22. En effet, l'irrecevabilité de l'action civile portée devant le juge d'instruction conformément aux dispositions de l'article 85 du code de procédure pénale ne saurait atteindre l'action publique, laquelle subsiste toute entière et prend sa source exclusivement dans les réquisitions du ministère public tendant après la communication prescrite par l'article 86 du même code à ce qu'il soit informé par le juge d'instruction. Il n'en irait autrement que si la plainte de la victime était nécessaire pour mettre l'action publique en mouvement.

23. Pour autant, l'arrêt n'encourt pas la censure.

24. En effet, l'infraction de financement d'entreprise terroriste incriminée par l'article 421-2-2 du code pénal n'est pas susceptible de provoquer directement un dommage.

25. Il en résulte que les victimes que l'association requérante regroupe ne peuvent être regardées comme ayant pu subir un préjudice direct à raison des faits de financement d'entreprise terroriste, seule infraction à caractère terroriste dont le juge d'instruction est saisi, en sorte que l'intéressée n'a pas qualité à exercer les droits de la partie civile dans ladite information.

26. Il s'ensuit que c'est à bon droit que la chambre de l'instruction a déclaré la constitution de partie civile de la requérante irrecevable.

27. Par voie de conséquence, son pourvoi l'est également.

28. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE le pourvoi irrecevable.

FIXE à 2 000 euros la somme que l'association Life for Paris devra payer à la société Lafarge en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 000 euros la somme que l'association Life for Paris devra payer à M. [W] [Y] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 000 euros la somme que l'association Life for Paris devra payer à M. [C] [F] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt et un.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-87036
Date de la décision : 07/09/2021
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

TERRORISME - Constitution de partie civile - Association française des victimes de terrorisme - Préjudice direct et personnel - Défaut - Portée

1. Il résulte du deuxième alinéa de l'article 2-9 du code de procédure pénale qu'une association qui entend exercer les droits reconnus à la partie civile doit regrouper plusieurs des victimes d'une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 et ne peut intervenir qu'au titre de cette infraction. 2. L'infraction de financement d'entreprise terroriste incriminée par l'article 421-2-2 du code pénal n'est pas susceptible de provoquer directement un dommage


Références :

Articles 2-9 et 706-16 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 24 octobre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 sep. 2021, pourvoi n°19-87036, Bull. crim.
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Composition du Tribunal
Président : M. Soulard
Avocat(s) : SCP Gaschignard, SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Spinosi, SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.87036
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