LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 juin 2021
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 577 F-D
Pourvoi n° T 20-16.955
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2021
Mme [A] [F], épouse [J], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 20-16.955 contre l'arrêt rendu le 16 avril 2020 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [N], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Groupama Rhône-Alpes-Auvergne, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [F], de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Groupama Rhône Alpes- Auvergne, de Me Le Prado, avocat de M. [N], après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 16 avril 2020), Mme [F], prétendant que les travaux entrepris par son voisin avaient été réalisés en partie sur sa propriété et avaient, en outre, endommagé une voûte située au rez-de-chaussée de son bâtiment, a assigné M. [N] en libération de la partie de son fonds occupée irrégulièrement, en réalisation de travaux de réparation et en paiement de dommages et intérêts. M. [N] a appelé à l'instance la société Groupama, en sa qualité d'assureur de la société ayant réalisé les travaux.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. Mme [F] fait grief à l'arrêt de dire que la moitié de la grange, sise sur la parcelle cadastrée C [Cadastre 1], au 1er étage, côté Nord, est la propriété de M. [N], de rejeter en conséquence sa demande de remise en état des lieux et sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, et de renvoyer les parties à saisir un notaire aux fins de publication de l'arrêt au service de la publicité foncière, alors « que la prescription acquisitive immobilière suppose la preuve d'actes matériels de possession sur le bien revendiqué ; qu'en affirmant que M. [N] rapportait la preuve d'une possession de la grange depuis plus de trente ans, dès lors que la jouissance de ce bien par son auteur était antérieure de plusieurs années à la conclusion du contrat publicitaire conclu en 1990, sans constater l'existence d'actes matériels de possession antérieurs à cette date et remontant à plus de trente ans avant la demande en justice formée par Mme [F] épouse [J] le 31 mars 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2261 et 2272, alinéa 1er, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2261 et 2272, alinéa 1er, du code civil :
3. En application de ces textes, le juge ne peut retenir que la prescription est acquise par possession sans relever des actes matériels de nature à caractériser celle-ci.
4. Pour dire que la moitié de la grange, située sur la parcelle cadastrée C [Cadastre 1], au premier étage, côté Nord, est la propriété de M. [N], l'arrêt retient que celui-ci y a effectué des travaux en 1996 puis en 2007 et que son père a loué la façade à des fins publicitaires depuis le 15 juillet 1990 au moins et jouissait déjà de la grange depuis plusieurs années.
5. En se déterminant ainsi, sans relever des actes matériels de possession sur la partie de la grange litigieuse antérieurs aux travaux réalisés par M. [N], la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé des actes matériels de possession trentenaire à la date de l'assignation en revendication du 15 mars 2015, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Mise hors de cause
6. Il y a lieu de mettre hors de cause la société Groupama Rhône Alpes- Auvergne, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la moitié de la grange, sise sur la parcelle cadastrée C [Cadastre 1], au 1er étage, côté Nord, est la propriété de M. [N], rejette en conséquence la demande de Mme [F] en remise en état des lieux et sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, et renvoie les parties à saisir un notaire aux fins de publication de l'arrêt au service de la publicité foncière, l'arrêt rendu le 16 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Met hors de cause la société Groupama Rhône Alpes-Auvergne ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme [F]
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la moitié de la grange, sise sur la parcelle cadastrée section C n° [Cadastre 1], au 1er étage, côté Nord, est la propriété de M. [N] et d'AVOIR en conséquence débouté Mme [F] épouse [J] de sa demande de remise en état des lieux et de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et renvoyé les parties à saisir un notaire aux fins de publication du présent arrêt au service de la publicité foncière ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur la propriété de la grange située à l'étage du bâtiment cadastré section C n° [Cadastre 1] : Initialement, les fonds litigieux appartenaient à un seul propriétaire, à savoir les époux [B] et [S] [P] [K], décédés respectivement les [Date décès 1]2018 et [Date décès 2]2019 ; que leurs cinq enfants ont procédé au partage de la succession par acte du 01/02/2020 ; que de cette succession dépendaient notamment une maison d'habitation, partagée en trois, entre [T], [F] et [E] [K], le premier se voyant en outre attribuer une « grange vieille » et une remise ; le litige concerne un bâtiment voisin, composé d'une écurie au rez-de-chaussée, d'une grange à l'étage et d'une remise à l'arrière ; que Mme [J] vient aujourd'hui aux droits de [T] [K], M. [N] venant aux droits d'[F] et de [E] [K] ; qu'il est de principe qu'un droit de propriété peut être constaté par un acte authentique, soumis à publication par application du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière ; que c'est ainsi que Mme [J] fait état : d'un acte de donation partage du 27/12/1974 à ses enfants, lui attribuant un « bâtiment comprenant au rez : écurie, au 1er, grange figuré au cadastre C [Cadastre 1] » ; d'une vente intervenue le 20/06/1955 entre les époux [Z] et M. [L] [F], père de l'intimée, concernant un bâtiment à usage de remise et de hangar, cadastré C [Cadastre 2], (devenu C [Cadastre 1]) ; d'un acte départagé du 22/08/1952, selon lequel Mme [Z] née [K] [J] s'est vue attribuer un bâtiment à usage de remise et de hangar, cadastré C [Cadastre 2] partie ; que toutefois, il est établi que le droit de propriété, invoqué à l'appui d'une action en revendication ou à l'encontre d'une telle action, peut être prouvé par tous moyens, la preuve du droit de propriété étant libre. Il en résulte qu'une action en revendication peut valablement être étayée par des preuves autres qu'un titre, le juge ayant le pouvoir d'apprécier souverainement les différentes preuves produites devant lui pour retenir les présomptions de propriété les meilleures et les plus caractérisées, étant observé que le cadastre n'a valeur que de simple renseignement, et notamment ne peut prévaloir sur la possession acquisitive ni sur les titres de propriété ; que dès lors, le seul fait que le cadastre attribue la totalité du bâtiment sis sur la parcelle C [Cadastre 1] à Mme [J] est inopérant à lui seul pour démontrer la propriété de celle-ci sur la moitié de la grange ; que l'appelant fait valoir quant à lui qu'il est bien le propriétaire de la totalité de la grange située au-dessus de l'écurie, au motif que cette grange a été attribuée par moitié à [F] et [E] [K], suite à une donation-partage survenue le 01/02/2020, et qu'en conséquence, ce serait à tort que les actes notariés intervenus postérieurement en aurait attribué la moitié de la propriété aux ayants-droits de [T] [K] ; que c'est ainsi qu'il fait écrire dans ses conclusions d'appel qu'il tient ses droits d'[F] [K] (donation du 10/08/1990) et de [E] [K] (vente du 10/08/1990 rectifiée en avril 2011), à savoir, concernant le bien litigieux la moitié de la grange neuve (34 m2) d'[F] et "le solde de l'écurie (1/6) entre les deux et la moitié de la grange neuve" pour [E] ; que l'acte de partage provisionnel du 01/02/1920 indique quant à lui que : [F] [K] se voit attribuer « le tiers de l'écurie, part du midi, et la moitié de la grange située au-dessus vers l'église figurées sous n° [Cadastre 2] section C » ainsi que « la moitié de la remise adossée à la grange neuve, part du nord, et comprise également sous n° [Cadastre 2] section C » ; [E] [K] reçoit « la moitié de la remise adossée à la grange neuve, part du midi comprise sous le n° [Cadastre 3] section C », sans qu'il soit indiqué expressément qu'elle est propriétaire de l'autre moitié de la grange neuve ; [T] [K] reçoit « la moitié de l'écurie, part du Nord du bâtiment neuf, construit sur le n° [Cadastre 2], section C », sans, là encore, qu'il soit précisé qu'il devient propriétaire de la partie de la grange litigieuse ; qu'il en résulte que cet acte a omis de prévoir l'attribution de la grange neuve en ce qui concerne la part du midi ; que l'examen des titres ne permet ainsi pas d'attribuer la portion de la grange objet du litige à l'une ou l'autre des parties ; que par ailleurs, il ne peut être fait référence à la nécessité pour l'immeuble d'être soumis au statut de la copropriété, la division des lieux étant très ancienne et antérieure à la loi du 10/07/1965 ; que dès lors, il convient d'analyser la possession de cette partie du bâtiment par l'une ou l'autre des parties, afin de déterminer si l'appelant ou l'intimé bénéficient d'une possession utile ; qu'au préalable, il sera constaté que la grange ne disposait que d'un accès unique, par un escalier sis au Nord. Ce seul élément ne peut suffire pour que soit attribuer la partie Sud de la grange à l'appelant, dès lors qu'il résulte des éléments du dossier que cette grange était divisée en deux et qu'il fallait ainsi utiliser l'accès par le Nord pour aller à la partie Sud : que Mme [J] fait valoir qu'elle et ses auteurs ont toujours utilisé la partie de la grange située au-dessus de sa cave/écurie. C'est ainsi que Mmes [O], [W] [L], [O] [N], [X] [C], [Y] [H] et Mme [G] [W] ainsi que M. [Z] [A], attestent que M. [F] y stockait du foin et du petit matériel. Mme [V] ajoute qu'il lui arrivait, étant jeune, d'y jouer, tandis que Mme [Q] [S] précise que Mme [J] y entreposait des chaises et des parasols, (ce qui est contesté par Mme [U] et Mme [M]) ; que toutefois, il résulte des éléments du dossier que la grange a connu à deux reprises des travaux importants, effectués à l'initiative de l'appelant ; qu'ainsi : en 1996, l'appentis situé à l'arrière a été démoli pour être totalement reconstruit par la pose d'une charpente neuve et d'une couverture en bacs acier remplaçant les vieilles tôles ondulées présentes jusque-là ; en 2007, M. [N] a fait transformer la grange en cause en logement, sans qu'à l'époque Mme [J] ne s'en émeuve, celle-ci ne faisant dresser un constat d'huissier concernant ces travaux qu'en 2014. Cette habitation est régulièrement donnée à bail depuis les travaux par M. [N] ; que l'examen des photos produites montre qu'en 1996, la partie de la grange exposée au Nord était dotée d'une ouverture fermée par des planches dont certaines étaient cassées. Or, à l'occasion de la réfection de l'appentis arrière, celles-ci ont été enlevées pour être remplacées par des planches neuves ; qu'en outre, était apposé sur cette façade un panneau publicitaire, générant des loyers versés par la Société Road Publicité à M. [M] [N], depuis au moins le 15/07/1990 ; que la Cour considère dans ces conditions que ces travaux ont manifesté un « animus domini », c'est à dire un comportement en propriétaire, de la part de M. [N], concrétisant l'existence d'une possession utile, car paisible, faute de contestation avant la présente instance, publique, car visible de la voie publique, non équivoque, et continue ; qu'il s'agit là d'actes matériels de détention et de jouissance, manifestant une attitude de la famille [N] sans aucune ambiguïté, de considérer la totalité de la grange comme faisant partie intégrante de son patrimoine. Le fait qu'occasionnellement, et à une époque ancienne, la famille [F] ait pu stocker du foin et du petit matériel ne suffit pas à contrecarrer cette possession, l'utilisation de la grange se faisant alors dans un cadre de coopération entre voisins et relevant ainsi d'une simple tolérance ; que ces actes font échec aux actes de possession invoqués par l'intimée, qui ne peut ainsi justifier d'une possession abrégée de dix ans ; qu' à l'inverse, au moment où le père de l'appelant, [M] [N], a donné à bail la façade Nord de la grange aux fins de pose d'un panneau publicitaire, il jouissait déjà depuis plusieurs années de la grange ; que la Cour considère que l'appelant rapporte la preuve d'une possession de la grange depuis plus de trente ans, et qu'en conséquence, M. [N] était en droit de l'aménager et de la transformer ; que Mme [J] sera déboutée de sa demande en reconnaissance de propriété de la partie Nord de la grange ainsi que de ses demandes afférentes, le jugement déféré étant réformé de ce chef » ;
1°) ALORS QUE la prescription acquisitive immobilière suppose la preuve d'actes matériels de possession sur le bien revendiqué ; qu'en affirmant que M. [N] rapportait la preuve d'une possession de la grange depuis plus de trente ans, dès lors que la jouissance de ce bien par son auteur était antérieure de plusieurs années à la conclusion du contrat publicitaire conclu en 1990, sans constater l'existence d'actes matériels de possession antérieurs à cette date et remontant à plus de trente ans avant la demande en justice formée par Mme [F] épouse [J] le 31 mars 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2261 et 2272, alinéa 1er, du code civil ;
2°) ALORS QUE la demande en justice interrompt le délai de prescription ; qu'en affirmant que M. [N] rapportait la preuve d'une possession de la grange depuis plus de trente ans, quand l'acte matériel de possession le plus ancien était le contrat publicitaire conclu en 1990 et alors que le délai de prescription avait été interrompu par l'action en justice formée par Mme [F] le 31 mars 2015, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 2241 du code civil.