LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 21-81.872 F-D
N° 00889
MAS2
23 JUIN 2021
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 JUIN 2021
M. [A] [N], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 8 mars 2021, qui, infirmant l'ordonnance de mise en accusation et de renvoi devant la cour d'assises rendue par le juge d'instruction, a renvoyé M. [O] [F] devant le tribunal correctionnel sous les préventions d'extorsion, vol, aggravés, et escroquerie.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [A] [N], les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. [O] [F], et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 21 juin 2018 en fin de matinée, les services de police ont pris en charge M. [A] [N], qui, en état de choc, s'était réfugié dans un bar.
3. Ce dernier a déclaré qu'ayant bu de l'alcool et consommé de la cocaïne, il avait quitté une soirée vers 4 heures 30 pour rentrer à son domicile, et avait accepté la suggestion d'une personne rencontrée dans la rue de boire un verre chez lui.
4. Selon le plaignant, cette personne avait alors proféré à son encontre des insultes homophobes, l'avait contraint à se déshabiller, lui avait porté des coups, notamment avec le sexe sur son visage, l'avait forcé à divulguer le code confidentiel de sa carte bancaire, faits commis sous la menace d'un couteau.
5. M. [N] aurait été retenu plusieurs heures, puis s'était enfui en passant par la fenêtre de son appartement et en descendant par un échafaudage. Son agresseur avait quitté les lieux en s'emparant d'effets personnels de M. [N] et en utilisant sa carte bancaire pour effectuer des achats et des retraits.
6. Le médecin de l'unité de médecine judiciaire a constaté de multiples érosions sur le corps de M. [N], compatibles avec les faits allégués, ainsi qu'un fort retentissement psychologique, justifiant une ITT de dix jours.
7. M. [O] [F], identifié grâce à des prélèvements d'ADN, a été interpellé le 27 juin 2019. Une information judiciaire a été ouverte le 29 juin 2019 et M. [F] a été mis en examen.
8. Le 24 novembre 2020, le juge d'instruction a ordonné la mise en accusation de M. [F] et son renvoi devant la cour d'assises du Val-de-Marne des chefs de vols avec armes, extorsion avec arme, séquestration sans libération volontaire avant le septième jour, agression sexuelle avec violence et escroquerie.
9. M. [F] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
10. Le moyen, en sa quatrième branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à suivre contre M. [F] des chefs d'agressions sexuelles avec usage ou menace d'une arme et d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, requalifié en extorsion avec violence les faits reprochés de violence avec arme, et en vol avec violence les faits reprochés de vol avec arme, dit qu'il résulte des pièces et de l'instruction des charges suffisantes contre M. [F] d'avoir, à Alfortville et Paris, le 21 juin 2018, en tout cas sur le territoire national depuis temps non prescrit, frauduleusement soustrait divers objets, notamment ordinateur, téléphone portable, bijoux, vêtements, une sacoche et la somme de 100 euros au préjudice de M. [N], avec cette circonstance que les faits ont été précédés, accompagnés ou suivis de violence ayant entraîné une ITT pendant huit jours au plus, obtenu par violences, menaces de violences ou contrainte la révélation d'un secret, en l'espèce le code confidentiel d'une carte bancaire, et ce au préjudice de M. [N], avec cette circonstance que cette extorsion a été précédée, accompagnée, ou suivie de violence ayant entraîné une ITT pendant huit jours au plus, et en faisant usage d'un faux nom ou en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en utilisant la carte de paiement de M. [N] et son code confidentiel, trompé des personnes physiques ou morales pour les déterminer à lui remettre du numéraire ou des marchandises, et ordonné le renvoi de M. [F] devant le tribunal correctionnel de Créteil pour y être jugé conformément à la loi alors :
« 4°/ que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en disant qu'il existe des charges suffisantes à l'encontre de M. [F] d'avoir commis des faits de vol avec violence, extorsion avec violence et escroqueries, avec cette circonstance que les faits avaient été précédés, accompagnés ou suivis de violence ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours au plus, après avoir pourtant constaté que le médecin de l'unité médico-judiciaire avait retenu une ITT de dix jours, et sans apporter la moindre explication à la durée différente d'ITT qu'elle retenait, laquelle durée déterminait la compétence de la juridiction de renvoi, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 211, 212, 213, 214, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 312-2, 312-3 et 312-5 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
11. Selon les textes susvisés du code pénal, l'extorsion précédée, accompagnée ou suivie de violences sur autrui ayant entraîné une incapacité temporaire totale de travail personnel est un délit puni de dix ans d'emprisonnement lorsque la durée de l'incapacité est inférieure ou égale à huit jours, et devient un crime, passible de quinze ans de réclusion criminelle, lorsque cette durée est supérieure, l'extorsion commise avec usage ou sous la menace d'une arme étant réprimée d'une peine de trente ans de réclusion criminelle.
12. Selon l'article 593 susvisé, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence.
13. Le juge d'instruction a ordonné le renvoi de M. [F] devant la cour d'assises pour extorsion avec usage ou sous la menace d'une arme. Pour infirmer cette décision et ordonner son renvoi devant le tribunal correctionnel, après avoir écarté la circonstance aggravante tenant à l'arme, la chambre de l'instruction énonce qu'il résulte de l'information des charges suffisantes contre l'intéressé d'avoir commis une extorsion accompagnée de violences.
14. En prononçant ainsi, sans préciser que la durée de l'incapacité en résultant était inférieure ou égale à huit jours, après avoir relevé, dans l'exposé des faits, que l'examen médical de la victime avait conclu à une incapacité d'une durée de dix jours, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision de retenir la compétence de la juridiction correctionnelle.
15. Il en résulte que la cassation de l'arrêt est encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs proposés, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 8 mars 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois juin deux mille vingt et un.