LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 juin 2021
Cassation partielle sans renvoi
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 794 F-D
Pourvoi n° S 20-10.629
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 JUIN 2021
La société Global multitechniques, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 20-10.629 contre l'arrêt rendu le 13 novembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l'opposant à M. [Z] [V], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Global multitechniques, de la SCP Richard, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 13 novembre 2019), M. [V], salarié de la société Global multitechniques, a été licencié le 20 avril 2016 pour faute grave.
2. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 14 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que « les juges du fond ne peuvent modifier l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties ; que le salarié sollicitait la condamnation de la société Global multitechniques à lui verser la somme de 14 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce que la cour d'appel a expressément constaté ; qu'en lui allouant dès lors la somme de 14 500 euros à ce titre, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, violant les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :
6. Selon le premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Selon le second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
7. La cour d'appel a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 14 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
8. En statuant ainsi, alors que le salarié demandait 14 400 euros à ce titre, la cour d'appel, qui a statué au-delà de la demande, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à la somme de 14 500 euros l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse due par la société Global multitechniques à M. [V], l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ;
Fixe à 14 400 euros la somme due par la société Global multitechniques à M. [V], à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Global multitechniques
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. [Z] [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'AVOIR, en conséquence, condamné la société Global Multitechniques à payer à M. [Z] [V] les sommes de 7.200 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 720 euros au titre des congés payés afférents, 1.049,29 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 104,92 euros au titre des congés payés afférents, 720 euros à titre d'indemnité de licenciement et 14.500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE, sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences : la lettre de licenciement pour faute grave notifiée à M. [V], qui fixe les limites du litige, lui reproche en substance d'avoir eu un comportement déplacé à l'égard d'une hôtesse d'accueil (Mme [T] [X]) employée par une société tierce, assimilable à du harcèlement sexuel, alors qu'il était affecté sur un site à Noisy-Le-Grand entre le 2 et le 11 mars 2016 ; M. [V] soutient que les faits reprochés ne sont pas établis et qu'il est fondé à réclamer des indemnités de rupture ; que la société soutient que la faute grave reprochée à M. [V] est établie et qu'il y a lieu de confirmer le débouté ; que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que la charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur qui l'invoque ; qu'en l'espèce, pour établir les faits de harcèlement sexuel reprochés à M. [V], la société Global Multitechniques verse aux débats essentiellement : - un courriel de dénonciation de faits de harcèlement sexuel, signé de « [T] » , sans mention relative à l'expéditeur, au destinataire et à la date, de rédaction, qui est transmis par la société ERDF à la hiérarchie de M. [V] le 25 mars 2016 ; - une attestation en partie dactylographiée de la supérieure de Mme [X], indiquant que cette dernière s'était plainte le 25 mars 2016 de faits de harcèlement sexuel commis par M. [V] ; - une déclaration de main-courante déposée auprès des services de police par Mme [X] le 30 mars 2016 dans laquelle elle accuse M. [V] de lui avoir tenu des propos déplacés à connotation sexuelle ; - une lettre adressée à la société Global Multitechniques dans laquelle le gestionnaire du site en cause se plaint du comportement de M. [V] envers la « gent féminine », sans faire état de faits précis commis par M. [V] sur Mme [X] ; que la cour observe que la société Global Multitechniques ne verse aucune attestation de Mme [X] et que, alors que la lettre de licenciement indique que plusieurs personnes auraient été témoins des faits en cause, aucune autre attestation n'est produite sur ce point ; que par ailleurs, M. [V] produit pour sa part une déclaration de main-courante réalisée par Mme [T] [X] auprès des services de police le 3 novembre 2016 dans laquelle elle indique avoir subi des pressions de son employeur et de celui de M. [V] pour porter des accusations contre ce dernier, ainsi que trois attestations de Mme [T] [X] aux termes desquelles elle rétracte toute plainte à l'encontre de l'appelant et indique qu'elle n'a pas été victime de harcèlement de sa part ; qu'il résulte de ce qui précède que le harcèlement sexuel reproché à M. [V] repose sur les seules accusations fragiles de Madame [T] [X], non corroborées par des éléments objectifs et qui ont même été rétractées par cette dernière ; que les faits reprochés ne sont donc pas établis, contrairement à ce qu'a estimé le conseil de prud'hommes ; qu'il y a donc lieu de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ; qu'en conséquence, eu égard à l'ancienneté et à la rémunération moyenne mensuelle de M. [V], il y a lieu de lui allouer tout d'abord les sommes suivantes, le jugement étant infirmé sur ces points : - 7.200 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 720 euros au titre des congés payés afférents ; - 1.049,29 euros au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 104,92 euros au titre des congés payés afférents ; - 720 euros à titre d'indemnité de licenciement ; qu'en outre, M. [V], étant employé au moment de la rupture depuis plus de deux années dans une entreprise d'au moins 11 salariés, est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu'eu égard à son âge (né en [Date naissance 1]), à son ancienneté (trois années), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (chômage jusqu'en septembre 2017 sans justification de recherches d'emploi), il y a lieu d'allouer à M. [V] la somme de 14.500 euros à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
1°) ALORS QUE toute partie a droit à un procès équitable et, en particulier, au respect de l'égalité des armes ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que Mme [X], salariée d'un client s'étant plainte d'agissements de harcèlement sexuel commis par M. [V] lors de sa mise à disposition sur le site ERDF Vendôme, ayant rétracté ses déclarations par voie d'attestation, les faits invoqués par la société Global Multitechniques dans la lettre de licenciement au soutien de la mesure de congédiement pour faute grave n'étaient pas établis ; que la société Global Multitechniques avait cependant sollicité, par note en délibéré du 31 octobre 2019 (cf. production n° 5), la réouverture des débats aux fins de porter à la connaissance de la cour d'appel une décision, déterminante pour la résolution du litige, rendue par le conseil de prud'hommes de Bobigny et qui était de nature à invalider la rétractation douteuse de cette salariée ; qu'il ressortait ainsi sans équivoque des termes de ce jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny (cf. production n° 6), opposant Mme [X] à son employeur, la société de travail intérimaire FMC Elior Services, que l'intéressée avait - postérieurement à la rédaction des attestations de rétractation qu'elle avait fournies à M. [V] ? maintenu de manière ferme et non équivoque les accusations qu'elle avait portées à l'encontre de celui-ci, accusant son employeur d'être responsable des agissements de harcèlement sexuel qu'elle avait subis de la part de M. [V] sur le site ERDF Vendôme ;
qu'en s'abstenant dès lors de répondre aux conclusions de l'employeur qui faisait valoir que cette décision, reçue postérieurement au prononcé de la clôture, était susceptible de déterminer la solution du litige, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE toute partie a droit à un procès équitable et, en particulier, au respect de l'égalité des armes ; qu'en l'espèce, les accusations portées par Mme [X] à l'encontre de M. [V] étaient particulièrement précises et circonstanciées, dès lors qu'elle avait détaillé, dans un courriel adressé à sa hiérarchie, les comportements et agissements qu'elle avait subis de la part de M. [V], mais avait également rapporté in extenso les propos à connotation sexuelle qu'il lui avait tenus en maintes occasions ; qu'à l'inverse, les attestations de rétractation de la salariée, comme sa déclaration de main-courante du 3 novembre 2016, se bornaient à affirmer sa manière vague et abstraite qu'elle n'avait pas subi de harcèlement de la part de M. [V] ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans s'interroger ni s'expliquer sur les raisons de la rétractation de Mme [X], ni sur une éventuelle subornation de témoin, la cour d'appel, qui n'a pas fait ressortir ce qui l'avait conduite à faire prévaloir la vague rétractation de la salariée sur ses accusations initiales très circonstanciées, qu'elle avait en outre réitérées par la suite par voie de main-courante, et qui obligeaient la société Global Multitechniques à réagir en sanctionnant le comportement de son salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ET ALORS, subsidiairement, QUE la société Global Multitechniques relevait dans ses conclusions d'appel que Mme [X] avait souligné, dans sa déclaration de main-courante en faveur de M. [V] du 3 novembre 2016 (cf. production n° 7), que l'employeur de celui-ci « n'aurait pas dû » avoir connaissance de la première déclaration de main-courante mettant en cause l'intéressé ; que l'exposante en déduisait que le dépôt de cette première main-courante procédait bien d'une initiative personnelle de la salariée, totalement étrangère aux prétendues pressions de l'employeur alléguées par celle-ci (cf. conclusions d'appel p. 9) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire des écritures de l'employeur, de nature à démontrer, d'une part, la véracité des accusations initiales émanant de Mme [X], d'autre part, que ses multiples rétractions postérieures procédaient manifestement d'une subornation de témoin, la cour d'appel a encore violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Global Multitechniques à payer à M. [Z] [V] la somme de 14.500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE M. [V], étant employé au moment de la rupture depuis plus de deux années dans une entreprise d'au moins 11 salariés, est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu'eu égard à son âge (né en [Date naissance 1]), à son ancienneté (trois années), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (chômage jusqu'en septembre 2017 sans justification de recherches d'emploi), il y a lieu d'allouer à M. [V] la somme de 14.500 euros à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
ALORS QUE les juges du fond ne peuvent modifier l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties ; que M. [Z] [V] sollicitait la condamnation de la société Global Multitechniques à lui verser la somme de 14.400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (cf. conclusions d'appel du salarié p. 12, dispositif), ce que la cour d'appel a expressément constaté (cf. arrêt p. 2 § dernier) ; qu'en lui allouant dès lors la somme de 14.500 euros à ce titre, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige, violant les articles 4 et 5 du code de procédure civile.