LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 juin 2021
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 525 F-D
Pourvoi n° U 20-13.989
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 JUIN 2021
La société Crédit lyonnais (LCL), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-13.989 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2020 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Pharmacie Defert, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société XXX, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de M. [C] [G] et M. [F] [E], prise en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Pharmacie Defert,
3°/ à la société Etude Balincourt, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [G] [Z], domicilié en cette qualité audit siège, prise en qualités de mandataire judiciaire de la société Pharmacie Defert,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit lyonnais, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Pharmacie Defert et de la société XXX, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mai 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 janvier 2020) et les productions, la société Pharmacie Defert ayant été mise en redressement judiciaire le 4 janvier 2017, la société Crédit lyonnais (le Crédit lyonnais) a déclaré une créance privilégiée, représentant les échéances à échoir d'un prêt, les intérêts de retard sur les échéances à échoir au taux de 2,98 % l'an, majoré de trois points, et une indemnité contractuelle de 5 % calculée sur le capital restant dû.
2. Cette déclaration a été contestée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le Crédit lyonnais fait grief à l'arrêt de rejeter la créance au titre des intérêts majorés de la date du jugement jusqu'à parfait paiement, alors « que s'agissant des prêts d'une durée supérieure ou égale à un an, les intérêts de retard font partie des intérêts dont le cours n'est pas arrêté en cas d'ouverture d'un redressement judiciaire et qui doivent donc être déclarés ; qu'il en va ainsi que ces intérêts de retard portent sur des sommes échues ou sur des sommes à échoir ; qu'en l'espèce, le prêt souscrit par la pharmacie Defert auprès du Crédit lyonnais prévoyait en son article III.6 intitulé "intérêts de retard" que "Toute somme en principal, intérêts, frais et accessoires, non payée au Prêteur à son échéance normale ou anticipée portera de plein droit et sans obligation de mise en demeure préalable intérêts au taux du Prêt majoré de 3 % l'an" ; que sur le fondement de cette clause, le Crédit lyonnais avait mentionné dans sa déclaration de créance après l'indication d'un montant à échoir de 820 887,80 euros, les "intérêts de retard sur les échéances à échoir au taux de 2,98 % l'an + 3 points de la date du jugement jusqu'à parfait paiement" ; que la cour d'appel a jugé, par motifs propres et adoptés, que les intérêts de retard n'avaient pas à être déclarés dès lors qu'ils n'avaient pas commencé à courir en l'absence d'échéance impayée ; qu'en statuant ainsi, cependant que les intérêts de retard devaient être déclarés, quand bien même ils ne portaient pas sur des sommes échues, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24, L. 622-25, L. 622-28 et L. 631-14 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-25, L. 622-28, L. 631-14 et R. 622-23, 2° du code de commerce :
5. Il résulte de ces textes que l'exception à la règle de l'arrêt du cours des intérêts, édictée à l'article L. 622-28, alinéa 1er, du code de commerce en faveur de ceux résultant de contrats de prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an, vise, aux termes même de ce texte, tous intérêts, sans en exclure les intérêts de retard prévus par ces conventions.
6. Pour n'admettre la créance du Crédit lyonnais que pour la somme de 820 887,80 euros à titre privilégié, représentant le montant des échéances à échoir, à l'exclusion des intérêts de retard et de l'indemnité contractuelle de 5 %, l'arrêt retient que le redressement judiciaire n'entraîne pas l'exigibilité anticipée du prêt et que les intérêts de retard prévus à l'article III.6 du contrat sont prévus à la condition que toute somme en principal, intérêts et frais ne soit pas payée à son échéance, normale ou anticipée.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il refuse d'admettre la créance déclarée par la société Crédit lyonnais au titre des intérêts à échoir au taux de 2,98 % l'an majoré de trois points de la date du jugement jusqu'à parfait paiement, l'arrêt rendu le 6 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Crédit lyonnais.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du juge-commissaire du 16 mai 2018 en ce qu'elle avait, après avoir admis la créance déclarée par la société SA LCL-Crédit Lyonnais pour la somme de 820.887,80 euros à titre privilégié et d'avoir constaté l'absence de déchéance du terme du prêt n°14941993ER86 et écarté l'application d'intérêts majorés au taux de 2,98% l'an + 3 points de la date du jugement jusqu'au parfait paiement et indemnité contractuelle de 5% ;
Aux motifs que « l'article L. 622-24 du code de commerce prévoit qu'à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans les délais prescrits par la loi. L'article L. 622-29 du code de commerce prévoit que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé et que toute clause contraire est réputée non écrite. Le contrat de prêt, support de la déclaration de créance, indique en ses articles : - III.5 Intitulé « exigibilité anticipée » que le prêteur aura la faculté d'exiger le remboursement immédiat de toutes les sommes restant dues au titre du prêt, et ce de plein droit, sur simple avis notifié à l'emprunteur et sans nécessité de mise en demeure préalable, notamment dans le cas, dans toute la mesure permise par la loi, d'une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire de l'emprunteur ; au dernier alinéa de cet article, en cas d'exigibilité anticipée notamment, l'emprunteur est redevable d'une indemnité égale à 5% du capital restant dû. ? III.6 intitulé « intérêts de retard »? que toutes sommes en principal, intérêts frais et accessoires, non payées au prêteur à son échéance normale ou anticipée, portera de plein droit et sans obligation de mise en demeure préalable, intérêts au taux du prêt majoré de 3% l'an ; or, le redressement judiciaire n'entraîne pas l'exigibilité anticipée du contrat de crédit dont le mandataire judiciaire peut décider la poursuite. Dès lors, l'article III.5 du contrat de prêt n'a pas vocation à s'appliquer à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et l'indemnité de 5% du capital restant dû n'est pas une créance échue et n'a pas à être portée sur la déclaration de créance en l'absence d'exigibilité anticipée ; les intérêts de retard prévus à l'article III.6 du contrat de prêt sont prévus à la condition que toutes sommes en principal, intérêts et frais et accessoires, ne soit pas payée au prêteur à son échéance normale ou anticipée. Or il a été analysé ci-dessus que l'espèce est étrangère à une exigibilité anticipée et il n'est pas contesté qu'il n'existe aucune échéance impayée à échéance normale ; dès lors, les intérêts de retard ne sont pas des créances échues et n'ont pas, là encore à être portés sur la déclaration de créance en l'absence d'échéances impayées. Il est donc inutile de répondre sur le moyen tiré de l'absence de motivation d'une clause pénale qui serait manifestement excessive ou pas. La SA Crédit Lyonnais bénéficiant de l'inscription d'une hypothèque sur le bien immobilier, objet du contrat de prêt, est une créance privilégiée. En conséquence, à défaut de démontrer le caractère échu de la créance portant tant sur les intérêts de retard que sur l'indemnité contractuelle, la SA Crédit Lyonnais est déboutée de sa demande » (arrêt p. 4-5) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés du premier juge que « en application des dispositions de l'article L. 622-24 du code de commerce, la société SA LCL-Crédit Lyonnais a déclaré sa créance au passif de la SARL Pharmacie Defert pour la somme de 820.887,80 euros outre intérêts à titre privilégié. Le débiteur indique que le montant de la créance intègre les d'amortissements jusqu'à l'échéance conventionnelle et conteste l'application d'intérêts supplémentaires au regard de l'absence de déchéance de terme du prêt. En réponse la société SA LCL-Crédit Lyonnais maintient sa déclaration. Me [G] [Z] ès qualités rappelle que la SARL Pharmacie Defert n'est pas défaillante quant au règlement des échéances du prêt. En conséquence, et en l'absence de défaillance du débiteur, il convient d'admettre la créance déclarée par la SA LCL-Crédit Lyonnais pour la somme de 820.887,80 euros à titre privilégié et d'écarter l'application d'intérêts majorés au taux de 2,98% l'an + 3 points de la date du jugement jusqu'au parfait paiement et indemnité contractuelle de 5% » (ordonnance p.1-2) ;
1) Alors que, s'agissant des prêts d'une durée supérieure ou égale à un an, les intérêts de retard font partie des intérêts dont le cours n'est pas arrêté en cas d'ouverture d'un redressement judiciaire et qui doivent donc être déclarés ; qu'il en va ainsi que ces intérêts de retard portent sur des sommes échues ou sur des sommes à échoir ; qu'en l'espèce, le prêt souscrit par la société Pharmacie Defert auprès du Crédit Lyonnais prévoyait en son article III.6 intitulé « intérêts de retard » que « Toute somme en principal, intérêts, frais et accessoires, non payée au Prêteur à son échéance normale ou anticipée portera de plein droit et sans obligation de mise en demeure préalable intérêts au taux du Prêt majoré de 3% l'an » ; que sur le fondement de cette clause, le Crédit Lyonnais avait mentionné dans sa déclaration de créance après l'indication d'un montant à échoir de 820.887,80 ?, les « intérêts de retard sur les échéances à échoir au taux de 2,98% l'an + 3 points de la date du jugement jusqu'à parfait paiement » ; que la cour d'appel a jugé, par motifs propres et adoptés, que les intérêts de retard n'avaient pas à être déclarés dès lors qu'ils n'avaient pas commencé à courir en l'absence d'échéance impayée ; qu'en statuant ainsi, cependant que les intérêts de retard devaient être déclarés, quand bien même ils ne portaient pas sur des sommes échues, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24, L. 622-25, L. 622-28 et L. 631-14 du code de commerce ;
2) Alors d'autre part, que, l'article III.5 du contrat de prêt stipulait qu'« en cas d'exigibilité anticipée ou si le prêteur est amené à produire à un ordre amiable ou judiciaire, l'emprunteur sera redevable d'une indemnité égale à 5% du capital restant dû » ; que pour écarter de la créance admise l'indemnité de 5%, la cour d'appel a retenu qu'il n'y avait pas d'exigibilité anticipée du prêt, une telle exigibilité étant exclue en cas d'ouverture d'un redressement judiciaire ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il y était invitée (conclusions du Crédit Lyonnais p.5), si l'indemnité devait être admise en application de l'article III.5 du contrat, indépendamment de toute exigibilité anticipée, dès lors que le Crédit Lyonnais avait été amené à produire à un ordre judiciaire compte tenu de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu 1103 du code civil, ensemble les articles L. 622-24, L. 622-25 et L. 631-14 du code de commerce.