LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juin 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 578 F-D
Pourvoi n° S 20-13.826
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021
M. [H] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 20-13.826 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ au ministère public, représenté par le procureur général près la cour d'appel de Reims, domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société [Personne physico-morale 1], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Accessline,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [V], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 10 décembre 2019), par jugement rendu le 1er juillet 2014, un tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SARL Accessline (la société), gérée par M. [V], et nommé la SCP [D] [C] [X], prise en la personne de M. [Y] [D], en qualité de mandataire judiciaire.
2. Par jugement rendu le 29 septembre 2015, le tribunal de commerce a homologué le plan de continuation présenté par la société et a nommé la SCP [D] [C] [X], prise en la personne de M. [D], en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
3. Par jugement rendu le 19 janvier 2016, le même tribunal de commerce a prononcé la résolution du plan de continuation, ouvert une procédure de liquidation à l'encontre de la société et a désigné la SCP [D] [X], prise en la personne de M. [D], en qualité de liquidateur.
4. A la suite du rapport déposé par le liquidateur le 23 août 2018, le procureur de la République de Reims a saisi le même tribunal de commerce, par requête en date du 2 octobre 2018, aux fins de prononcer une sanction personnelle à l'égard de M. [V], dirigeant de la société.
5. Par jugement réputé contradictoire en date du 26 décembre 2018, ce tribunal a prononcé une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [V] d'une durée de 15 ans, en raison de l'abstention volontaire de ce dernier à coopérer avec les organes de la procédure ayant ainsi fait obstacle à son bon déroulement et du caractère erroné de la comptabilité.
6. Par un acte en date du 28 mars 2019, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. M. [V] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son appel formé le 28 mars 2019, alors que « lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès verbal dans lequel il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'une signification ne peut intervenir selon ces modalités que dans le cas où les diligences nécessaires, que l'huissier de justice est tenu d'accomplir, n'ont pas permis de découvrir ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail de la personne à qui l'acte doit être signifié ; que les diligences accomplies ne sont pas suffisantes lorsque l'huissier, qui a constaté que la personne n'habitait plus à la dernière adresse connue, s'est contenté d'interroger des proches et de consulter avec maladresse un annuaire électronique ; que, pour juger que la signification du 7 janvier 2019 était régulière, la cour d'appel a relevé que, dans son procès-verbal de signification, l'huissier de justice a constaté que « les recherches faites auprès de la famille du requis sont demeurées vaines. Il m'a été indiqué que ce dernier serait sur [Localité 1] sans plus de précision. De retour à l'étude, les recherches sur l'annuaire électronique ne nous ont pas permis d'obtenir un quelconque renseignement » ; qu'en statuant ainsi alors que les recherches faites étaient manifestement incomplètes et qu'il était établi que si l'huissier de justice avait interrogé le tribunal de commerce de Reims, le requérant, les services fiscaux, l'URSSAF ou les mairies de Vitry-le-François et [Localité 1], il aurait aisément pu prendre connaissance de l'adresse de M. [V] au [Adresse 4], laquelle était mentionnée dans les annuaires électroniques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale sur le fondement de l'article 659 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 659 du code de procédure civile :
8. Il résulte de ce texte que la signification doit être faite à personne et qu'il n'y a lieu à signification par procès-verbal de recherches que si le destinataire de l'acte n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, le procès-verbal devant comporter avec précision les diligences accomplies par l'huissier de justice pour rechercher le destinataire de l'acte.
9. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt retient qu'il ressort du procès verbal de recherches établi par l'huissier qu'il s'est transporté à l'adresse indiquée et n'a pu rencontrer le destinataire de l'acte, « que les recherches faites auprès de la famille du requis sont demeurées vaines », et qu'il lui a été seulement « indiqué que ce dernier serait sur Châlons, sans autre précision » et que « de retour à l'étude, les recherches sur l'annuaire électronique ne nous ont pas permis d'obtenir un quelconque renseignement ».
10. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les recherches effectuées par l'huissier de justice étaient insuffisantes, ce dernier n'ayant interrogé ni le greffe du tribunal de commerce de Reims ni les services fiscaux, auprès desquels il aurait pu prendre connaissance de l'adresse de M. [V], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [V]
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'appel formé, le 28 mars 2019, par M. [H] [V] ;
Aux motifs qu' « aux termes de l'article R. 661-3 du code de commerce, sauf disposition contraire, le délai d'appel des parties est de dix jours à compter de la notification qui leur est faite des décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d'actif, de faillite personnelle ou d'interdiction prévue à l'article L. 653-8 ; qu'en l'espèce, le jugement prononçant la faillite personnelle de Monsieur [V] lui a été signifié le 7 janvier 2019 ; que celui conteste la régularité de cette signification ; qu'au cas présent, Monsieur [V] reproche à l'huissier de justice de lui avoir notifié le jugement contesté à une ancienne adresse, soit au [Adresse 5] alors qu'il habite désormais au [Adresse 6], et de ne pas avoir accompli les diligences requises ; qu'aux termes de l'article 659 alinéa 1 du code de procédure civile, lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'en l'espèce, il ressort de l'annexe du procès-verbal de signification, à savoir le procès-verbal de recherches, que Maître [C] [M], huissier de justice à Vitry-le-François, a accompli les diligences suivantes : - « je certifie qu'un clerc assermenté s'est transporté à l'effet de remettre l'acte au susnommé. Il s'est présenté à l'adresse sus-indiquée et n'a pu rencontrer le destinataire du présent acte. Les diligences suivantes ont été effectuées : les recherches faites auprès de la famille du requis sont demeurées vaines. Il m'a été indiqué que ce dernier serait sur [Localité 1] sans plus de précision. De retour à l'étude, les recherches sur l'annuaire électronique ne nous ont pas permis d'obtenir quelconque renseignement. En conséquence, il a été constaté que Monsieur [V] n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus ; et le présent acte a été converti en procès-verbal de recherches selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile » - ; qu'aux termes de l'article 371 du code civil, l'acte authentique fait foi jusqu'à l'inscription en faux de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté ; qu'au cas présent, force est de constater que Monsieur [V] n'a pas recouru à la procédure d'inscription de faux à l'encontre du procès-verbal de signification critiqué ; que de plus, l'appelant ne rapporte pas la preuve de ce qu'il résidait à l'adresse qu'il revendique sur l'annuaire à la date indiquée, les deux captures d'écran produites par ce dernier ne faisant pas mention de leur date et indiquant en outre une adresse différente de celle que Monsieur [V] a déclaré être la sienne dans l'acte d'appel qu'il a déposé devant la cour ; qu'ainsi il convient de constater que la signification du jugement, réalisée le 7 janvier 2019, est régulière ; que dans ces conditions, relevant que l'appel a été formé par Monsieur [V] par acte du 28 mars 2019, alors que le jugement lui a été signifié le 7 janvier 2019, il convient de déclarer cet appel irrecevable comme tardif, puisque ce dernier a été interjeté après l'expiration du délai dans lequel il devait être exercé ».
1/ Alors que, pour statuer sur la régularité de la signification lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, le juge doit, en application de l'article 659 du code de procédure civile, vérifier que l'huissier de justice a accompli toutes les diligences nécessaires pour rechercher le destinataire de l'acte au jour de la signification ; qu'en l'espèce, pour juger que la signification du jugement était régulière, la cour d'appel a relevé que l'adresse à laquelle le jugement avait été notifié était l'adresse que M. [V] déclarait être la sienne dans sa déclaration d'appel ; qu'en se fondant ainsi sur une circonstance extérieure au procès-verbal, postérieure à la date de la signification et par voie de conséquence, insusceptible d'établir les diligences de l'huissier de justice au sens de l'article 659 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les dispositions de ce texte ;
2/ Alors que la signification effectuée dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile est nulle lorsque le requérant, qui a connaissance de l'adresse du domicile du requis, ne transmet pas cette information à l'huissier de justice et contribue ainsi à rendre impossible la signification à personne ; qu'en l'espèce, M. [V] avait rapporté la preuve devant la cour d'appel que le Ministère public, requérant, avait fait notifier une ordonnance pénale, par acte du 16 juin 2017 ainsi qu'un avis de classement sans suite, par acte du 28 décembre 2017, à l'adresse [Adresse 4], et qu'en conséquence, il connaissait l'adresse du domicile à laquelle M. [P] pouvait être signifié à personne ; qu'en décidant que la signification régulière alors qu'il était invoqué et établi que le créancier poursuivant connaissait l'adresse à laquelle M. [V] pouvait être joint et qu'il n'était constaté aucune diligence de l'huissier de justice pour y délivrer l'acte, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile ;
3/ Alors que lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal dans lequel il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'une signification ne peut intervenir selon ces modalités que dans le cas où les diligences nécessaires, que l'huissier de justice est tenu d'accomplir, n'ont pas permis de découvrir ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail de la personne à qui l'acte doit être signifié ; que les diligences accomplies ne sont pas suffisantes lorsque l'huissier, qui a constaté que la personne n'habitait plus à la dernière adresse connue, s'est contenté d'interroger des proches et de consulter avec maladresse un annuaire électronique ; que, pour juger que la signification du 7 janvier 2019 était régulière, la cour a relevé que, dans son procès-verbal de signification, l'huissier de justice a constaté que « les recherches faites auprès de la famille du requis sont demeurées vaines. Il m'a été indiqué que ce dernier serait sur [Localité 1] sans plus de précision. De retour à l'étude, les recherches sur l'annuaire électronique ne nous ont pas permis d'obtenir un quelconque renseignement » ; qu'en statuant ainsi alors que les recherches faites étaient manifestement incomplètes et qu'il était établi que si l'huissier de justice avait interrogé le tribunal de commerce de Reims, le requérant, les services fiscaux, l'URSSAF ou les mairies de Vitry-le-François et [Localité 1], il aurait aisément pu prendre connaissance de l'adresse de M. [V] au [Adresse 4], laquelle était mentionnée dans les annuaires électroniques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale sur le fondement de l'article 659 du code de procédure civile ;
4/ Alors que, pour décider qu'en application de l'article 659 du code de procédure civile, l'huissier de justice avait effectué des recherches suffisantes, et en déduire que la signification du jugement réalisée le 7 janvier 2019 était régulière, l'arrêt retient que, dans son procès-verbal, l'huissier de justice a constaté que « les recherches faites auprès de la famille du requis sont demeurées vaines ; il m'a été indiqué que ce dernier serait sur [Localité 1] sans plus de précision ; de retour à l'étude, les recherches sur l'annuaire électronique ne nous ont pas permis d'obtenir un quelconque renseignement » ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [V], qui soutenait que l'huissier de justice n'avait pas effectué des recherches auprès du tribunal de commerce de Reims, du Parquet, des services fiscaux, de l'URSSAF et des mairies de Vitry-le-François et de [Localité 1], auprès desquels il aurait aisément pu prendre connaissance de l'adresse de son domicile, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
5/ Alors, enfin, que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis et sur lesquels il se fonde pour statuer ; qu'en l'espèce, aux fins d'établir que son adresse postale pouvait aisément être connue de l'huissier de justice, M. [V] avait produit, en pièces n° 16 et 17, deux captures d'écran de sites internet d'annuaire électronique, qui indiquaient l'une et l'autre la date et l'heure de la recherche et sur lesquelles il était mentionné qu'il résidait 26 avenue du 29 août 1944 à Chalons en [Localité 2] ; qu'en énonçant cependant que les deux captures d'écran ne mentionnaient pas de date et indiquaient une adresse différente de celle que Monsieur [V] dit avoir été la sienne au moment de la signification, la cour d'appel a dénaturé les pièces probatoires et violé le principe susvisé ;