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10/06/2021 | FRANCE | N°20-13198

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 10 juin 2021, 20-13198


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 juin 2021

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 585 F-D

Pourvoi n° J 20-13.198

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021

La société Trajectoire, société par actions simplifiée

, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 20-13.198 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2019 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre)...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 10 juin 2021

Cassation partielle

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 585 F-D

Pourvoi n° J 20-13.198

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021

La société Trajectoire, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 20-13.198 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2019 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Neovia, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société MJ Synergie, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [W] ou M. [S], pris en qualité de mandataire judiciaire de la société Neovia,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Trajectoire, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Neovia et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 mai 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 décembre 2019) et les productions, se plaignant de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, la société Neovia a saisi le président d'un tribunal de commerce de plusieurs requêtes identiques sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile à fin de voir ordonner des mesures d'instruction au siège social de plusieurs sociétés, dont celui de la société Trajectoire.

2. Cette requête a été accueillie par une ordonnance du 28 septembre 2018 qui a constitué l'huissier de justice séquestre des documents appréhendés et prévu qu'il ne pourra être mis fin au séquestre que par une décision de justice contradictoire l'autorisant à remettre les documents saisis. Les mesures d'instruction ont été exécutées le 8 octobre 2018.

3. La société Trajectoire a saisi un juge des référés d'une demande en rétractation, laquelle a été rejetée par une ordonnance du 20 février 2019.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La société Trajectoire fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 20 février 2019 en toutes ses dispositions, alors « que ne peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile que les mesures légalement admissibles ; que ne peuvent ainsi être autorisées que des mesures circonscrites dans le temps et dans leur objet, ne s'apparentant pas à des mesures générales d'instruction ; qu'en l'espèce, la société Trajectoire invoquait le caractère général et vague des mots-clés tels que « google », « profit », « accord », « entente », ou des prénoms courants, tels que « [N] », « [D] », « [B] », « [I] » ou encore « [F] » ; qu'en affirmant de façon générale, par motifs adoptés du premier juge, que les mesures ordonnées ne se rapportaient qu'à des mots clés précisément énumérés, en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée, sans préciser en quoi le choix de ces mots-clés dont la société Trajectoire invoquait le caractère général étaient pertinents et nécessaires à l'établissement des faits litigieux, la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé.

7. Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

8. Pour confirmer les ordonnances du 20 février 2019 ayant rejeté la demande de rétractation partielle des ordonnances du 28 septembre 2018, l'arrêt retient que les ordonnances ne ciblent pas des documents couverts par un secret d'ordre professionnel et qu'eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Neovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante.

9. Il retient, ensuite, par motifs adoptés, que l'ordonnance sur requête ne cible ni des documents personnels, ni des documents couverts par un secret d'ordre professionnel ou médical et s'en tient à des mots-clés pour découvrir l'identité des auteurs des messages dénigrants, l'écosystème concurrentiel quant aux liens pouvant unir les différentes sociétés cibles, ces dernières niant toute osmose, la recherche d'une utilisation frauduleuse des logiciels développés par la société Neovia, voire, par acronymie, donnée auxdits logiciels et la preuve de débauchage de salariés de la société Neovia, y compris par l'utilisation des prénoms desdits salariés.
10. Il ajoute, enfin, que l'ordonnance présidentielle du 20 septembre 2019 cible de façon précise une recherche volontairement limitée aux fichiers, documents et correspondances, tous en rapport avec les faits litigieux et que ladite ordonnance ne se rapporte qu'à des mots-clés précisément énumérés et en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée.

11. L'arrêt en déduit que les mesures ordonnées dans l'ordonnance du 28 septembre 2018 sont circonscrites dans leur objet et donc légalement admissibles.

12. En se déterminant ainsi, sans faire ressortir précisément, comme elle y était invitée, que les mots-clefs visant exclusivement des termes génériques (Google, accord, entente, salarié, avis, Linkedin) et les prénoms, noms et appellations des personnes contre lesquelles les mesures d'instruction avaient été sollicitées, étaient suffisamment circonscrits dans le temps et dans leur objet et que l'atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n'était pas disproportionnée au regard du but poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant l'ordonnance du 20 février 2019, il déboute la société Trajectoire de sa demande de rétractation, confirme l'ordonnance du 28 septembre 2018, rejette les autres demandes et condamne la société Trajectoire aux dépens et à payer une indemnité de 1 500 euros à la société Neovia sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 3 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Neovia aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Trajectoire

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 20 février 2019 en toutes ses dispositions ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « la société Trajectoire sollicite à titre subsidiaire la rétractation partielle de l'ordonnance sur requête ayant autorisé ces mesures d'investigations et de constat au motif que ces mesures induisent une atteinte évidente à la vie privée de M. [Y], de M. [L] et plus généralement de tous les membres de son personnel compte tenu de la saisie des informations présentes sur les ordinateurs personnels et les archives et sauvegarde et que certains mots clés visés dans l'ordonnance sont des mots courants qui ne manqueront pas de concerner ses clients, ce qui est abusif et disproportionné ;
Que la société Néovia répond que les documents à caractère personnel couverts par un quelconque secret professionnel et médical ont été écarté des mesures de constat par le juge des requêtes, et que les mots clés incriminés sont justifiés par la nécessité de mettre en lumière le système mis en place par les sociétés intimées, notamment pour détourner sa clientèle, l'utilisation frauduleuse de son logiciel, la dissimulation intentionnelle de leur véritable employeur par ses anciens salariés et l'origine des actes de dénigrement dont elle est victime
Qu'eu égard aux faits de la cause et aux preuves que la société Neovia entend établir ou conserver, les mesures ordonnées apparaissent nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante » (arrêt, p. 4 à 5) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' « que la motivation de la requête de la société Neovia SAS, faisait valoir que les défendeurs avaient mis en place des manoeuvres de dissimulation et de soustraction afin que les éléments susceptibles de révéler leurs agissements ne soient pas présents et/ou accessibles sur les équipements informatiques de la société ;
Que la même motivation de la requête de la société Neovia SAS, faisait tout autant valoir que les mêmes éléments pouvaient être sur les équipements personnels des personnes physiques ;
Qu'il est constaté que l'ordonnance querellée :
- ne cible pas des documents à caractère personnel
- ne cible pas des documents couverts par un secret d'ordre professionnel - s'en tient à des mots-clés pour découvrir :
o L'identité des auteurs de messages dénigrants
o L'écosystème concurrentiel quant aux liens pouvant unir les différentes sociétés ciblées, alors que ces dernières nient toute osmose,
o La recherche d'une utilisation frauduleuse des logiciels développés par la société NEOVIA SAS, voire, par acronymie donnée auxdits logiciels,
o La preuve de débauchage de salariés de la société Neovia SAS, y compris par l'utilisation des prénoms desdits salariés
Qu'il est rappelé que le respect de la vie privée ne constitue pas un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile ;
Que la demanderesse n'apporte aucun élément probant susceptible de justifier d'une disproportion des mesures engagées au regard de l'ordonnance présidentielle ;
Que dès lors, il convient de dire que la mesure ordonnée repose sur un motif légitime, qu'elle est nécessaire et proportionnée à la protection des droits du requérant ;
Que, de surcroît, la mission confiée à l'huissier de justice vise à constater la présence, sur la messagerie personnelle de la société ainsi que celle des personnes physiques présentes, de courriels ou de messages en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée ;
Que l'ordonnance présidentielle du 28 septembre 2018 cible de façon précise, une recherche volontairement limitée aux fichiers, documents et correspondances, tous en rapport avec les faits litigieux ;
Que, de surcroît, ladite ordonnance ne se rapporte qu'à des mots-clés précisément énumérés en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée ;
Qu'il convient alors de constater que les mesures ordonnées dans l'ordonnance querellée du 28 septembre 2018 sont circonscrites dans leur objet et donc légalement admissibles
Que dans ces conditions, il convient de débouter la société Trajectoire de sa demande de rétractation de l'ordonnance présidentielle en date du 28 septembre 2018 et dire que cette dernière doit être maintenue dans son intégralité » (cf.ordonnance du 20 février 2019, p. 4) ;

1°/ ALORS QUE ne peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile que les mesures légalement admissibles ; que ne peuvent ainsi être autorisées que des mesures circonscrites dans le temps et dans leur objet, ne s'apparentant pas à des mesures générales d'instruction; qu'en l'espèce, les mesures ordonnées par l'ordonnance sur requête autorisaient notamment l'huissier à se faire remettre tout support (à l'exclusion des documents couverts par les secrets professionnel et médical) contenant des mots clés au caractère général et vagues, tels que, notamment, les termes « google », « profit », « accord », « entente », ou des prénoms courants, tels que « [N] », « [D] », « [B] », « [I] » ou encore « [F] », susceptibles de renvoyer à un grand nombre de documents sans rapport avec les actes de concurrence déloyale dénoncés, ce qui ne permettait pas de circonscrire la recherche dans les données informatiques de la société Trajectoire aux seules données en lien avec les faits litigieux ; qu'en retenant néanmoins que les mesures ordonnées apparaissaient nécessaires et proportionnées à la protection des intérêts de la partie requérante, la cour d'appel a violé les articles 145 et 493 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE ne peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile que les mesures légalement admissibles ; que ne peuvent ainsi être autorisées que des mesures circonscrites dans le temps et dans leur objet, ne s'apparentant pas à des mesures générales d'instruction ; qu'en l'espèce, la société Trajectoire invoquait le caractère général et vague des mots clés tels que « google », « profit », « accord », « entente », ou des prénoms courants, tels que « [N] », « [D] », « [B] », « [I] » ou encore « [F] » ; qu'en affirmant de façon générale, par motifs adoptés du premier juge, que les mesures ordonnées ne se rapportaient qu'à des mots clés précisément énumérés, en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée, sans préciser en quoi le choix de ces mots clés dont la société Trajectoire invoquait le caractère général étaient pertinents et nécessaires à l'établissement des faits litigieux, la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile.

3°/ ALORS QUE ne peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile que les mesures légalement admissibles ; que ne constituent pas des mesures légalement admissibles, celles qui nécessitent que l'huissier apprécie et qualifie juridiquement les pièces qu'il découvre ; qu'en l'espèce l'ordonnance sur requête autorisait l'huissier à « de manière générale se faire communiquer et le cas échéant en prendre copie de tout fichier et/ou documents de toutes sortes susceptibles d'établir l'existence et l'étendue des agissements frauduleux depuis le 2 mars 2017, désignés dans la présente requête, de la société Trajectoire » : que l'exécution d'une telle mesure impliquait nécessairement que l'huissier apprécie et qualifie juridiquement les pièces découvertes ; qu'en retenant néanmoins qu'une telle mesure était légalement admissible, la cour d'appel a violé les article 145 et 493 du code de procédure civile, ensemble l'article 493 du même code.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 20-13198
Date de la décision : 10/06/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 03 décembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 10 jui. 2021, pourvoi n°20-13198


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.13198
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