LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 juin 2021
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 504 F-D
Pourvoi n° Z 20-12.407
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021
La société Champigny-sur-Marne, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-12.407 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société SMAC, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Ruberoid,
2°/ à M. [U] [W], domicilié [Adresse 3],
3°/ à la société SMABTP, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ à la société MMA, dont le siège est [Adresse 5], en qualité d'assureur de la société ACPC,
5°/ à la société Allianz IARD, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à la société Alfort chauffage plomberie couverture, dont le siège est [Adresse 7],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renard, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de la société Champigny-sur-Marne, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MMA, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société SMAC et de la société SMABTP, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Renard, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société civile immobilière Champigny-sur-Marne (la SCI) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [W], la société MMA, en sa qualité d'assureur de la société ACPC, et la société Allianz IARD.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 décembre 2019), pour la construction d'un immeuble, la SCI a, sous la maîtrise d'oeuvre d'exécution de la société Cegetec, confié à la société Alfort chauffage plomberie couverture (la société ACPC), assurée auprès de la société MMA, le lot plomberie chauffage VMC et à la société Ruberoid, assurée auprès de la SMABTP, le lot étanchéité.
3. La SCI a vendu en l'état futur d'achèvement à M. [W] un lot constitué d'un appartement de deux pièces situé au premier étage de l'immeuble.
4. La réception des travaux de la société ACPC a été prononcée le 16 septembre 2013, avec une réserve sans lien avec le litige. La livraison de l'appartement entre la SCI et M. [W] a eu lieu le 18 septembre 2013.
5. Se plaignant de la survenance d'infiltrations, M. [W] a, après expertise, assigné la SCI, la société ACPC, la société MMA IARD, la société Ruberoid et la SMABTP en indemnisation.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Énoncé du moyen
7. La SCI fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SMABTP, in solidum avec la société Ruberoid, à la garantir des condamnations prononcées au titre des travaux de reprise et du trouble de jouissance, des frais irrépétibles et des dépens, et de rejeter son appel en garantie contre la SMABTP, alors « qu'en cas de pluralité de parties et sauf indivisibilité, les actes accomplis par ou contre l'un des cointéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres ; que les condamnations in solidum prononcées à l'encontre du tiers responsable et son assureur ne sont pas indivisibles ; qu'en infirmant le jugement en ce qu'il avait retenu la garantie de la SMABTP après avoir constaté que l'assureur, régulièrement intimé, n'avait pas relevé appel incident du jugement et qu'en l'absence d'indivisibilité, l'appel interjeté par la société Ruberoid ne pouvait profiter à son assureur, la cour d'appel a violé les articles 323, 324 et 553 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 323, 324 et 553 du code de procédure civile :
8. Aux termes du premier texte, lorsque la demande est formée par ou contre plusieurs cointéressés, chacun d'eux exerce et supporte pour ce qui le concerne les droits et obligations des parties à l'instance.
9. Aux termes du deuxième, les actes accomplis par ou contre l'un des cointéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres, sous réserve de ce qui est dit aux articles 475, 529, 552, 553 et 615. 10. Selon le troisième, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres, même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance.
11. Pour rejeter l'appel en garantie de la SCI contre la SMABTP, l'arrêt retient que, le désordre n'étant pas de nature décennale, il n'y a pas lieu de rechercher la garantie de la SMABTP, dont l'assuré a été mis hors de cause.
12. En statuant ainsi, alors que la SMABTP n'avait pas interjeté appel incident du jugement l'ayant condamnée in solidum avec son assuré à garantir la SCI et qu'en l'absence d'indivisibilité l'appel interjeté par la société Ruberoid ne pouvait profiter à son assureur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Mise hors de cause
En application de l'article 624 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société MMA, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette l'appel en garantie de la SCI Champigny-sur-Marne contre la SMABTP, l'arrêt rendu le 6 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Met hors de cause la société MMA ;
Condamne la société SMABTP aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SMABTP à payer à la SCI Champigny-sur-Marne la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société Champigny-sur-Marne
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il a condamné la société SMABTP, in solidum avec la société Ruberoid, à garantir la SCI Champigny-sur-Marne des condamnations prononcées au profit de M. [W] à hauteur de 1 432,05 euros TTC au titre des travaux de reprise et 3 500 euros au titre du trouble de jouissance, ainsi que des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et des dépens, D'AVOIR débouté la SCI Champigny-sur-Marne de son appel en garantie formé à l'encontre de la société SMABTP et D'AVOIR condamné la SCI Champigny-sur-Marne aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise ;
AUX MOTIFS QUE sur les garanties des assureurs, le désordre n'étant pas de nature décennale, il n'y pas leu de rechercher la garantie de la société Allianz, assureur dommage-ouvrage, ni d'ailleurs celles des MMA et de la SMABTP dont les assurés ont été mis hors de cause ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu la garantie de la SMABTP ;
ALORS QU'en cas de pluralité de parties et sauf indivisibilité, les actes accomplis par ou contre l'un des cointéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres ; que les condamnations in solidum prononcées à l'encontre du tiers responsable et son assureur ne sont pas indivisibles ; qu'en infirmant le jugement en ce qu'il avait retenu la garantie de la SMABTP après avoir constaté que l'assureur, régulièrement intimé, n'avait pas relevé appel incident du jugement et qu'en l'absence d'indivisibilité, l'appel interjeté par la société Ruberoid ne pouvait profiter à son assureur, la cour d'appel a violé les articles 323, 324 et 553 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné la société Ruberoid, devenue la société SMAC, in solidum avec la société SMABTP, à garantir la SCI Champigny-sur-Marne des condamnations prononcées au profit de M. [W] à hauteur de 1 432,05 euros TTC au titre des travaux de reprise et 3 500 euros au titre du trouble de jouissance, ainsi que des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et des dépens, D'AVOIR débouté la SCI Champigny-sur-Marne de son appel en garantie formé à l'encontre de la société Ruberoid et de la société SMABTP et D'AVOIR la SCI Champigny-sur-Marne aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise ;
AUX MOTIFS QUE le désordre concernant le plafond de la chambre et de la pièce de séjour ayant été réservé le 18 septembre 2013 lors de la livraison, il ne pouvait qu'être apparent le 16 septembre 2013 jour de la réception des travaux, étant toutefois observé qu'un procès-verbal de réception des travaux, daté curieusement du 13 juin 2014 entre le maître d'ouvrage et société Ruberoid est versé aux débats pièce SCI n° 1 et fait état d'une liste annexée de réserves qui n'est pas versée aux débats ; que, quelle que soit la date de réception des travaux de la société Ruberoid, la responsabilité de droit de cette société ne peut être recherchée sur le fondement de l'article 1792 du code civil puisqu'il a été précédemment retenu que le désordre n'était pas de nature décennale ; que seule peut donc être retenue la responsabilité contractuelle de la société Ruberoid comme l'ont fait les premiers juges ; qu'or les circonstances de la survenance de ce désordre et sa cause exacte restent inconnues ; que d'ailleurs, les investigations des techniciens missionnés par les compagnies d'assurance n'avaient également pas pu définir l'origine exacte de ces infiltrations (« le complexe d'étanchéité de la terrasse de l'appartement 205 n'est pas ou n'est plus infiltrant » page 7 du rapport IBRF pièce 25 de M. [W]) ; que si l'expert a étudié l'étanchéité mise en place sur la terrasse de l'appartement situé au-dessus du lot 105 de M. [W], il n'a pas pu imputer formellement les infiltrations à un problème d'étanchéité étant rappelé que lors de la visite de M. [W] en mars 2013, ce dernier avait déjà constaté ces infiltrations et la terrasse supérieure remplie d'eau, ce que l'expert impute, page 10 de son rapport à un « engorgement ou une obstruction des descentes » ; que dès lors en l'absence de la démonstration qu'une faute de la société Ruberoid dans l'exécution de ses travaux d'étanchéité serait à l'origine de ce désordre, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de cette société et l'a condamnée à verser in solidum avec la SCI la somme de 2 369,10 euros dans la limite de 1 432,05 euros pour les travaux de reprise et l'a également condamné in solidum avec la SCI et son assureur à des dommages et intérêts pour trouble de jouissance, et en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, puis l'a condamné à garantir la SCI des condamnations prononcées par cette dernière ; (?) que sur les garanties des assureurs, le désordre n'étant pas de nature décennale, il n'y pas lieu de rechercher la garantie de la société Allianz assureur dommage-ouvrage, ni d'ailleurs celles des MMA et de la SMABTP dont les assurés ont été mis hors de cause ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu la garantie de la SMABTP ;
ALORS, 1°), QUE jusqu'à la réception des travaux, l'entrepreneur est tenu d'une obligation de résultat vis-à-vis du maître l'ouvrage ; qu'en relevant, pour rejeter l'appel en garantie formée par la SCI Champigny-sur-Marne à l'encontre de la société Ruberoid, devenue la société SMAC, et son assureur, que sa faute n'était pas démontrée cependant qu'il résultait de ses constatations que l'engorgement de la terrasse dont la société Ruberoid était chargée d'assurer l'étanchéité était apparu avant la réception des travaux et n'avait pas été résorbé, de sorte que la responsabilité du constructeur ne pouvait pas être subornée à une faute prouvée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS, 2°), QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en relevant, pour rejeter l'appel en garantie formée par la SCI Champigny-sur-Marne à l'encontre de la société Ruberoid, devenue la société SMAC, et son assureur, que sa faute n'était pas démontrée, l'expert n'ayant pas pu formellement imputer les infiltrations à un problème d'étanchéité, cependant que ce dernier avait sans ambiguïté conclu que « la première source de désordres est consécutive à une malfaçon de l'étanchéité corrigée ultérieurement » imputable à la société Ruberoid, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise, violant ainsi le principe suivant lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné la société ACPC à garantir la SCI Champigny-sur-Marne des condamnations prononcées au profit de M. [W] à hauteur de 937,05 euros TTC au titre des travaux de reprise et 3 500 euros au titre du trouble de jouissance, ainsi que des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles et des dépens, D'AVOIR débouté la SCI Champigny-sur-Marne de son appel en garantie formé à l'encontre de la société ACPC et D'AVOIR condamné la SCI Champigny-sur-Marne aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise ;
AUX MOTIFS QUE le procès-verbal de réception des travaux de la société ACPC (sa pièce n° 6) non daté et non signé du maître d'ouvrage mentionne des réserves dont aucune ne concerne l'appartement de M. [W] à part un « thermostat non posé » ; qu'il est également versé aux débats par la société ACPC un constat de levée des réserves signé cette fois des deux parties en date du 31 juillet 2014 (pièce ACPC n° 7) ; que lorsque l'expert s'est rendu sur les lieux, la fuite avait disparu : il a imputé ce désordre « a priori » à de l'eau restant dans la boîte à sable au droit des raccords de canalisations encastrées et donc à « un accident de chantier » ; qu'or cette conclusion de l'expert n'est pas de nature à établir une quelconque faute de la société ACPC dans la réalisation des travaux lui incombant : l'« accident de chantier » n'est pas explicité, l'expert procédant par pure affirmation et rien de permet de l'imputer exclusivement ou même partiellement à la société ACPC ; que dès lors, en l'absence de la démonstration qu'une faute de la société ACPC dans l'exécution de ses travaux serait à l'origine de ce désordre, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de cette société et l'a condamnée à verser in solidum avec la SCI la somme de 2 369,10 euros dans la limite de 937,05 euros TTC pour les travaux de reprise et l'a également condamnée in solidum avec la SCI et son assureur à des dommages et intérêts pour trouble de jouissance, et en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, puis l'a condamnée à garantir la SCI des condamnation prononcées contre cette dernière ;
ALORS QUE commet une faute le constructeur chargé du lot plomberie/chauffage/VMC qui ne vérifie pas, avant la livraison de l'ouvrage, l'absence de fuite des canalisations qu'il a installées ; qu'en l'espèce, en conclusion de son rapport, l'expert judiciaire avait relevé que les infiltrations apparues sur les plafonds de l'entrée, de la salle de bain et du coin cuisine provenaient d'une fuite lors de la mise en charge des réseaux qu'une vérification de la pression de ceux-ci aurait permis de déceler ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la faute de la société ACPC, que l'expert s'était contenté de constater que les désordres étaient imputables à un accident de chantier, ce qui était insuffisant pour mettre en cause la responsabilité de la société ACPC, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'expert n'avait pas également constaté qu'une simple vérification de la pression des réseaux par la société ACPC lui aurait permis de déceler la fuite et que faute d'y avoir procédé, le constructeur avait commis une faute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.