LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 3 juin 2021
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 535 F-D
Pourvoi n° T 20-13.574
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 JUIN 2021
L'Agent judiciaire de l'Etat, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Charbonnages de France suite à la clôture de sa liquidation, a formé le pourvoi n° T 20-13.574 contre les arrêts rendus les 25 octobre 2018 et 16 janvier 2020 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 3, sécurité sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [W] [D],
2°/ à Mme [Y] [D],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) [Localité 1], dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la Caisse
autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM)
4°/ au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, de Me Le Prado, avocat du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 avril 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi
1. L'Agent judiciaire de l'Etat s'est pourvu en cassation contre l'arrêt rendu le 25 octobre 2018, par la cour d'appel de Metz, en même temps qu'il s'est pourvu contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2020, par la même cour. Cependant, aucun des moyens contenus dans le mémoire n'étant dirigé contre l'arrêt rendu le 25 octobre 2018, il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre cette décision.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 16 janvier 2020), [T] [D] (la victime), employé du 12 janvier 1953 au 30 décembre 1958 puis du 26 mai 1959 au 31 mai 1988 essentiellement en qualité de mineur de fond par les Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits desquelles se sont successivement trouvés l'établissement public Charbonnages de France (l'employeur), puis l'Etat, représenté par l'Agent judiciaire de l'Etat, est décédé le [Date décès 1] 2000 d'un cancer broncho-pulmonaire primitif.
Sur la demande de sa veuve, Mme [S] épouse [D], la maladie et le décès de la victime ont été pris en charge au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, par décision de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (la CANSSM) du 11 octobre 2011.
Les ayants droit de la victime, Mme [D] et son fils, M. [W] [D], ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA) d'une demande d'indemnisation et ont accepté son offre d'indemniser, d'une part, les préjudices de la victime et, d'autre part, leur préjudice moral et d'accompagnement de fin de vie, par l'attribution de différentes sommes.3. Ils ont ensuite saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur de la victime. Le FIVA et la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM (la caisse), sont intervenus volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnisation du préjudice d'agrément subi par la victime à une certaine somme, de condamner la caisse, agissant pour le compte de la CANSSM, à verser au FIVA les sommes correspondant aux préjudices indemnisés, de déclarer opposable à l'employeur la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de la victime, de rappeler qu'en toute hypothèse la caisse est fondée à exercer son action récursoire à l'égard de l'employeur s'agissant des conséquences financières de la faute inexcusable et de condamner le liquidateur de l'employeur à rembourser à la caisse les sommes qu'elle sera tenue d'avancer au FIVA et à la veuve de la victime sur le fondement des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale, y compris la majoration de rente de conjoint survivant, alors « que le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; qu'en l'espèce, pour condamner l'employeur à verser aux ayants droits de la victime une somme de 24 300 euros au titre du préjudice d'agrément subi par leur auteur, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'il ne peut être sérieusement contesté que la victime, compte tenu de la description ci-dessus faite de la dégradation rapide de son état général a subi d'importants troubles dans ses conditions d'existence, toute activité physique lui étant devenue impossible ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence du préjudice d'agrément qu'elle entendait réparer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
6. Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.
7. Pour indemniser le préjudice d'agrément subi par la victime, l'arrêt retient qu'il ne peut être sérieusement contesté que, compte tenu de la dégradation rapide de son état général, la victime a subi d'importants troubles dans ses conditions d'existence, toute activité physique lui étant devenue impossible.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher s'il était justifié de la pratique, par la victime, d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie professionnelle susceptible de caractériser l'existence d'un préjudice d'agrément, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 octobre 2018, par la cour d'appel de Metz ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe l'indemnisation du préjudice d'agrément subi par la victime à la somme de 24 300 euros, en ce qu'il condamne la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 2], agissant pour le compte de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines, à verser au FIVA les sommes correspondant aux préjudices subis par la victime et ses ayants droit, soit un total de 174 700 euros, et en ce qu'il condamne l'établissement public Charbonnages de France, en la personne de son liquidateur M. [T], à rembourser ces sommes à la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 2], agissant pour le compte de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines, l'arrêt rendu le 16 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué, après avoir déclaré le jugement commun à la CPAM [Localité 2] agissant pour le compte de la CANSSM et déclaré le FIVA en sa qualité de subrogé dans les droits de [T] [D] et de ses ayants droits et héritiers recevable en ses demandes, d'avoir constaté que le caractère professionnel de la pathologie de [T] [D] est établi et dit que la maladie professionnelle tableau 30 bis de [T] [D] est due à la faute inexcusable de son employeur et par conséquent d'avoir ordonné la majoration à son maximum de la rente servie au conjoint survivant de la victime en application des dispositions de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et dit que cette majoration et ses arrérages échus depuis le 10 avril 2000 seront versés directement à Mme [D] par la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, d'avoir fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par [T] [D] de la manière suivante : 75 300 ? au titre du préjudice moral, 24 300 ? au titre du préjudice physique, 24 300 ? au titre du préjudice d'agrément et 3 000 ? au titre du préjudice esthétique et fixé l'indemnisation des préjudices moraux et d'accompagnement de fin de vie des ayants droit comme suit : 32 600 ? pour Mme [Y] [D] et 15 200 ? pour M. [W] [D], d'avoir condamné la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, à verser les sommes correspondant à ces préjudices au FIVA soit un total de 174 700 ?, d'avoir déclaré opposable à CdF la décision du 11 octobre 2011 de prise en charge de la maladie professionnelle de [T] [D] et rappelé qu'en toute hypothèse, la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l'égard de CdF s'agissant des conséquences financières de la faute inexcusable et condamné le liquidateur de CdF à rembourser à la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, les sommes que l'organisme social sera tenu d'avancer au FIVA et à Mme [Y] [D] sur le fondement des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale, y compris la majoration de rente du conjoint survivant ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire ; qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que c'est par des motifs sérieux et pertinents, que la cour adopte, que les premiers juges ont caractérisé la conscience du danger qu'avaient ou auraient dû avoir les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues l'établissement public Charbonnages de France, des effets nocifs de l'amiante sur la santé de M. [T] [D] ; que concernant les mesures de protections prises par l'employeur pour éviter ce risque, il ressort des attestations circonstanciées d'anciens collègues directs de M. [T] [D], à savoir Messieurs [K] [V], [L] [U] et [M] [G], que M. [T] [D] n'a jamais été mis en garde par son employeur ou par l'un de ses représentants sur les dangers que représentait l'inhalation des poussières d'amiante pour sa santé ; qu'il en résulte que M. [T] [D] n'a pas reçu de son employeur les consignes nécessaires sur les précautions à prendre pour éviter le risque amiante et donc se protéger efficacement et n'a pas été formé à la sécurité préventive spécifiquement à ce risque ; qu'il s'agit dès lors d'un manquement caractérisé de l'employeur à son obligation de prévention ; que l'information et la formation faisaient en effet partie des mesures lui incombant de nature à prévenir le risque amiante et donc à préserver la victime des dangers en résultant en termes de maladies professionnelles ; que la carence de l'employeur vis à vis de la victime a nécessairement conduit à une insuffisance des mesures de protection mises en oeuvre ; que dès qu'un risque est connu, l'employeur doit, en effet, mettre en place des moyens de protection permanents, appropriés, suffisants et efficaces ; que l'agent judiciaire de l'Etat ne peut sans contradiction prétendre que l'établissement public Charbonnages de France ne pouvait pas avoir conscience du danger lié au risque amiante et en même temps affirmer qu'il a pris les mesures nécessaires pour protéger M. [T] [D] de ce risque ; que les explications fournies par l'agent judiciaire de l'Etat et les pièces générales qu'il produit établissent que la lutte contre les poussières avait manifestement pour objectif essentiel la lutte contre la silicose ; que si des comptes rendus de réunion ou rapports émanant des services médicaux du travail devant certaines instances, telles que le comité d'hygiène et de sécurité, évoquant les maladies liées à l'utilisation de l'amiante sont produits ces documents ne sont pas de nature à contrecarrer les témoignages précités et à démontrer que la victime a été informée des dangers de l'amiante sur la santé alors qu'il ressort du compte rendu du comité d'hygiène et de sécurité du 12 septembre 1996 qu'une action de sensibilisation de l'ensemble du personnel concernant l'amiante était seulement, à cette date, en préparation (pièce n°72 de l'AJE) ; qu'en outre, si l'agent judiciaire de l'Etat souligne que Charbonnages de France a mis en place une surveillance médicale spéciale amiante dès 1977, il ne précise toutefois pas à quels salariés elle s'était appliquée et si M. [T] [D] en a été bénéficiaire ; que dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a admis l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie professionnelle de M. [T] [D] ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire ; qu'au préalable, l'EPIC Charbonnages de France a entendu soumettre au tribunal un arrêt rendu le 25 novembre 2015 (numéro de pourvoi 14-24.444), par la chambre sociale de la Cour de cassation, arrêt qui, selon l'employeur, modifierait la portée de son obligation de sécurité et lui permettrait de s'exonérer de sa responsabilité dès lors qu'il a mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage subi par son salarié ; que le tribunal rappelle que - 7 ? la jurisprudence ne fait pas la loi et qu'en tout état de cause, la portée prêtée à une décision juridictionnelle, y compris émanant de la Cour de cassation, s'apprécie à l'aune des décisions rendues ultérieurement par la même juridiction ; que ces réserves nécessaires étant faites, le tribunal constate que la Cour de cassation s'est prononcée dans le cadre d'un contentieux prud'homal portant notamment sur la demande d'un salarié de condamnation de son employeur à lui payer des dommages et intérêts pour manquement de l'entreprise à son obligation de sécurité ; qu'à supposer que cette décision revêt l'importance que lui prête l'EPIC Charbonnages de France, il en résulterait non pas une modification des critères d'appréciation de la faute inexcusable de l'employeur, mais plutôt un rapprochement du contentieux prud'homal vers celui de la sécurité sociale ; qu'en effet, devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, la faute inexcusable n'est considérée comme établie que si l'employeur, conscient du risque, n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour en préserver le salarié ; que par ailleurs et si l'employeur est bien sûr en droit d'exposer les diligences qu'il a accomplies, comme le fait Charbonnages de France en l'espèce, la charge de la preuve de la commission d'une faute inexcusable repose indiscutablement sur le salarié ; qu'ainsi que le souligne l'EPIC Charbonnages de France lui-même, les deux conditions inhérentes à l'engagement de la responsabilité de l'employeur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale sont maintenues, [Y] [D] et le FIVA devant démontrer que l'employeur était conscient du risque encouru par M. [T] [D] de contracter une pathologie de l'amiante et que les Houillères du bassin de Lorraine n'avaient pas pris toutes les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que l'EPIC Charbonnages de France conteste précisément la conscience du danger que pouvait avoir l'employeur ; que la dangerosité de l'amiante est connue en France au moins depuis le début du Xxème siècle, notamment grâce au Bulletin de l'inspection du travail de 1906 faisant état de très nombreux cas de fibroses chez des ouvriers de filatures ; que les maladies engendrées par les poussières d'amiante ont été inscrites pour la première fois au tableau des maladies professionnelles en 1945, avec création d'un tableau spécifique aux pathologies consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante dès 1950, consacré à l'asbestose, et inscription des travaux de calorifugeage au moyen d'amiante dès 1951 ; qu'ainsi les industries de fabrication n'étaient pas les seules concernées par ces travaux de calorifugeage au moyen d'amiante ; que dès le début des années 1950 donc, et quelle que fut la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre ; que cette obligation de vigilance et de prudence était d'autant plus forte pour les Houillères du bassin de Lorraine que cette entreprise utilisait déjà des quantités considérables d'amiante pour calorifuger les conduites y compris au fond, les groupes de production d'électricité et les installations de carbochimie ; que par la suite, un décret du 17 août 1977 a fixé des limites de concentration moyenne de fibres d'amiante dans les locaux de travail ainsi que les règles de protection générale ou à défaut individuelle à appliquer ; que bien que ce décret ne soit pas applicable aux mines, il était de nature à alerter de nouveau les Houillères du bassin de Lorraine quant à la nocivité de l'amiante ; que [Y] [D] rappelle à juste titre que les Houillères du bassin de Lorraine disposaient, de par leur taille, leur organisation et l'histoire de l'entreprise, de moyens considérables leur permettant d'appréhender le risque amiante en tous - 8 ? ses aspects ; qu'il résulte des pièces produites par l'employeur lui-même que la société Houillères du Bassin de Lorraine avait ainsi mis en place un service médical conséquent (147 personnes en 1984 selon Charbonnages de France) et performant dont un praticien au moins qui faisait référence quant aux pathologies liées à l'amiante, entré dans l'entreprise en 1978 ; que les Houillères du bassin de Lorraine disposaient aussi d'un centre d'études et de recherche (le CERCHAR) à la compétence reconnue en la matière ; que M. [A], un de ses membres, a participé en tant qu'intervenant au congrès mondial sur l'asbestose qui s'est tenu à Caen en 1964 ; qu'en outre, le CERCHAR a été mandaté pour effectuer des prélèvements sur le site de Jussieu contaminé à l'amiante dès 1975 ; que [Y] [D] rappelle par ailleurs que ce fut le CERCHAR qui réalisa en 1981 des analyses quant à la présence des poussières d'amiante dans l'atmosphère de la cokerie et de la centrale Émile Huchet de [Localité 3], analyses qui révélèrent des taux alarmants près de deux chaudières lors d'opérations de meulage, sans que les pièces versées par Charbonnages de France n'établissent que des mesures de sécurité aient été prises suite à ces prélèvements ; qu'enfin l'EPIC Charbonnages de France admet dans ses dernières écritures qu'à la même époque, les Houillères du Bassin de Lorraine analysaient la directive européenne sur l'amiante et envisageaient déjà les produits de remplacement qui pourraient être utilisés dans l'entreprise ; que l'employeur, qui disposait donc de personnels de compétences inégalées en matière d'amiante mais aussi de pneumoconioses, qui disposait aussi de moyens techniques très performants pour assurer des analyses et des études, ne pouvait ignorer les effets nocifs de l'amiante, y compris à l'égard des personnels qui ne manipulaient pas directement cette substance ; que par ailleurs, les Charbonnages de France, qui contestent la conscience du risque par l'entreprise Houillères du bassin de Lorraine évoquent paradoxalement des mesures de protection collective et individuelle, telles une lutte active contre les poussières, le port des masques et une surveillance médicale complète ; que sur ce dernier point, l'EPIC Charbonnages de France explique avoir mis en oeuvre une surveillance médicale spéciale amiante dès 1977, sans préciser toutefois à quels salariés elle s'était appliquée ; que de plus, l'examen des pièces produites par Charbonnages de France établit que la lutte contre les poussières avait manifestement pour objectif essentiel la lutte contre la silicose du mineur ; que les Charbonnages de France se prévalent certes du fait d'avoir diffusé auprès de leurs salariés les quelques informations sur l'amiante dont l'employeur disposait, notamment dans les années 1980, mais cette information semble limitée à quelques exposés d'ordre général sur l'amiante effectués par les médecins du travail devant les instances type CHSCT ; que dans ce contexte, il est manifeste que les Houillères du Bassin de Lorraine n'ont pas sensibilisé leurs personnels aux dangers de l'amiante, y compris dans les années 1980 ; que [M] [G], [L] [U] et [K] [V], anciens collègues de travail de [T] [D], attestent de l'absence totale de mise en garde quant aux dangers de l'amiante pour l'ensemble de la carrière professionnelle de l'intéressé ; que M. [V] précise également n'avoir reçu aucune mise en garde de la médecine du travail ; qu'en définitive, il ne résulte pas des documents produits que M. [T] [D] ait été informé du risque amiante, ni qu'il ait été formé à la sécurité préventive spécifiquement au risque amiante, ni qu'il ait bénéficié d'un suivi médical spécifique aux salariés exposés à l'amiante ; qu'au regard du souci affiché par les Houillères du Bassin de Lorraine de protéger la santé de leurs - 9 ? salariés, cette carence vis-à-vis des effets nocifs de l'amiante ne se justifie d'aucune manière ; qu'en définitive c'est à juste titre que [Y] [D] fait valoir une faute inexcusable commise par les Charbonnages de France venant aux droits des Houillères du bassin de Lorraine qui ont eu conscience du danger auquel ils exposaient leur salarié M. [T] [D] et qui n'ont pas pris toutes les mesures de protection nécessaires pour l'en préserver ; que cette faute inexcusable sera donc reconnue ;
1°) ALORS QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures de prévention et de protection nécessaires pour l'en préserver ; qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont est décédé [T] [D], « un manquement caractérisé de l'employeur à son obligation de prévention », en soulignant que « l'information et la formation faisaient en effet partie des mesures lui incombant de nature à prévenir le risque amiante et donc à préserver la victime des dangers en résultant en termes de maladies professionnelles », sans constater la carence de l'employeur en ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de protection de ses salariés, qu'elles soient individuelles ou collectives, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 451-2 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis en statuant par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont est décédé [T] [D], que la carence de l'employeur dans ses obligations d'information et de formation a nécessairement conduit à une insuffisance des mesures de protection mises en oeuvre, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en relevant, pour retenir l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont est décédé [T] [D], qu'en outre, si l'agent judiciaire de l'Etat souligne que Charbonnages de France a mis en place une surveillance médicale spéciale amiante dès 1977, il ne précise toutefois pas à quels salariés elle s'était appliquée et si [T] [D] en a été bénéficiaire, cependant qu'il appartenait aux ayants droit de la victime d'établir qu'elle n'avait pas fait l'objet d'une surveillance médicale spéciale amiante, ce qui ne ressortait nullement des attestations qu'ils versaient aux débats, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article L. 451-2 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué, après avoir déclaré le jugement commun à la CPAM [Localité 2] agissant pour le compte de la CANSSM et déclaré le FIVA en sa qualité de subrogé dans les droits de [T] [D] et de ses ayants droits et héritiers recevable en ses demandes, d'avoir fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par [T] [D] de la manière suivante : (?) 24 300 ? au titre du préjudice d'agrément, d'avoir condamné la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, à verser les sommes correspondant à ces préjudices au FIVA, d'avoir déclaré opposable à CdF la décision du 11 octobre 2011 de prise en charge de la maladie professionnelle de [T] [D] et rappelé qu'en toute hypothèse, la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l'égard de CdF s'agissant des conséquences financières de la faute inexcusable et condamné le liquidateur de CdF à rembourser à la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, les sommes que l'organisme social sera tenu d'avancer au FIVA et à Mme [Y] [D] sur le fondement des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale, y compris la majoration de rente du conjoint survivant ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Sur le préjudice d'agrément s'agissant de ce poste de préjudice, il ne peut être sérieusement contesté en l'espèce que M. [D], compte tenu de la description ci-dessus faite de la dégradation rapide de son état général a subi d'importants troubles dans ses conditions d'existence, toute activité physique lui étant devenue impossible ; qu'au titre du préjudice d'agrément subi pendant la maladie traumatique, il convient de fixer l'indemnisation à la somme de 24 300 euros ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Sur les préjudices personnels de [T] [D] (?) les héritiers de [T] [D], à savoir son épouse et leur fils, ont accepté la proposition du FIVA d'indemniser comme suit les préjudices de M. [D] consécutifs à cette maladie professionnelle : 75 300 euros au titre du préjudice moral, 24 300 euros au titre du préjudice physique, 24 300 euros au titre du préjudice d'agrément et 3 000 euros au titre du préjudice esthétique (?) ; que le Fonds demande au tribunal de fixer les préjudices extrapatrimoniaux de M. [D] et les préjudices moraux de ses ayants droits dans des termes identiques ; qu'aucune des parties, en particulier l'EPIC Charbonnages de France, n'a contesté le principe et/ou le montant des indemnités ainsi allouées ; que les préjudices personnels de [T] [D] sont donc fixés comme suit : 75 300 euros au titre du préjudice moral, 24 300 euros au titre du préjudice physique, 24 300 euros au titre du préjudice d'agrément et 3 000 euros au titre du préjudice esthétique ; (?) la CPAM [Localité 2] agissant pour le compte de la CANSSM devra avancer ces sommes au FIVA créancier subrogé ;
ALORS QUE le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; qu'en l'espèce, pour condamner l'employeur à verser aux ayants droits de la victime une somme de 24 300 euros au titre du préjudice d'agrément subi par leur auteur, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'il ne peut être sérieusement contesté que M. [D], compte tenu de la description ci-dessus faite de la dégradation rapide de son état général a subi d'importants troubles dans ses conditions d'existence, toute activité physique lui étant devenue impossible ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence du préjudice d'agrément qu'elle entendait réparer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué, après avoir déclaré le jugement commun à la CPAM [Localité 2] agissant pour le compte de la CANSSM et déclaré le FIVA en sa qualité de subrogé dans les droits de [T] [D] et de ses ayants droits et héritiers recevable en ses demandes, d'avoir fixé l'indemnisation des préjudices moraux et d'accompagnement de fin de vie des ayants droit comme suit : 32 600 ? pour Mme [Y] [D] et 15 200 ? pour M. [W] [D], d'avoir condamné la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, à verser les sommes correspondant à ces préjudices au FIVA, d'avoir déclaré opposable à CdF la décision du 11 octobre 2011 de prise en charge de la maladie professionnelle de [T] [D] et rappelé qu'en toute hypothèse, la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l'égard de CdF s'agissant des conséquences financières de la faute inexcusable et condamné le liquidateur de CdF à rembourser à la CPAM [Localité 2], agissant pour le compte de la CANSSM, les sommes que l'organisme social sera tenu d'avancer au FIVA et à Mme [Y] [D] sur le fondement des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale, y compris la majoration de rente du conjoint survivant ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Sur le préjudice moral subi par les ayants droits de Monsieur [D] le décès de Monsieur [T] [D] survenu à l'âge de 62 ans du fait de sa maladie professionnelle a causé à ses proches qui ont assisté à son dépérissement puis ont souffert de son décès, un préjudice moral que les premiers juges ont justement indemnisé à hauteur de 32 600 euros s'agissant de son épouse Madame [Y] [D] avec laquelle il était marié depuis 27 ans et de 15 200 euros pour son fils [W] [D] ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Sur les préjudices (?) moraux et d'accompagnement de fin de vie de ses ayants droits (?) de plus, [Y] [D] a accepté la somme de 32 600 euros au titre de son préjudice moral et d'accompagnement de fin de vie et [W] [D] le fils du couple a accepté la somme de 15 200 euros : que le Fonds demande au tribunal de fixer les préjudices extrapatrimoniaux de M. [D] et les préjudices moraux de ses ayants droits dans des termes identiques ; qu'aucune des parties, en particulier l'EPIC Charbonnages de France, n'a contesté le principe et/ou le montant des indemnités ainsi allouées ; (?) que les préjudices moraux et d'accompagnement de fin de vie de ses ayants droits sont fixés comme suit : 32 600 euros pour [Y] [D], 15 200 euros pour [W] [D] ; que la CPAM [Localité 2] agissant pour le compte de la CANSSM devra avancer ces sommes au FIVA créancier subrogé ;
1°) ALORS QU'en retenant que le décès de [T] [D] survenu à l'âge de 62 ans du fait de sa maladie professionnelle a causé à ses proches qui ont assisté à son dépérissement puis ont souffert de son décès, un préjudice moral que les premiers juges ont justement indemnisé à hauteur de 32 600 euros s'agissant de son épouse Madame [Y] [D] avec laquelle il était marié depuis 27 ans et de 15 200 euros pour son fils [W] [D], sans distinguer, pour les évaluer séparément, le préjudice d'accompagnement de fin de vie et le préjudice d'affection, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
2°) ALORS QUE le préjudice spécifique d'accompagnement de fin de vie a pour objet d'indemniser les troubles et perturbations dans les conditions d'existence d'un proche qui partageait habituellement une communauté de vie affective et effective avec la victime ; qu'en se bornant dès lors à relever que le décès de [T] [D] a causé à ses proches qui ont assisté à son dépérissement un préjudice moral, sans constater l'existence d'une communauté de vie effective entre la victime, d'une part, et son fils, d'autre part, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 452-3, alinéa 2, du code de la sécurité sociale et du principe de la réparation intégrale ;
Le greffier de chambre