LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 20-81.155 F-D
N° 00795
SM12
26 MAI 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 MAI 2021
M. [L] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 11 décembre 2019, qui, pour non renouvellement du contrat de travail salarié en considération de l'état de grossesse, l'a condamné à 1 500 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [L] [X], les observations de Me Le Prado, avocat de Mme [X] [R], épouse [E] et le syndicat SAMPL- CGT, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Pendant la période du mois d'août 2008 au mois d'août 2014, Mme [X] [R] épouse [E] a été engagée par le ballet de l'Opéra de [Localité 1] en qualité de danseuse soliste, sous la direction artistique de M. [X], directeur de la danse.
3. Par lettre du 31 janvier 2014, M. [X] a adressé à Mme [R], qui venait de rentrer d'un congé maternité, une lettre l'informant qu'il ne lui proposerait pas le renouvellement de son contrat pour la saison suivante. Le même jour, il a adressé à la direction de l'emploi et des compétences de la Ville de [Localité 1] une lettre justifiant le non-renouvellement du contrat de l'intéressée, en invoquant son style resté très classique et des faiblesses techniques et stylistiques qui l'empêchaient d'interpréter le répertoire du ballet de l'Opéra de [Localité 1], exclusivement contemporain.
4. Le 3 février suivant, M. [X] et Mme [R] ont eu un entretien que cette dernière a enregistré à l'insu du premier.
5. Le 17 septembre 2014, Mme [R] a déposé plainte auprès du procureur de la République de Lyon du chef de discrimination à raison de sa grossesse, lequel a diligenté une enquête puis a fait citer M. [X] devant le tribunal correctionnel.
6. Les premiers juges ayant déclaré les faits de discrimination établis, le prévenu, puis le ministère public, ainsi que la partie civile, ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de
l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [X] coupable de discrimination dans les conditions de travail ou dans le déroulement de la carrière d'un salarié, alors :
« 2°/ que le délit de discrimination dans les conditions de travail ou dans le déroulement de la carrière d'un salarié suppose que son auteur ait la qualité d'employeur ou puisse être regardé comme le représentant de ce dernier ; que, sauf délégation de pouvoirs, la seule circonstance que le renouvellement du contrat liant un agent à une collectivité territoriale ne puisse avoir lieu que sur proposition du responsable d'un service d'une association à la disposition de laquelle cet agent est placé ne fait de ce dernier, ni l'employeur, qui demeure la collectivité décisionnaire, ni un représentant de ce dernier ; qu'en se bornant à constater la circonstance, inopérante, que le prévenu, directeur artistique de l'Opéra de [Localité 1], était la seule personne ayant autorité pour proposer le renouvellement du contrat sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il ne résultait pas de l'absence de qualité d'employeur et de délégation de pouvoirs l'impossibilité de qualifier les décisions ou mesures prises par le prévenu de discrimination dans les conditions de travail ou dans le déroulement de la carrière d'un salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code du travail ;
3°/ que le délit de discrimination dans les conditions de travail ou dans le déroulement de la carrière d'un salarié visé par L.1142-1 3° du code du travail suppose la mise en oeuvre d'une mesure notamment en matière de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation ; qu'en qualifiant de mesure au sens de cette disposition le seul fait de ne pas avoir proposé à l'employeur le non renouvellement d'un contrat, la cour d'appel a violé l'article L.1142-1 du code du travail ;
4°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur l'extrait d'une conversation ayant eu lieu entre le prévenu et la partie civile enregistrée par la seconde à l'insu du premier sans se prononcer sur la valeur probante de cet élément de preuve en tenant compte des circonstances précises dans lesquelles les propos ont été tenus ; qu'en déduisant la prise en considération de la grossesse dans la décision de ne pas proposer la prolongation du contrat d'un propos extrait d'une conversation entre le prévenu et la partie civile sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la valeur probante de cet élément de preuve n'était pas compromise par la circonstance que cet enregistrement avait été réalisé à l'insu du prévenu et que la conversation avait été menée par la partie civile exclusivement dans le but de provoquer le prévenu à faire des déclarations compromettantes ou à tout le moins à créer un contexte dans lequel ses déclarations seraient interprétées comme une reconnaissance des faits reprochés, la cour d'appel a violé les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ qu'en se bornant à se référer aux déclarations de tiers vantant les compétences de la partie civile, à l'extrait d'une conversation avec la partie civile enregistrée par cette dernière à l'insu du prévenu et aux déclarations faites par ce dernier devant les enquêteurs aux termes desquelles il se limitait à constater que la maternité pouvait engendrer des difficultés de gestion du personnel de la compagnie de danseurs si cette dernière n'a pas les moyens d'assurer des remplacements sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il ne résultait pas de la politique de recrutement de l'Opéra de [Localité 1] consistant à ne reconduire en contrat à durée indéterminée que les danseurs ayant intégré la troupe dès dix-huit ans ou ceux démontrant des qualités exceptionnelles, et à limiter en outre ce renouvellement aux cinq danseurs les plus distribués, et de la circonstance que, nonobstant les compétences de la partie civile décrites par les déclarations précitées, l'intéressée ne présentait pas ces qualités exceptionnelles et ne faisait pas partie des cinq danseurs les plus distribués, que la décision de ne pas proposer la prolongation du contrat était fondée sur des éléments objectifs nonobstant les considérations personnelles dont le prévenu avait pu faire part postérieurement à cette décision au cours d'un entretien enregistré à son insu, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches
9. Pour retenir la responsabilité pénale de M. [X], l'arrêt attaqué, après avoir précisé qu'aux termes de l'article 4 du règlement intérieur de l'Opéra de [Localité 1], les artistes danseurs sont engagés par le maire de [Localité 1] sur proposition du directeur général de l'Opéra et du directeur de ballet, énonce que Mme [R] a été embauchée en 2008 à l'Opéra de [Localité 1] en contrat à durée déterminée pour une durée d'un an, renouvelable cinq fois, et qu'à l'échéance de son dernier contrat à durée déterminée, le renouvellement de son contrat de travail ne pouvait se faire qu'en contrat à durée indéterminée.
10. Les juges ajoutent, après avoir rappelé que l'article 7 du règlement précité expose que si le directeur du ballet de l'Opéra de [Localité 1] décide de ne pas proposer un nouveau contrat à un artiste danseur, il doit l'en informer par écrit au plus tard le 31 janvier, que M. [X], en sa qualité de directeur de la danse, a adressé en janvier 2014 une correspondance à la direction compétente de la ville de [Localité 1] par laquelle il lui a demandé, en application de l'article 7, de ne pas proposer de contrat à Mme [R] pour la saison 2014-2015.
11. La cour d'appel conclut que M. [X], qui, en sa qualité de directeur de la danse à l'Opéra de [Localité 1], était statutairement seul compétent pour proposer ou non le renouvellement du contrat des danseurs en vertu du règlement intérieur, a pris une mesure concernant Mme [R] relative à sa qualification, sa classification et sa promotion professionnelle.
12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
13. En effet, en premier lieu, la recommandation de ne pas proposer le renouvellement du contrat d'un danseur, faite par le directeur de la danse à l'employeur, en application du règlement intérieur de l'Opéra de [Localité 1], s'analyse en une mesure au sens de l'article L. 1142-1 du code du travail.
14. En second lieu, il suffit qu'une telle mesure ait été proposée par une personne participant, de par ses fonctions, au pouvoir de direction de la personne morale qui la met en oeuvre, ou de l'un de ses organes, pour que cette personne physique, qu'elle ait ou non reçu une délégation de pouvoir, soit susceptible de faire l'objet de poursuites à raison de ce texte.
15. Ainsi, les griefs ne sont pas fondés.
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
16. Pour déclarer les faits établis, l'arrêt retient, notamment, et après qu'il a été procédé au cours de l'audience à l'écoute contradictoire de l'enregistrement de M. [X] réalisé par Mme [R], que l'intéressé a dans cette conversation, sciemment et expressément admis qu'une des raisons de son choix de ne pas proposer le renouvellement du contrat de la partie civile avait été la prise en considération de sa grossesse et de la naissance de son enfant.
17. Les juges ajoutent que Mme [R] justifie avoir dansé de 1997 à 2008, en qualité de soliste au [P] Ballet de [Localité 2] sous la direction de [I] [P] dans des distributions prestigieuses et avoir au cours de sa carrière de soliste à l'Opéra de [Localité 1] interprété des rôles principaux dans des ballets d'[Z] [Z], [F] [N], [E] [T], [D] [B], [A] [O], [U] [L], notamment.
18. La cour d'appel précise encore que M. [S] [W] président du conseil de la Fondation [P], Mme [Q] [A], danseuse étoile et chorégraphe, M. [M] [V], directeur d'études chorégraphiques à l'Opéra de [Localité 3], notamment, attestent de la parfaite technique de l'intéressée, de ses interprétations de grande qualité, de son talent, son sérieux, en ce y compris dans le répertoire contemporain.
19. Les juges concluent que le jugement porté par M. [X] sur l'insuffisance de la technique de Mme [R] en danse contemporaine, par lequel il a officiellement et formellement justifié sa proposition de non-renouvellement, dans sa correspondance adressée à la ville de [Localité 1], n'est pas fondé, et qu'il a en revanche pris en considération la grossesse de Mme [R], critère illicite.
20. En l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel a suffisamment justifié sa décision.
21. Ainsi, le moyen, qui revient en ses quatrième et cinquième branches à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli.
22. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [L] [X] devra payer à Mme [R] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six mai deux mille vingt et un.