LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mai 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 444 F-D
Pourvoi n° N 20-13.638
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021
1°/ la société Kaeser compresseurs France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Kaeser Kompressoren, dont le siège est [Adresse 2][Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° N 20-13.638 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Dalkia, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de la société AGF,
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Kaeser compresseurs France et Kaeser Kompressoren, de Me Haas, avocat de la société Dalkia, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 9 janvier 2020), la société Dalkia a acquis auprès de la société Kaeser compresseurs France cinq "surpresseurs" fabriqués par la société Kaeser Kompressoren (les sociétés Kaeser).
2. Invoquant des dysfonctionnements affectant ces matériels, la société Dalkia a assigné les sociétés Kaeser devant le juge des référés d'un tribunal de commerce sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et obtenu une mesure d'expertise.
3. Ultérieurement, la société Dalkia a saisi le président du même tribunal de commerce, chargé du contrôle de l'expertise, d'une demande d'extension de la mission de l'expert, tandis que les sociétés ont sollicité sa récusation.
4. Une ordonnance du 18 juin 2018 a désigné un nouvel expert après que le juge se soit déclaré valablement saisi, a admis la récusation du précédent expert et étendu la mission initiale. Les sociétés Kaeser ayant interjeté appel, par une déclaration le 11 mars 2019 limitant l'appel à l'extension de la mission de l'expert, suivie d'une nouvelle déclaration le 10 avril 2019 étendant l'appel à tous les chefs de dispositif de la décision, la société Dalkia a invoqué l'irrecevabilité de cette seconde déclaration devant un conseiller de la mise en état et déféré à la cour d'appel l'ordonnance la déclarant recevable.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Kaeser font grief à l'arrêt de déclarer l'appel formé par la déclaration du 10 avril 2019 irrecevable, alors :
« 1° / que l'appelant principal qui a limité son recours à certaines dispositions de la décision entreprise peut, dans le délai d'appel, l'étendre à d'autres chefs par une déclaration d'appel complémentaire ; qu'en jugeant l'appel formé par les sociétés Kaeser le 10 avril 2019 irrecevable au motif que la cour d'appel était régulièrement saisie du premier appel formé par ces sociétés, qui n'avaient dès lors plus intérêt à interjeter appel, quand cette seconde déclaration d'appel avait été formée dans le délai d'appel afin d'étendre la dévolution à des chefs de l'ordonnance qui n'avaient pas été visés par la première déclaration, la cour d'appel a violé les articles 546, 562 et 901 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en toute hypothèse, interdire à l'appelant principal d'étendre, dans le délai d'appel, par une déclaration d'appel complémentaire, l'effet dévolutif de son recours à des chefs qui n'avaient pas été expressément visés dans sa première déclaration d'appel porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel ; qu'en jugeant l'appel formé par les sociétés Kaeser le 10 avril 2019 irrecevable au motif que la cour d'appel était régulièrement saisie du premier appel formé par ces sociétés, qui n'avaient dès lors plus intérêt à interjeter appel, quand cette seconde déclaration d'appel avait été formée dans le délai d'appel afin d'étendre la dévolution à des chefs de l'ordonnance qui n'avaient pas été visés par la première déclaration, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 546, 562 et 901 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
6. Selon le troisième de ces textes, la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
7. Il résulte de ce texte et des deux premiers, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la déclaration d'appel, nulle, erronée ou incomplète, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai pour conclure, une seconde déclaration d'appel pouvant ainsi venir étendre la critique du jugement à d'autres chefs non critiqués dans la première déclaration, la seconde déclaration s'incorporant à la première.
8. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par déclaration du 10 avril 2019, l' arrêt retient que cette déclaration s'ajoute à celle du 11 mars 2019, formée par les mêmes parties contre la même intimée à l'encontre de la même décision, et que la cour d'appel est régulièrement saisie du premier appel de sorte que celui formé le 10 avril 2019 est irrecevable, faute d'intérêt à interjeter appel.
9. En statuant ainsi, alors que l'appelant est en droit d'étendre son appel, par une déclaration complétant les chefs de dispositifs critiqués par la précédente, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure, de telle sorte que le point de départ pour conclure qui court à compter de la première déclaration n'en est pas modifié, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Dalkia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dalkia et la condamne à payer aux sociétés Kaeser compresseurs France et Kaeser Kompressoren la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour les sociétés Kaeser compresseurs France et Kaeser Kompressoren
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré l'appel formé par la déclaration du 10 avril 2019 irrecevable ;
AUX MOTIFS QUE la déclaration d'appel du 10 avril 2019 est une nouvelle déclaration d'appel s'ajoutant à une déclaration d'appel du 11 mars 2019 formée par les mêmes parties contre la même intimée à l'encontre de la même décision ; que les Sa Kaeser Compresseurs France et société Kaeser Kompressoren objectent que la première déclaration d'appel porte sur certaines dispositions de l'ordonnance déférée tandis que la seconde déclaration d'appel porte sur la totalité de ses dispositions ; que, cependant, la cour d'appel est régulièrement saisie du premier appel formé par les Sa Kaeser Compresseurs France et société Kaeser Kompressoren, de sorte que l'appel formé le avril est irrecevable, faute d'intérêt à interjeter appel ;
1°) ALORS QUE l'appelant principal qui a limité son recours à certaines dispositions de la décision entreprise peut, dans le délai d'appel, l'étendre à d'autres chefs par une déclaration d'appel complémentaire ; qu'en jugeant l'appel formé par les sociétés Kaeser le 10 avril 2019 irrecevable au motif que la cour d'appel était régulièrement saisie du premier appel formé par ces sociétés, qui n'avaient dès lors plus intérêt à interjeter appel, quand cette seconde déclaration d'appel avait été formée dans le délai d'appel afin d'étendre la dévolution à des chefs de l'ordonnance qui n'avaient pas été visés par la première déclaration, la cour d'appel a violé les articles 546, 562 et 901 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, interdire à l'appelant principal d'étendre, dans le délai d'appel, par une déclaration d'appel complémentaire, l'effet dévolutif de son recours à des chefs qui n'avaient pas été expressément visés dans sa première déclaration d'appel porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel ; qu'en jugeant l'appel formé par les sociétés Kaeser le 10 avril 2019 irrecevable au motif que la cour d'appel était régulièrement saisie du premier appel formé par ces sociétés, qui n'avaient dès lors plus intérêt à interjeter appel, quand cette seconde déclaration d'appel avait été formée dans le délai d'appel afin d'étendre la dévolution à des chefs de l'ordonnance qui n'avaient pas été visés par la première déclaration, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.