LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 mai 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 399 F-D
Pourvoi n° J 20-15.705
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MAI 2021
1°/ Mme [D] [X], épouse [B],
2°/ M. [I] [B],
domiciliés tous deux [Adresse 1] (Royaume-Uni),
ont formé le pourvoi n° J 20-15.705 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2020 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le litige les opposant à Mme [J] [E], veuve [P], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme [B], de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [E], après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 16 janvier 2020), Mme [E], propriétaire d'une parcelle cadastrée B [Cadastre 1], se prévalant d'une servitude de passage résultant d'un acte de vente du 29 janvier 1973 par lequel elle avait divisé son fonds, a assigné M. et Mme [B], propriétaires du fonds servant cadastré B [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 4], en rétablissement du passage. M. et Mme [B] ont prétendu que la servitude était éteinte par non-usage trentenaire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. et Mme [B] font grief à l'arrêt de les condamner, sous astreinte, à rétablir, au profit de la parcelle cadastrée section B [Cadastre 1], le passage sur leur propriété dans des conditions conformes aux stipulations de l'acte de vente du 29 janvier 1973, alors :
« 1°/ que seul le propriétaire dont le fonds est enclavé et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante est fondé à réclamer sur le fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fonds ; que l'état d'enclave doit être écarté lorsque les obstacles entravant l'accès ou empêchant de donner à l'issue un caractère suffisant peuvent être levés grâce à des travaux dont le coût ne serait pas disproportionné ; qu'en l'espèce, pour dire enclavé le fonds de Mme [P], la cour d'appel a retenu qu' « en l'état de la configuration actuelle des lieux, Mme [P] ne dispose d'aucun accès direct et suffisant pour accéder à sa parcelle » ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que l'absence d'accès n'était due qu'à la configuration actuelle des lieux et qu'il n'était nullement allégué que cet état était insurmontable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 682 du code civil ;
2°/ subsidiairement, que les servitudes conventionnelles s'éteignent par non-usage pendant trente ans ; qu'une convention peut, selon l'intention des parties, se borner à fixer les modalités de l'assiette d'une servitude légale de passage pour cause d'enclave ou constituer une servitude conventionnelle de passage excluant l'état d'enclave ; qu'en l'espèce, les époux [B] soutenaient que la servitude dont se prévalait Mme [P] était éteinte par non usage trentenaire ; qu'ils versaient aux débats un constat d'huissier du 14 août 2018 établissant que le passage revendiqué par Mme [E] n'était manifestement pas entretenu ni utilisé et des attestations dont il ressortait que Mme [E] n'avait jamais utilisé le chemin litigieux, même à pied, depuis plus de trente ans ; que pour décider que la servitude dont bénéficiait Mme [P] était légale de sorte que l'extinction par non-usage n'était pas applicable, la cour d'appel a déduit de la seule constatation de la situation d'enclave du fonds qu' « elle constitu[ait] dès lors la cause déterminante de la servitude de passage conventionnelle » ; qu'en déduisant de la seule constatation de l'état d'enclave que la convention ne faisait qu'aménager la servitude légale pour cause d'enclave, sans rechercher quelle avait été l'intention des parties à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 682 et 706 du code civil ;
3°/ en toute hypothèse, que contrairement au droit lui-même, l'assiette d'une servitude légale de passage pour cause d'enclave se perd par le non-usage trentenaire ; qu'en l'espèce, les époux [B] soutenaient que la servitude dont se prévalait Mme [P] était éteinte par non usage trentenaire ; qu'ils versaient aux débats un constat d'huissier du 14 août 2018 établissant que le passage revendiqué par Mme [E] n'était manifestement pas entretenu ni utilisé ainsi que des attestations dont il ressortait que Mme [E] n'avait jamais utilisé le chemin litigieux, même à pied, depuis plus de trente ans ; qu'en déduisant de la nature légale de la servitude de passage que celle-ci « ne saurait s'éteindre par un non usage trentenaire » et qu'elle n'était, dès lors, pas « tenue d'examiner les attestations produites à cet effet par les deux parties », quand le non-usage trentenaire pouvait entraîner la perte, sinon du droit, du moins de l'assiette de la servitude de Mme [P], la cour d'appel a violé l'article 685 du code civil. »
Réponse de la Cour
3. La cour d'appel a relevé qu'hors l'issue sur la voie publique que Mme [E], en divisant son fonds, avait réservée à sa parcelle B [Cadastre 1] par le passage convenu sur le tènement vendu, le seul accès existant s'effectuait depuis la route communale, bordée par un mur en pierres d'une hauteur de deux mètres, par un chemin piétonnier présentant une forte déclivité, et traversant le fonds d'un tiers.
4. Elle a souverainement retenu de ses constatations que, la division foncière ayant privé la parcelle B [Cadastre 1] de tout accès direct et suffisant à la voie publique, la convention de servitude avait eu pour cause déterminante l'enclavement de cette parcelle, et elle en a exactement déduit que les dispositions de l'article 706 du code civile ne s'appliquaient pas à la servitude litigieuse et que le non usage trentenaire invoqué n'avait en conséquence pu causer l'extinction du droit de servitude, seule invoquée par M. et Mme [B].
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [B] et les condamne à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [B].
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné M. [I] [B] et Mme [D] [X], épouse [B], à rétablir, au profit de la parcelle cadastrée section B n° [Cadastre 1], le passage sur leur propriété dans des conditions conformes aux stipulations de l'acte de vente du 29 janvier 1973, sous astreinte de la somme de 50 euros par jour de retard une fois passé le délai d'un mois à compter de la signification du jugement ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur l'extinction de la servitude, au visa des articles 686 et suivants du code civil, « il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et, pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public. L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles ci-après. » ; que les servitudes passées ne sont opposables à l'acquéreur que si elles sont mentionnées dans le titre de propriété ou si la convention de servitude a été publiée aux services de la publicité foncière ; qu'en l'espèce, la servitude de passage instaurée par l'acte de vente passé le 29 janvier 1973 entre Mme [P] et les consorts [Y] a été reprise dans l'acte de vente passé le 15 septembre 1979 entre les consorts [Y] et les consorts [T], mais a été omise dans celui passé le 23 août 1999 entre les consorts [T] et les consorts [B] ; qu'elle résulte toutefois indiscutablement des titres précédents qui ont fait l'objet de publication au service de la publicité foncière ; que cette servitude conventionnelle, dont l'existence est établie, est opposable à M. et Mme [B] ; que l'article 706 du code civil dispose : « la servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans » ; que l'extinction par non-usage édictée par cet article ne s'applique qu'aux servitudes conventionnelles et non pas aux servitudes légales pour cause d'enclave ; mais que, si l'état d'enclave est la cause déterminante de la clause conventionnelle, alors l'extinction pour non-usage n'est pas applicable ; qu'un premier constat dressé à l'initiative de Mme [P] le 23 juin 2017 par Me [G], huissier de justice au Cheylard, relève : ? que le chemin empruntant les parcelles n° [Cadastre 3] et [Cadastre 4] est carrossable et aménagé pour y circuler en voiture, longe le garage et la piscine de la propriété [B], présente une largeur de 3,60 mètres sur laquelle empiète à hauteur de ce mur un petit bâtiment de 1 mètre de large, abritant une pompe à chaleur, et présente à son extrémité côté [P] une grille métallique ancienne au pied de laquelle des arbustes sont plantés, ? qu'entre la parcelle B148 et la route communale il existe un important dénivelé et un mur en pierre d'une hauteur de deux mètres, qui rendent impossible un accès direct depuis cette route communale ;
Qu'un second constat établi à l'initiative de M. et Mme [B] le 14 août 2018 par Me [U], huissier de justice à Largentière, retient : ? que le chemin revendiqué est bordé d'un ravin d'un côté, et présente en contrebas de son extrémité un talus non stabilisé, rendant son utilisation dangereuse, ; ? que depuis la route communale se dessine un chemin piétonnier et herbeux (dont la largeur n'est pas précisée), qui présente une forte déclivité, et qui permet d'accéder à la parcelle B[Cadastre 1] en traversant la parcelle B[Cadastre 5] ; que, selon l'attestation peu claire établie par Mme [H], le propriétaire serait M. [D], qui utiliserait l'accès depuis la route par son propre portail pour y conduire ses bêtes ; que ce propriétaire, quel qu'il soit, n'a pas été appelé en cause ; qu'en l'état de la configuration actuelle des lieux, Mme [P] ne dispose d'aucun accès direct et suffisant pour accéder à sa parcelle. La situation d'enclave est caractérisée ; qu'elle constitue dès lors la cause déterminante de la servitude de passage conventionnelle qui a été établie au profit de Mme [P], et qui ne saurait s'éteindre par un non usage trentenaire, sans que la cour soit tenue d'examiner les attestations produites à cet effet par les deux parties, Mme [P] est ainsi bien fondée à revendiquer le rétablissement du passage constituant la servitude conventionnelle au profit de son fonds, tant dans son principe que dans ses modalités d'exécution fixées par le tribunal ; que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU'aux termes de l'article 691 du code civil : « les servitudes continues et non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparente, ne peuvent s'établir que par titres (?) » ; qu'en l'espèce, la servitude de passage invoquée par la demanderesse, qui est discontinue et apparente, est établie par l'acte notarié du 29 janvier 1973 ; que, par ailleurs, il résulte du constat d'huissier du 23 janvier 2017 que les propriétaires du fonds servant ont obstrué le passage ; qu'en conséquence, il convient de condamner M. et Mme [B] à rétablir le passage sur leur propriété dans les conditions prévues à l'acte de vente du 29 janvier 1973 et sous astreinte de la somme de 50 euros par jour de retard une fois passé le délai d'un mois à compter de la signification du jugement ;
1) ALORS QUE seul le propriétaire dont le fonds est enclavé et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante est fondé à réclamer sur le fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fonds ; que l'état d'enclave doit être écarté lorsque les obstacles entravant l'accès ou empêchant de donner à l'issue un caractère suffisant peuvent être levés grâce à des travaux dont le coût ne serait pas disproportionné ; qu'en l'espèce, pour dire enclavé le fonds de Mme [P], la cour d'appel a retenu qu' « en l'état de la configuration actuelle des lieux, Mme [P] ne dispose d'aucun accès direct et suffisant pour accéder à sa parcelle » ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que l'absence d'accès n'était due qu'à la configuration actuelle des lieux et qu'il n'était nullement allégué que cet état était insurmontable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 682 du code civil ;
2) ALORS, subsidiairement, QUE les servitudes conventionnelles s'éteignent par non-usage pendant trente ans ; qu'une convention peut, selon l'intention des parties, se borner à fixer les modalités de l'assiette d'une servitude légale de passage pour cause d'enclave ou constituer une servitude conventionnelle de passage excluant l'état d'enclave ; qu'en l'espèce, les époux [B] soutenaient que la servitude dont se prévalait Mme [P] était éteinte par non usage trentenaire ; qu'ils versaient aux débats un constat d'huissier du 14 août 2018 établissant que le passage revendiqué par Mme [E] n'était manifestement pas entretenu ni utilisé et des attestations dont il ressortait que Mme [E] n'avait jamais utilisé le chemin litigieux, même à pied, depuis plus de trente ans ; que pour décider que la servitude dont bénéficiait Mme [P] était légale de sorte que l'extinction par non-usage n'était pas applicable, la cour d'appel a déduit de la seule constatation de la situation d'enclave du fonds qu' « elle constitu[ait] dès lors la cause déterminante de la servitude de passage conventionnelle » ; qu'en déduisant de la seule constatation de l'état d'enclave que la convention ne faisait qu'aménager la servitude légale pour cause d'enclave, sans rechercher quelle avait été l'intention des parties à cet égard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 682 et 706 du code civil ;
3) ALORS, en toute hypothèse, QUE contrairement au droit luimême, l'assiette d'une servitude légale de passage pour cause d'enclave se perd par le non-usage trentenaire ; qu'en l'espèce, les époux [B] soutenaient que la servitude dont se prévalait Mme [P] était éteinte par non usage trentenaire ; qu'ils versaient aux débats un constat d'huissier du 14 août 2018 établissant que le passage revendiqué par Mme [E] n'était manifestement pas entretenu ni utilisé ainsi que des attestations dont il ressortait que Mme [E] n'avait jamais utilisé le chemin litigieux, même à pied, depuis plus de trente ans ; qu'en déduisant de la nature légale de la servitude de passage que celle-ci « ne saurait s'éteindre par un non usage trentenaire » et qu'elle n'était, dès lors, pas « tenue d'examiner les attestations produites à cet effet par les deux parties », quand le non-usage trentenaire pouvait entraîner la perte, sinon du droit, du moins de l'assiette de la servitude de Mme [P], la cour d'appel a violé l'article 685 du code civil.