LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 mai 2021
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 395 F-D
Pourvoi n° K 19-25.477
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MAI 2021
1°/ M. [A] [E],
2°/ Mme [K] [O], épouse [E],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 19-25.477 contre l'arrêt rendu le 29 août 2019 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [P] [I],
2°/ à M. [U] [I],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
MM. [I] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. et Mme [E], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de MM. [P] et [U] [I], après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pappete, 29 août 2019), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi n° 15-23.173), M. [P] [I] a été condamné sous astreinte, par jugement du 26 juin 2002, à démolir un mur édifié sur son fonds et empiétant sur la propriété voisine de M. et Mme [E], puis assigné en liquidation de l'astreinte. M. [U] [I] est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. MM. [I] font grief à l'arrêt de les condamner au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, alors « que les juges d'appel ne peuvent se prononcer que sur les demandes qui ont été soumises au juge de première instance et il ne peut être formé en cause d'appel aucune demande nouvelle, à moins qu'elle ne soit défense ou connexe à la demande principale ou qu'il agisse de compensation ; que l'astreinte, mesure de contrainte destinée à assurer l'exécution d'une condamnation judiciaire, étant totalement indépendante des dommages-intérêts, la demande tendant à la réparation d'un préjudice ne peut être regardée comme connexe à une demande tendant à la liquidation d'une astreinte ; qu'en décidant le contraire, pour se prononcer sur la demande d'indemnisation formée par les époux [E] pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française :
4. Aux termes de ce texte, les juges d'appel ne peuvent se prononcer que sur les demandes qui ont été soumises au juge de première instance et il ne peut être formé en cause d'appel aucune demande nouvelle à moins qu'elle ne constitue une défense, ou soit connexe à la demande principale, ou encore qu'il s'agisse de compensation.
5. Pour déclarer recevable et accueillir la demande nouvelle en paiement de dommages et intérêts, l'arrêt retient, d'une part, que cette demande est connexe et peut être cumulée avec une demande de liquidation d'astreinte et relève, d'autre part, que MM. [I] n'ont soulevé le moyen pris de l'impossibilité matérielle d'exécuter le jugement du 26 juin 2002 qu'à compter de 2009.
6. En statuant ainsi, alors que ne sont pas connexes les demandes, qui se fondent sur des faits distincts, en liquidation de l'astreinte et en réparation du dommage occasionné par une résistance abusive consistant dans le fait de soulever tardivement un moyen pris de l'impossibilité d'exécuter, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement du 20 avril 2009 sur l'astreinte, l'arrêt rendu le 29 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable la demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Dit n'y avoir lieu de modifier la condamnation aux dépens prononcée par les juges du fond ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [E].
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné la suppression de l'astreinte mise à la charge de M. [P] [I] par décision du 26 juin 2002 et d'avoir infirmé le jugement qui avait liquidé l'astreinte ordonnée par le jugement du 21 juin 2006 à la somme de 53 600 000 F CFP,
Aux motifs que « la Cour de cassation, dans son arrêt du 6 juillet 2017, a considéré que la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision, pour rejeter la demande de suppression de l'astreinte en considérant qu'elle n'avait pas recherché comme il le lui était demandé si, après 2011, MM. [I] ne pouvaient pas se prévaloir de l'impossibilité d'exécuter la décision des démolitions pour des raisons d'ordre technique et juridique, tenant aux refus des entreprises contractées par les consorts [I] de prendre en charge la démolition du mur à cause de la difficulté des procédés, de l'impossibilité d'être assurés et d'obtenir des autorisations administratives nécessaires, et compte tenu du comportement du créancier, avant même la comparution des parties ayant eu lieu en janvier 2013.
Par courriers adressés les 19 octobre 2011 et 6 mars 2012 à MM [P] et [U] [I], et le 3 juillet 2012 à Monsieur [E] [Z], architecte requis par les intimés, en vue de la démolition et de la reconstruction « à l'identique » du mur de soutènement, l'entreprise Tapare-Pin et Fils et l'entreprise Tahiti Project Beton ont répondu que la difficulté technique de cette démolition rendait celle-ci impossible et qu'elles ne pouvaient disposer, par ailleurs, d'une couverture de garantie de leur compagnie d'assurance pour ce type d'ouvrage.
Par courrier adressé le 5 juillet 2012 à Mme [M], soeur des intimés, l'entreprise Boyer a aussi confirmé que la réalisation d'un mur de soutènement en pierre à l'identique de l'existant ne pouvait être réalisée avec une garantie constructeur et couvert par une assurance.
De plus, par courrier du 25 avril 2013 adressé à la soeur des intimés, la demande d'autorisation de travaux immobiliers, enregistrée les 6 juillet 2012 et 3 avril 2013, au service de l'urbanisme, en vue de la démolition et reconstruction du mur de soutènement sur la parcelle litigieuse, a été refusée par ce même service.
Il ne peut être contesté par les appelants que, suite à la sommation interprétative qui leur a été délivrée le 15 mars 2011 par les consorts [I] aux fins d'exécuter les travaux auxquels ils avaient été condamnés par jugement du 26 janvier 2002, ils ont refusé l'accès à leur propriété, et ce jusqu'en 2013.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, corroborés par les rapports d'expertise de M. [Q] du 18 février 2008 et de Monsieur [V] [X] du 7 mai 2013, que l'impossibilité technique et juridique d'exécuter la décision de démolition du mur de soutènement existant à l'évidence dès l'origine, et le comportement des appelants avant 2013 équivalent à une impossibilité d'exécution, caractérisant la cause étrangère.
En conséquence, il y a lieu d'ordonner la suppression de l'astreinte prononcée par le jugement du 26 juin 2002.
Le jugement du 20 avril 2009 sera infirmé quant à la liquidation de l'astreinte fixée par jugement du tribunal de première instance de Papeete du 21 juin 2006 » (arrêt p. 6 et 7) ;
1/ Alors que le droit de propriété est un droit fondamental dont nul ne peut être privé si ce n'est pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; que constitue une atteinte disproportionnée à ce droit fondamental le refus opposé au propriétaire, pour des motifs d'ordre technique, d'obtenir l'exécution d'une décision de justice reconnaissant son droit de propriété et ordonnant la démolition de l'ouvrage empiétant sur son bien ; qu'en l'espèce, pour refuser de liquider l'astreinte prononcée en vue de l'exécution d'une décision définitive condamnant les consorts [I] à démolir le mur édifié sur la propriété de M. et Mme [E], la cour a estimé que cette démolition se heurtait à une impossibilité technique ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme et 545 du code civil ;
2/ Alors que, subsidiairement, M. et Mme [E] ont soutenu, dans leurs conclusions d'appel (p. 4), que depuis 2012, le mur litigieux, en mauvais état, s'était effondré en plusieurs endroits et à plusieurs reprises, ce qui rendait indispensable et inéluctable la reprise de l'ouvrage dans son ensemble eu égard au réel danger qu'il constituait pour son entourage ; qu'en estimant que l'impossibilité technique et juridique d'exécuter la démolition du mur de soutènement équivalait à une impossibilité d'exécution caractérisant la cause étrangère et justifiant la suppression de l'astreinte prononcée le 26 juin 2002 sans répondre au moyen de M. et Mme [E] sur de ce point, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs, violant ainsi l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
3/ Alors que M. et Mme [E] ont encore fait valoir, dans leurs conclusions d'appel (p. 9 et suiv.), que seule l'existence d'une cause étrangère à l'origine de l'inexécution permettait de supprimer l'astreinte provisoire et définitive et que tel n'était pas le cas d'une difficulté technique rendant l'exécution plus difficile mais pas impossible ; qu'en estimant que la suppression de l'astreinte était justifiée par l'impossibilité technique d'exécuter la décision de démolition du mur de soutènement sans répondre aux conclusions d'appel de M. et Mme [E] arguant du fait que seule une difficulté technique d'exécution avait été établie, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
4/ Alors que, M. et Mme [E] ont également soutenu dans leurs conclusions d'appel (p. 11) que le refus opposé par le service de l'urbanisme à la demande d'autorisation de travaux immobiliers en vue de la démolition et de la reconstruction du mur de soutènement sur la parcelle litigieuse n'était due qu'à la méconnaissance de la distance de recul de l'implantation de l'ouvrage à 1 m 90 de la limite parcellaire ; qu'en estimant que la suppression de l'astreinte était justifiée par l'impossibilité juridique d'exécuter la décision de démolition du mur de soutènement, sans répondre aux conclusions d'appel de M. et Mme [E] sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour MM. [P] et [U] [I].
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné MM. [P] et [U] [I] à payer aux époux [E] la somme de 5.000.000 de Francs Pacifiques (FCP) à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS d'abord QU' il se déduit de l'ensemble [des éléments précédemment rapportés], corroborés par les rapports d'expertise de M. [Q] du 18 février 2008 et de Monsieur [V] [X] du 7 mai 2013, que l'impossibilité technique et juridique d'exécuter la décision de démolition du mur de soutènement existant à l'évidence dès l'origine, et le comportement des appelants avant 2013, équivalent à une impossibilité d'exécution, caractérisant la cause étrangère ; qu'en conséquence, il y a lieu d'ordonner la suppression de l'astreinte prononcée par le jugement du 26 juin 2002 ;
AUX MOTIFS ensuite QUE la demande à titre de dommages-intérêts des appelants est une demande connexe, qui peut être cumulée avec une demande de liquidation d'astreinte ; que la cour observe que les consorts lien n'ont soulevé leur moyen relatif à l'impossibilité technique et juridique d'exécuter la décision de démolition du mur de soutènement qu'à compter du jugement du 20 avril 2009 dans lequel ils sollicitaient du tribunal, à titre subsidiaire, la désignation d'un expert afin de déterminer les conséquences qu'entraînerait l'exécution de la décision du 26 juin 2002 ; que cette résistance abusive qui a perduré pendant au moins six années a naturellement mis dans l'obligation les appelants d'intenter plusieurs procédures aux fins d'exécution des décisions rendues ; que de plus, il ne peut être contesté que pendant cette période, le mur de soutènement est resté en l'état jusqu'à l'effondrement d'une partie en décembre 2012 et janvier 2013 où il a fallu saisir en urgence l'expert, M. [V] [X], qui, par procès-verbal du 13 mars 2013, préconisait les dispositions à prendre d'urgence pour éviter l'aggravation des désordres et sécuriser l'accès à la propriété des appelants ; que durant les travaux confortatifs, les époux [E] ont dû démolir leur annexe, subir les éboulements ainsi que les soucis matériels pendant le chantier et la privation de jouissance de leur entrée pendant les travaux, les frais de surveillance de leur domicile, la crainte de nouveaux éboulements, sans compter le préjudice moral découlant de dix-huit années de procédure ; qu'en conséquence, les consorts [I] qui ont fait preuve d'une résistance abusive caractérisée et incompréhensible depuis la décision du 26 janvier 2002 jusqu'en 2011, seront condamnés à payer aux époux [E] la somme de cinq millions de francs pacifiques à titre de dommages intérêts ;
1/ ALORS QUE les juges d'appel ne peuvent se prononcer que sur les demandes qui ont été soumises au juge de première instance et il ne peut être formé en cause d'appel aucune demande nouvelle, à moins qu'elle ne soit défense ou connexe à la demande principale ou qu'il agisse de compensation ; que l'astreinte, mesure de contrainte destinée à assurer l'exécution d'une condamnation judiciaire, étant totalement indépendante des dommages-intérêts, la demande tendant à la réparation d'un préjudice ne peut être regardée comme connexe à une demande tendant à la liquidation d'une astreinte ; qu'en décidant le contraire, pour se prononcer sur la demande d'indemnisation formée par les époux [E] pour la première fois en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
2/ ALORS QU' en toute hypothèse, aucune faute, a fortiori aucun abus, ne sauraient s'inférer de l'inexécution fût-elle persistante d'une condamnation judiciaire, dès lors qu'il est établi que cette exécution a été rendue impossible par des obstacles étrangers à la volonté du débiteur, relevant de la cause étrangère ; qu'ayant constaté que l'impossibilité technique et juridique d'exécuter la décision de démolition du mur de soutènement litigieux procédait d'une cause étrangère qui « existait à l'évidence dès l'origine », si même elle avait été plus tardivement invoquée par les consorts [I], la cour d'appel ne pouvait ensuite, sauf à refuser de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, considérer que l'inertie dont auraient fait preuve les consorts [I] dans les années ayant suivi la décision de condamnation permettait de leur imputer une résistance abusive pouvant être regardée comme la cause des préjudices prétendument subis par les époux [E] du fait de l'inexécution, ce en quoi elle a violé l'article 1240 du Code civil ;
3/ ALORS QU' un dommage ne peut être indemnisé que s'il est en relation de cause à effet avec une faute imputable au défendeur à l'action en responsabilité ; qu'en indemnisant les consorts [E] du préjudice qu'ils auraient subi du fait de l'effondrement partiel du mur de soutènement litigieux survenu en décembre 2012 et janvier 2013, qui était resté en l'état depuis la décision de démolition de ce mur, prononcée en 2002, et des travaux confortatifs qui avaient dû être exécutés pour y remédier, sans préciser en quoi de tels dommages pourraient être mis en relation avec la résistance prétendument abusive des consorts [I] à exécuter la condamnation prononcée à leur encontre en 2002, sachant que cette condamnation avec pour objet, non pas la réparation du mur de soutènement, mais sa démolition pure et simple et sa reconstruction à un autre endroit, lesquelles s'étaient avérées impossibles en raison de causes étrangères qui existaient dès l'origine, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1240 du code civil.