LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
MA
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 mai 2021
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 503 F-D
Pourvoi n° S 19-21.389
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 MAI 2021
La société Lancry protection sécurité, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 19-21.389 contre le jugement rendu le 17 juin 2019 par le conseil de prud'hommes de Reims (section activités diverses), dans le litige l'opposant à M. [Y] [U], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Lancry protection sécurité, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. [U], après débats en l'audience publique du 10 mars 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Reims, 17 juin 2019 ), rendu en dernier ressort, M. [U] a été engagé le 25 juillet 2016 par la société Prosegur sécurité, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Lancry protection sécurité, en qualité d'agent de sécurité incendie.
2. Ayant démissionné le 26 janvier 2018, le salarié a saisi le 14 septembre 2018 la juridiction prud'homale aux fins de condamnation de l'employeur à lui verser un rappel d'heures supplémentaires effectuées, outre les congés payés afférents, ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief au jugement de recevoir le salarié en sa demande de préjudice moral et de le condamner à verser à celui-ci une somme à ce titre ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure ; que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que M. [U] n'apportait aucune justification concernant son préjudice moral, le conseil de prud'hommes a estimé que, même s'il n'existait aucune justification de ce préjudice, la somme de mille euros sollicitée était légitime et qu'il y serait fait droit ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que M. [U] ne rapportait pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, le conseil de prud'hommes a de nouveau violé les dispositions de l'article 1153 devenu article 1231-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-6 du code civil :
5. Selon ce texte, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire.
6. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, le jugement retient que s'il est regrettable que le salarié n'apporte aucune justification à sa demande concernant son préjudice moral, il n'en demeure pas moins que l'employeur, en ne répondant pas à la demande de l'intéressé du 19 février 2018, a créé un trouble dans l'esprit de son ancien salarié, qu'en ne respectant pas son propre accord et en ajoutant aux conditions contenues tant dans le code du travail que dans l'accord d'entreprise, l'employeur a porté un préjudice financier à son ancien salarié, et que même s'il n'existe aucune justification de ce préjudice, la somme de 1 000 euros sollicitée est légitime et qu'il y sera fait droit.
7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le salarié ne rapportait pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
La cassation du chef de dispositif condamnant l'employeur à verser au salarié des dommages-intérêts pour préjudice moral n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs,
la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Lancry protection sécurité à payer à M. [U] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, le jugement rendu le 17 juin 2019, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Reims ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Lancry protection sécurité
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir condamné la société LANCRY PROTECTION SECURITE à verser à Monsieur [U] diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents aux heures supplémentaires et de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Au titre de l'année 2017, Monsieur [U] dresse un tableau aux termes duquel il aurait effectué 1743 heures de travail effectif soit des heures au-delà du seuil de 1607 heures à hauteur de 136 heures. Ce tableau tel qu'établi par Monsieur [U] n'est en aucun cas contesté par la société LANCRY PROTECTION SECURITE, cette dernière se contentant d'affirmer que le temps de 1607 heures tient compte de la prise effective de 5 semaines de congés payés au cours de l'année de référence. La société employeur précisant aux termes de ses écritures (page 3 in fine) : « Les heures supplémentaires sont dans le cadre de l'annualisation du temps de travail les heures effectuées au-delà de 1607 heures, conformément à l'article L. 3122-4 du code du travail, si et seulement si le salarié bénéficie d'un droit à congés payés complet ». Cependant l'article L. 3122-4 du code du travail tel qu'issue de la loi du 8 août 2016, donc applicable à la présente espèce traite du travail de nuit et non, du temps de travail, et d'ailleurs ledit article tel qu'issu de la loi du 20 août 2008, n'ajoutait aucune considération de congés payés pour l'appréciation, du temps de travail. Bien mieux l'accord d'entreprise intitulé « Annualisation du temps de travail –nouvelles dispositions » en son article 1.a précise : « Les salariés doivent effectuer 1607 heures de travail effectif ou assimilé dans le mesure où ils on bénéficié de 30 jours de congés payés sur la période ». En réalité, l'article L. 3121-44 du code du travail rappelle utilement que les heures au-delà de 1607 heures constituent des heures supplémentaires et ne portent aucunes restrictions liées au congés payés. Ainsi, il apparaît que la société LANCRY ajoute une condition n'existant ni dans le code du travail ni même dans l'accord d'entreprise. Bien mieux, ladite société admet dans ses écritures que Monsieur [U] a effectué 1731 heures de travail confirmant par là même le décompte effectué par son salarié. Or toutes les heures au-delà de 1607 heures de travail effectif sont considérées comme des heures supplémentaires, et il résulte tant du code du travail que de l'accord d'entreprise que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne peut être supérieur au plafond de 1607 heures de travail quand bien même le salarié n'aurait pas acquis l'intégralité de ses droits à congés payés pour la période de référence. Dans ces conditions il sera intégralement fait droit à la demande de Monsieur [U] de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents » ;
ALORS en premier lieu QUE l'accord d'entreprise relatif à la réduction et à l'aménagement du temps de travail du 15 octobre 2014 en vigueur au sein de la société LANCRY PROTECTION SECURITE prévoit que, dans le cadre de l'annualisation pour un salarié à temps plein ayant acquis et pris 30 jours ouvrables de congés payés, la durée annuelle du travail effectif est fixée à 1607 heures ; qu'il s'en déduit que la durée de travail effectif devra être fixée à une durée supérieure à 1607 heures pour une salarié à temps plein n'ayant pas pris et/ou acquis 30 jours ouvrables de congés payés ; qu'en l'espèce, pour faire droit aux demandes formées par Monsieur [U] au titre des heures supplémentaires, le Conseil de prud'hommes a retenu qu'il résultait de l'accord d'entreprise susvisé que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne pouvait être supérieur au plafond de 1607 heures quand bien même le salarié n'aurait pas acquis l'intégralité de ses droits à congés payés pour la période de référence et, qu'en soutenant que les heures supplémentaires, dans le cadre de l'annualisation du temps de travail, étaient les heures effectuées au-delà de 1607 heures, si et seulement si le salarié bénéficiait d'un droit à congés payés complet, la société LANCRY PROTECTION SECURITE ajoutait une condition n'existant pas dans cet accord; qu'en statuant par de tels motifs, le Conseil de prud'hommes a violé les stipulations de l'article 7.2.3 de l'accord collectif susvisé ;
ALORS en second lieu QUE, sil'article L. 3121-41 du Code du travail dispose que, lorsqu'est mis en place un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période de référence annuelle, constituent des heures supplémentaires les heures effectuées au-delà de 1 607 heures, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'accord collectif organisant cette variation prévoie un seuil supérieur à 1607 heures pour le déclenchement des heures supplémentaires des salariés n'ayant pas acquis 30 jours ouvrables de congés payés au titre de la période de référence; qu'en l'espèce, pour faire droit à la demande de Monsieur [U], le Conseil de prud'hommes a retenu qu'il résultait du Code du travail que le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ne pouvait être supérieur au plafond de 1607 heures de travail quand bien même le salarié n'aurait pas acquis l'intégralité de ses droits à congés payés pour la période de référence; qu'en statuant ainsi alors que l'accord collectif d'entreprise du 15 octobre 2014 organisant l'annualisation du temps de travail au sein de la société LANCRY PROTECTION SECURITE fixait la durée annuelle de travail à 1607 heures « pour un salarié à temps plein ayant acquis et pris 30 jours ouvrables de congés payés », laissant ainsi la possibilité de fixer une durée supérieure pour les salariés ne se trouvant pas dans cette situation, le Conseil de prud'hommes a violé les dispositions des l'article L. 3121-41 et L. 3121-44 du Code du travail ensemble les stipulations de l'article 7.2.3 de l'accord collectif d'entreprise relatif à la réduction et à l'aménagement du temps de travail du 15 octobre 2014.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir reçu Monsieur [U] en sa demande de préjudice moral et d'avoir condamné la société LANCRY PROTECTION SECURITE à lui verser une somme à ce titre ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « s'il est regrettable que Monsieur [U] n'apporte aucune justification à sa demande concernant son préjudice moral, il n'en demeure pas moins que la société LANCRY en ne répondant pas à la demande de Monsieur [U] du 19 février 2018, ce qui était la moindre des choses, a créé un trouble dans l'esprit de son ancien salarié. En ne respectant pas son propre accord et en ajoutant aux conditions contenues tant dans le code du travail que dans l'accord d'entreprise, la société LANCRY a porté un préjudice financier à son ancien salarié. Et même s'il n'existe aucune justification de ce préjudice, la somme de mille euros sollicitée est légitime et il y sera fait droit » ;
ALORS en premier lieu QUE la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le premier moyen de cassation relatif à la condamnation de la société LANCRY PROTECTION SECURITE à payer à Monsieur [U] une somme au titre des heures supplémentaires effectuées, outre une somme au titre des congés payés y afférents, entraînera, en application de l'article 624 du Code de procédure, celle du chef de dispositif par lequel le Conseil de prud'hommes a condamné cette société à verser à Monsieur [U] une somme au titre du préjudice qu'il aurait subi en raison « du trouble dans l'esprit de son salarié » créé par l'absence de réponse de la société au courrier de Monsieur [U] demandant le paiement de ces heures supplémentaires et du non-respect par la société de son propre accord ainsi que de l'ajout aux conditions contenues tant dans le code du travail que dans l'accord d'entreprise ;
ALORS en deuxième lieu et en toute hypothèse QUE les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure; que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ; qu'en l'espèce, pour considérer que Monsieur [U] avait subi un préjudice moral justifiant indemnisation, le Conseil de prud'hommes a retenu qu'en ne répondant pas à la demande du salarié du 19 février 2018 en paiement de ses heures supplémentaires, la société LANCRY PROTECTION SECURITE avait créé un trouble dans l'esprit de son ancien salarié et qu'en ne respectant pas son propre accord et en ajoutant aux conditions contenues tant dans le code du travail que dans l'accord d'entreprise, cette société lui avait porté un préjudice financier; qu'en statuant par de tels motifs, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur, le Conseil de prud'hommes a violé les dispositions de l'article 1153 devenu article 1231-6 du Code civil ;
ALORS en troisième lieu et en toute hypothèse QUE les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure; que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt moratoire ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que Monsieur [U] n'apportait aucune justification concernant son préjudice moral, le Conseil de prud'hommes a estimé que, même s'il n'existait aucune justification de ce préjudice, la somme de mille euros sollicitée était légitime et qu'il y serait fait droit ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que Monsieur [U] ne rapportait pas la preuve d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, le Conseil de prud'hommes a de nouveau violé les dispositions de l'article 1153 devenu article 1231-6 du Code civil.