LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 31 mars 2021
Rejet
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 398 F-P
Pourvoi n° M 19-24.489
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 31 MARS 2021
M. U... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° M 19-24.489 contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant à la société Lear Corporation Seating France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. D..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Lear Corporation Seating France, après débats en l'audience publique du 9 février 2021 où étaient présentes Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Versailles, 18 septembre 2019 ), M. D..., engagé le 24 juillet 2001 en qualité de technicien de maintenance par la société Lear Corporation aux droits de laquelle vient la société Lear Corporation Seating France et titulaire de mandats syndicaux, a saisi le 2 novembre 2011 la juridiction prud'homale de diverses demandes. Par jugement du 27 novembre 2012, le conseil de prud'hommes a rejeté ses demandes. Le salarié a relevé appel de cette décision le 14 décembre 2012.
2. Le 20 mars 2014, une ordonnance de radiation a été prononcée prévoyant en son dispositif que l'affaire serait rétablie au rôle sur justificatif du dépôt de conclusions au greffe et de la justification de communication par chaque partie à la partie adverse de ses conclusions et pièces.
3. L'affaire a été réinscrite au rôle le 14 décembre 2014 et audiencée le 17 septembre 2015 puis renvoyée au 30 mars 2017 dans l'attente d'une décision de la juridiction administrative. A cette date, le salarié a demandé le renvoi de l'affaire. Une nouvelle ordonnance de radiation a été rendue.
4.Le 8 juin 2018, le salarié a demandé la réinscription de l'affaire. Celle-ci a été audiencée au 19 juin 2019. Statuant sur la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur, la cour d'appel a constaté la péremption de l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de constater la péremption de l'instance et de rejeter les demandes des parties, alors « que si l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans, le rétablissement de la procédure par une décision de remise au rôle implique que les diligences préconisées par l'ordonnance de radiation ont été accomplies ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'à la suite du rétablissement de la procédure intervenu le 2 mai 2014, soit dans les deux ans de l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014, l'affaire a été remise au rôle et audiencée le 17 septembre 2015, étant précisé qu'à cette audience, l'affaire a été renvoyée, à l'audience du 30 mai 2017 en raison de l'attente d'une décision du tribunal administratif ; qu'en décidant que la péremption de l'instance était acquise au motif qu'il n'était pas établi que Monsieur D... avait effectué l'ensemble des diligences de l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014 subordonnant le rétablissement de l'affaire au rôle quand elle avait néanmoins constaté que l'affaire avait été remise au rôle et audiencée le 17 septembre 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 386 du code de procédure civile et R. 1452-8 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article R. 1452-8 du code du travail, en matière prud'homale l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
8. Pour interrompre la péremption, les parties doivent s'acquitter de l'ensemble des diligences mises à leur charge par l'ordonnance de radiation.
9. En procédure prud'homale, la remise au rôle n'implique pas en elle-même que les diligences prescrites par l'ordonnance de radiation ont été accomplies.
10. Ayant constaté que le salarié ne justifiait pas avoir communiqué ses pièces à la partie adverse dans les deux ans suivant la notification de l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la péremption était acquise.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. D....
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la péremption de l'instance, dit que la cour était dessaisie, et d'avoir, par conséquent, débouté les parties de leurs demandes autres, plus ample ou contraires ;
AUX MOTIFS QUE la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE soutient que la péremption d'instance est acquise depuis le 26 mars 2016 puisque Monsieur D... ne justifie pas avoir exécuté les diligences mises à sa charge par l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014 en lui communiquant ses conclusions et pièces avant le 2 mars 2016 ; qu'elle précise que Monsieur D... ne lui a communiqué ses pièces que le 19 février 2019 ; que Monsieur D... réplique qu'en déposant des conclusions de rétablissement au greffe il a manifesté de façon claire de poursuivre l'instance et que les conclusions au fond assorties d'une demande de rétablissement de l'affaire constituent une diligence de nature à interrompre le délai de péremption ; qu'il précise que la cour en rétablissant l'affaire a admis que les diligences avaient été accomplies, ce qu'il a fait en communiquant ses conclusions récapitulatives et pièces le 17 avril 2014 ; qu'il ajoute qu'à la suite de l'ordonnance de radiation du 31 mars 2017 son conseil a adressé le 8 juin 2018 au conseil de la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE ses conclusions de remise au rôle accompagnées du bordereau de pièces ; que l'article R. 1452-8 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit : « En matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir dans le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction » ; qu'en l'espèce, l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014, notifiée à Monsieur D... par lettre recommandée avec avis de réception signé du 26 mars 2014, a dit que l'affaire pourrait être rétablie au rôle sur justification des diligences suivantes : - dépôt des conclusions au greffe, - justification de la communication par chaque partie à la partie adverse de ses conclusions et pièces ; qu'elle a précisé qu'en application de l'article 386 du code de procédure civile, l'instance sera périmée si aucune des parties n'accomplit les diligences précisées pendant deux ans ; que par message RPVA du 18 avril 2014, le conseil de Monsieur D... a envoyé au greffe de la cour ses écritures en demandant la fixation d'une date d'audience ; que l'affaire a été remise au rôle et audiencée le 17 septembre 2015 ; qu'à cette audience l'affaire a fait l'objet d'un renvoi contradictoire au 30 mars 2017, en raison de l'attente d'une décision du tribunal administratif ; qu'à l'audience du 30 mars 2017, le conseil de Monsieur D... a sollicité le renvoi au motif qu'il n'était pas en état ; que l'affaire a fait l'objet d'une nouvelle radiation ; que le 8 juin 2018, le conseil de Monsieur D... a demandé la remise au rôle en transmettant à la cour et à la partie adverse ses conclusions et son bordereau de communication de pièces ; que Monsieur D... prétend avoir communiqué ses pièces le 17 avril 2014 ; qu'il communique un courrier du 17 avril 2014 (pièce n° 96)
adressé à Madame ou Monsieur le Président de la cour d'appel avec la mention « LRAR par précaution » ainsi libellé : « Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint mes écritures et mes pièces selon bordereau au soutien des intérêts de Monsieur U... D... et vous remercie de bien vouloir m'indiquer la date à laquelle cette affaire sera audiencée devant votre juridiction » " ; que l'accusé de réception de ce courrier n'est pas communiqué ; que par message RPVA du 18 avril 2014 Monsieur D... a envoyé à la 17ème chambre ses conclusions réintroductives d'instance, qui comportent un bordereau de communication de 94 pièces ; que ce message ne mentionne pas la communication des pièces ; qu'à la suite de la seconde remise au rôle, le conseil de Monsieur D... dans son courrier du 8 juin 2018 adressé à son contradicteur annonce l'envoi des fichiers par we transfer mais ne justifie pas de leur envoi ; que la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE explique qu'elle était en possession des pièces produites en première instance (n° 1 à 72) et que Monsieur D... ne lui a communiqué ses autres pièces n° 74 à 82 visées dans son bordereau annexé à ses conclusions du 19 mars 2014 que le 19 février 2019 et les pièces n° 83 à 94 visées dans son bordereau de juillet 2018 que le 29 février 2019 après qu'elle ait soulevé la péremption d'instance ; qu'effectivement dans ses conclusions pour l'audience du 17 septembre 2015, elle ne vise aucune pièce adverse qui ne soit pas des pièces déjà communiquées en première instance ; que la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE produit les mails du conseil adverse du 19 février 2019 lui communiquant en pièces jointes ses pièces n° 1 à 47, son bordereau de communication de pièces, ses pièces n° 48 à 69, ses pièces n° 70.1 à 75 et ses pièces 75 à 94 ( pièce n° 33E) ; que Monsieur D... n'établit donc pas avoir transmis l'intégralité de ses pièces figurant sur son bordereau à son adversaire le 17 ou 18 avril 2014 comme il le prétend, ni même avant le 19 février 2019 ; que la circonstance que l'affaire ait été remise au rôle n'a pas eu pour effet de purger l'absence de diligences des parties ; que Monsieur D... ne peut reprocher à la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE de ne pas avoir demandé la péremption de l'instance lors de l'audience du 17 septembre 2015, alors que le délai de deux ans n'étant pas écoulé la péremption ne pouvait être acquise ; que dès lors que seul l'accomplissement de la totalité des diligences prescrites dans le délai de péremption est susceptible d'interrompre celui-ci, faute pour Monsieur D... d'avoir communiqué ses pièces à la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE dans le délai de deux ans prescrit, il convient de constater la péremption de l'instance et de dire que la cour est dessaisie ;
1° ALORS QUE si l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans, le rétablissement de la procédure par une décision de remise au rôle implique que les diligences préconisées par l'ordonnance de radiation ont été accomplies ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'à la suite du rétablissement de la procédure intervenu le 2 mai 2014, soit dans les deux ans de l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014, l'affaire a été remise au rôle et audiencée le 17 septembre 2015, étant précisé qu'à cette audience, l'affaire a été renvoyée, à l'audience du 30 mai 2017 en raison de l'attente d'une décision du tribunal administratif ; qu'en décidant que la péremption de l'instance était acquise au motif qu'il n'était pas établi que Monsieur D... avait effectué l'ensemble des diligences de l'ordonnance de radiation du 20 mars 2014 subordonnant le rétablissement de l'affaire au rôle quand elle avait néanmoins constaté que l'affaire avait été remise au rôle et audiencée le 17 septembre 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 386 du code de procédure civile et R. 1452-8 du code du travail ;
2° ALORS QU'en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans prévu à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'appelant ne justifiait pas avoir communiqué ses pièces à la partie adverse dans le délai de deux ans, que dans ses conclusions pour l'audience du 17 septembre 2015, l'intimée ne visait aucunes pièces adverses qui n'étaient pas des pièces déjà communiquées en première instance, sans même rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur avait fait valoir dans le cadre de ses écritures en vue de l'audience du 17 septembre 2015 l'absence d'accomplissement des diligences ordonnées et notamment l'absence de communication de l'intégralité des pièces (cf. prod n° 3, p. 15 § avant-dernier), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 386 du code de procédure civile et R. 1452-8 du code du travail ;
3° ALORS QU'en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans prévu à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en se bornant à relever, pour dire que Monsieur D... ne justifiait pas avoir communiqué ses pièces à la partie adverse dans le délai de deux ans, que dans ses conclusions pour l'audience du 17 septembre 2015, l'intimée ne visait aucunes pièces adverses qui n'étaient pas des pièces déjà communiquées en première instance, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a violé les articles 386 du code de procédure civile et R. 1452-8 du code du travail ;
4° ALORS QUE le juge ne peut pas dénaturer les écritures d'appel qui lui sont soumises ; que Monsieur D... faisait valoir que le rétablissement au rôle était une mesure pleinement justifiée, que l'intimée n'avait au demeurant pas contestée, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire si, comme elle le prétendait, les diligences nécessaires à ce rétablissement n'avaient pas été réalisées (cf. prod n° 3, p. 15 § avant-dernier) ; qu'en énonçant que Monsieur D... ne pouvait pas reprocher à la société LEAR CORPORATION SEATING FRANCE de ne pas avoir demandé la péremption de l'instance lors de l'audience du 17 septembre 2015, alors que le délai de deux ans n'étant pas écoulé la péremption ne pouvait être acquise, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile et le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents qui lui sont soumis.